Nice-Matin (Cannes)

FOOTBALL L’architecte

Arrivé cet été sur le banc de City, Pep Guardiola est un entraîneur hors norme mais parfois incompris

- MATHIEU FAURE

Insulaires, les Anglais ont une conception bien à eux du vivre ensemble, particuliè­rement quand un invité débarque sur leur île avec la réputation de « meilleur entraîneur du monde », chez eux, où le football a été inventé. Alors quand Josep Guardiola, car c’est de lui dont il s’agit, en prend quatre à Leicester en décembre dernier et qu’un journalist­e révèle que son équipe de Manchester City n’a pas effectué le moindre tacle dans la première demi-heure, «Pep» se sent obligé de répondre : « Je n’entraîne pas mes joueurs à tacler. Ce que je veux, c’est créer plus, faire le jeu, avoir des occasions. » Joueur intelligen­t, cerveau de la « dream team » barcelonai­se de Johan Cruyff, Guardiola a gardé cette obsession du beau jeu une fois sur le banc, que ce soit au FC Barcelone, au Bayern Munich ou à Manchester City qu’il a rejoint l’été dernier. Quand on parle « beau jeu », les Anglais y voient un gros mot, eux qui ne jurent que par l’intensité de leur championna­t. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les suiveurs de la Premier League n’ont pas accueilli le Catalan avec des câlins. « Guardiola est un homme très arrogant. Voilà ce monsieur qui arrive et qui dit : je sais mieux que vous, ma manière de jouer au football est la meilleure », la saillie est de Peter Schmeichel, ancien gardien légendaire de Manchester United. C’est mal connaître l’actuel coach de City car l’Espagnol est avant tout un romantique, un homme qui n’hésite pas à demander conseil quand il ne sait pas. 2006, le milieu de terrain raccroche les crampons, il a 35 piges et ne sait (e pas quoi faire. Alors l’homme va voyager. Pas question de faire un blog culinaire sur les bonnes tables du monde, Guardiola veut juste parler football avec ceux qu’il considère comme ses mentors : Angel Cappa, Cesar Luis Menotti ou Ricardo La Volpe, le sélectionn­eur du Mexique.

‘‘ D’ailleurs, lors du Mondial 2006, Guardiola pige pour le quotidien El Pais où ses analyses de matches et ses théories impression­nent tout le monde. C’est là qu’il se prend d’affection pour le Mexique de La Volpe, cette équipe dont les joueurs les plus techniques étaient les deux défenseurs centraux, « Personne ne monte sur toi ? Alors avance avec la balle vers le but. Va marquer ! Si un adversaire sort sur toi, il libérera un coéquipier. Selon les mouvements de l’adversaire, il y a toujours des hommes libres » aime-t-il dire. Durant son périple, un entraîneur va marquer Guardiola, c’est Marcelo Bielsa. La rencontre avec «El Loco » va durer une demi-journée, autour d’une bonne bière et des matches disséqués qui donnent lieu, parfois, à des engueulade­s. Une seule chose trouve grâce à leurs yeux : l’Ajax de van Gaal, à savoir une équipe flexible organisée en 3-4-3 avec pressing et marquages individuel­s. « Ils étaient capables d’atteindre la perfection, ils ont donné une leçon de football à tout le monde », admet Guardiola avec des coeurs dans les yeux. De Bielsea, Guardiola va aussi piquer un dogme : refuser toutes les demandes d’interview. Pour entendre Pep, il faut s’immiscer dans les conférence­s de presse imposées par le club. Six mois après ce périple sud-américian, Guardiola débute enfin sur le banc du Barca B qui évolue en troisième division espagnole. Très vite, il compose une équipe dans laquelle Sergio Busquets (19 ans) et Pedro (20 ans) s’imposent comme des évidences. Son équipe est championne en fin de saison et dans la foulée, il est nommé à la tête du Barça pour reconstrui­re une équipe en fin de cycle. À peine intronisé, l’homme demande à ses dirigeants de se séparer de Ronaldinho, Deco et Eto’o. Seuls les deux premiers partiront. Eto’o quittera la Catalogne un an plus tard. Au premier entraîneme­nt, il est cash : « Je ne vous promets pas que l’on va gagner le moindre titre. On va essayer. En revanche, attachez bien vos ceintures, parce que vous allez passer de sacrés bons moments ». Quatre ans et quatorze trophées plus tard, Guardiola quitte le Barça « vidé » mais avec des moments proches de la perfection, notamment le triplé de 2009 (Liga, Coupe du Roi, Ligue des champions). Avant la finale de C1 contre Manchester United, l’Espagnol n’a pas fait de discours. Il a simplement motivé ses joueurs en leur montrant différents montages vidéo avec la bande-son de «Gladiator». Derrière, la bande à Messi se baladera. Très Catalan, au sens politique du terme, Guardiola ne se reconnaît plus dans ce Barça. Proche du poète Marti i Pol ainsi que la crème de la littératur­e de Barcelone, il confesse avoir du mal à comprendre que son club préfère le Qatar à l’Unicef pour apparaître sur le maillot. Il a besoin de couper. Pendant un an, il file à New York où il profite des musées et de l’anonymat. Secrètemen­t, il succombe aux appels du pied du Bayern Munich où il débarque en 2013, prenant la suite de Jupp Heynckes, l’homme du triplé. À l’inverse de 2008 et du Barça, le Bayern n’est pas en fin de cycle. Au contraire. Munich lui plaît car c’est son idée du football romantique, celle d’un club qui parvient au sommet tout seul, sans le soutien d’une banque ou d’un milliardai­re, tout en gardant son ADN et son identité. Tout l’inverse de... Manchester City finalement. En Allemagne, il va devoir composer avec les « Bavarois », à commencer par Franz Beckenbaue­r, ancien ennemi de Johan Cruyff, qui se lâche en 2014 : «Un jour, nous finirons par jouer comme le Barça, et on se désespérer­a de voir nos joueurs se faire des passes sur la ligne de but au lieu de marquer ». Malgré les titres - mais aucune Ligue des champions - le courant a du mal à passer entre «Pep» et le Bayern. A l’image de cette demi-finale retour de C1 contre le Barça (0-3, 3-2), Guardiola sort l’attaquant Thomas Müller et ce dernier n’y va pas par quatre chemins pour exprimer son point de vue : « Ce n’est pas bientôt fini cette tactique de merde ? »

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Josep Guardiola i Sala

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