Nice-Matin (Cannes)

Défaite mode d’emploi

- Par CLAUDE WEILL

« Mélenchon tape sur Hamon, Hamon sur Macron, Fillon sur Macron, etc. »

Comment perdre une élection ? Il y a quelque chose de fascinant à voir comment le Parti socialiste et Les Républicai­ns, soudain saisis par une sorte de vertige du chaos, s’emploient à rater leur campagne et à dérouler le tapis rouge à celle que l’un et l’autre désignent pourtant comme le danger majeur : Marine Le Pen. Le scénario est si bien conçu qu’on pourrait en tirer un véritable vade-mecum de la défaite. Vous voulez perdre ? . Faites des primaires. Mal adaptée à la culture politique française (plus portée à la querelle qu’au consensus), cette procédure a pour effet mécanique d’attiser les divisions en gonflant les ego et les désaccords. Mieux : s’adressant en priorité au noyau dur de chaque camp, le plus mobilisé, elle favorise les candidatur­es les plus radicales, au détriment de celles qui auraient permis de ratisser plus large. Les primaires ouvrent ainsi un boulevard au centre, qu’il faudra ensuite tenter de colmater par tous les moyens. Nous y reviendron­s. Notons simplement ici que ce système de sélection, supposé rassembler la gauche et la droite derrière leurs champions respectifs, a si bien réussi que les deux candidats les mieux placés, à ce jour, pour accéder au second tour ne sont justement pas passés par une primaire. Cherchez l’erreur… . Faites des primaires le plus tard possible (ici, c’est le PS, longtemps paralysé par l’indécision de Hollande, qui a le pompon). Plus il sera désigné tard, plus le vainqueur, sorti usé d’une pré-campagne éprouvante, risquera d’être piégé par le calendrier. Pas de répit. Il n’aura que quelques jours pour lancer la machine : pacifier son camp, mettre la logistique en place, installer son image dans l’opinion, affûter ses thématique­s. Et surtout ajuster son programme, car comme Fillon l’a constaté à ses dépens (avant même le démarrage de l’« affaire »), on ne s’adresse pas à l’ensemble du

corps électoral comme on parle aux siens. Là surgit un autre piège. Ou bien vous refusez de modifier votre ligne : on dira que vous tournez en rond, que vous êtes sourd aux propositio­ns de vos alliés. Ou bien vous avancez des idées nouvelles : vous passerez pour un opportunis­te, une girouette. . Trompez-vous d’ennemi. C’est très facile. Car en politique, il y a une loi : l’adversaire prioritair­e, celui sur qui il faut taper, ce n’est pas celui qui est à l’autre bout de l’échiquier ; c’est le voisin immédiat, le concurrent, celui avec lequel on a une frontière commune et des parts de marché à disputer. C’est pourquoi Mélenchon tape sur Hamon, Hamon sur Macron, Fillon sur Macron, etc. D’ailleurs, tout le monde tape sur Macron. Même Bayrou : le centre, c’est lui ; le ni-ni, sa marque déposée. Au fond, tout se passe comme si les prétendant­s, déjà résignés à voir Marine le Pen arriver en tête le  avril, ne s’entre-déchiraien­t plus que pour la deuxième place. Au risque de compromett­re le report des voix sur celui qui restera en piste, plus ou moins cabossé. Résultat de cette fine stratégie : tandis que ses rivaux font du yo-yo, la candidate du FN plane dans les sondages, et personne ne va vraiment la chercher, ni sur son programme, ni sur le flou de sa stratégie (quelle majorité, quel gouverneme­nt ?), ni sur les « affaires » qui la cernent. Dans ce « personne », on peut d’ailleurs englober la presse. Jamais celle qui se pose si volontiers en victime du « système » n’avait été autant ménagée par les médias, dont l’attention (à quelques exceptions près) est monopolisé­e par le FillonGate et – nouvelle vogue éditoriale – le supposé « vide » du programme de Macron. Tout cela commence à ressembler furieuseme­nt à une certaine élection américaine où l’on n’avait d’yeux que pour le duel Sanders-Clinton, les mails d’Hillary, le malaise d’Hillary : contrairem­ent à une idée reçue, ces épisodes ont suscité bien plus de débats et d’articles que les foucades de l’improbable Donald T, à qui l’on n’accordait pas la moindre chance…

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