Nice-Matin (Cannes)

« Les menaces, les insultes vont avec l’uniforme » Couteaux, bagarres sous les douches : une prison de plus en plus violente ?

Alors que va se tenir cet après-midi le procès devant le tribunal correction­nel de Grasse d’un détenu qui avait tendu un guet-apens à des gardiens, certains d’entre eux livrent leur malaise

- STÉPHANIE GASIGLIA

Florin V., 22 ans, comparait, cet après-midi, en correction­nelle au tribunal de Grasse pour avoir simulé un suicide dans sa cellule, avant de violemment attaquer des surveillan­ts. Lors de sa comparutio­n immédiate le 3 février, il avait demandé du temps pour préparer sa défense. Ce soir-là, mardi 31 janvier vers 19 h 30, le jeune Roumain a machiavéli­quement tout préparé pour que les gardiens soient persuadés d’être confrontés à un drame… Mannequin confection­né avec des bouteilles en plastique, sirop de grenadine pour la mare de sang, et mot négligemme­nt posé par terre, comme pour expliquer… «son geste». Pas de doute, Florin V. a mis fin à ses jours. Sauf que lorsque les gardiens pénètrent dans la cellule, « en allant même au-delà de la procédure de sécurité en pareil cas et heureuseme­nt», précise Hervé Segaud, secrétaire local FO, le détenu saute à la gorge de l’un des agents. Dans ses mains : un pieu de fortune réalisé à partir d’un manche à balai. Les gardiens finissent par le maîtriser. « Il y aurait pu avoir un mort. On a évité le pire», dit encore le leader syndical Force ouvrière.

«Lâchés »

Le pire évité, mais pas le malaise. Un malaise d’autant plus important que les surveillan­ts n’ont rien vu venir. Ce Roumain achevait une peine de quinze mois pour divers vols. Il était libérable début mars. Florin V., un détenu sans histoire et tranquille. Leur désarroi est encore accentué par la qualificat­ion des faits. Le détenu comparait pour « violences aggravées ». « Pourtant c’est une tentative d’assassinat. C’était un vrai guetapens pour tuer», s’énerve un gardien grassois… Les surveillan­ts agressés se sentent « lâchés ». L’un d’eux évoque sa « nausée ». « Je dors très peu, j’ai repris le tabac. Les journées sont longues et compliquée­s et pas que pour moi. Nous sommes cinq personnes qui travaillon­s pour gagner notre vie, conscients de notre exposition au danger par notre profession, mais pas prêts à subir les manquement­s de la justice ». Me Audrey Massei, l’avocate qui défend les surveillan­ts tentera, à l’audience, de demander une requalific­ation des faits. Ce qui amènerait alors le jeune Roumain devant « Si tu fais une fouille générale aujourd’hui, sur  détenus, tu trouves facilement  téléphones », rapporte Nordine. « Mais si ce n’était que ça », soupire-t-il. La drogue ? « C’est le fléau de la prison », lâche-t-il. Mais le pire, « c’est la violence qui se transforme ».

Douze lames en céramique trouvées en  jours

« Avant on se bagarrait au poing à Nice, quand tu es gardien tu avais intégré le fait que tu pouvais t’en prendre une. On sait gérer une cour d’assises. «On est tendu 24 h sur 24 h. On est obligés de se méfier à 1000 % de tous les détenus », révèle un Grassois. Et la surpopulat­ion de leur prison n’arrange pas les choses. À la fin de l’année dernière l’établissem­ent flirtait avec les 150 % de surpeuplem­ent carcéral. Et, c’est pire à Nice.

% de surpopulat­ion à la maison d’arrêt de Nice

Construite pour 353 détenus, Nice en accueille actuelleme­nt 704 ! Soit près de 200 % de taux d’occupation. les coups de sang des détenus ». Mais depuis quelque temps, les surveillan­ts font face à de nouvelles menaces. « En  ans à Nice, je n’ai jamais vu une bagarre sous les douches. En général c’était vite fait lors de la promenade. Et là en un mois, il y en a eu deux », confie le leader syndical UFAP-UNsa Justice. Il y a un mois environ des détenus se sont pris à coups de pied de table sous les douches. « Ils étaient , il y a eu un mec coupé, on a eu le dessus, on a eu de la chance, aucun de nous n’a été blessé », assène encore « On peut imaginer le peu d’intimité pour les détenus et la nervosité qui en découle », explique Nordine, délégué UFAP-UNsa Justice. Sans parler du quartier femmes. Prévu pour 39 détenues, elles y sont 70. «Douze matelas par terre, ça devient chaud ».

« Jamais un mot pour la pénitentia­ire »

«La pénitentia­ire souffre, ses personnels en prennent plein la gueule et il faut que ça se sache », se lâche un surveillan­t. «Menaces, insultes, on a compris que ça fait partie du Nordine. Qui évoque une sorte de déclic. « Maintenant, ils se disent on peut y aller sous les douches. Vers le  février, il y en a eu une autre. Un règlement de comptes entre Marseillai­s. Un détenu s’est pris un coup de couteau dans le dos, on a retrouvé seulement le manche caché dans l’aération. Il a fallu intervenir sans savoir s’il y avait encore des lames et il y avait du sang partout ». Les couteaux en prison ? « En céramique. Ils arrivent par projection­s [ndlr. Ils sont lancés par dessus le mur d’enceinte]. En moins de  jours on en a récupéré  ! » package avec l’uniforme, mais maintenant, il y a aussi la peur de ce type d’agressions pour tuer », ajoute l’un de ses collègues. Ils en ont gros sur la patate. « À chaque cérémonie, à chaque discours d’un ministre, d’un élu, les policiers nationaux ou municipaux, les gendarmes, les pompiers sont félicités, remerciés. Jamais un mot pour la pénitentia­ire. Nous, on n’existe pas », assène de son côté, Blandine, déléguée FO à Nice. «Certains viennent travailler la boule au ventre. D’autres sont en dépression », confirme Nordine. « Il faut être à 100 %, sinon ça ne pardonne pas. Quand on voit un collègue qui n’est pas bien on le met à un poste périphériq­ue. On le sort de détention. Au mirador par exemple pour souffler un peu ». Et souffler, ils disent en avoir besoin. Les gardiens ne comptent plus les heures supplément­aires. «Certains en font 108, le maximum autorisé en trois mois », rapporte le délégué UFAP-UNsa. « C’est un métier difficile et qui le devient de plus en plus », confie Blandine. « Les incidents sont de plus en plus nombreux et ils changent de forme», renchérit Nordine. En novembre 2016, à Nice, le nombre d’agressions avait déjà dépassé de 20 %, le nombre pour toute l’année 2015.

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(Photo Franck Fernandes) À Nice, sur la photo, comme à Grasse, les surveillan­ts sont de plus en plus désabusés. Et inquiets des dangers qu’ils courent.

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