Najat Vallaud-Belkacem: «La France a changé»
La ministre de l’Éducation vient de publier «La vie a plus d’imagination que toi». Elle y raconte son enfance marocaine et son arrivée en France, mais y martèle surtout ses convictions multiculturelles
De la petite fille qui partait chercher l’eau au puits, dans son village natal du Rif, à la ministre des Droits des femmes puis de l’Éducation… Sacré parcours, à 39 ans à peine, que celui de Najat Vallaud-Belkacem ! Il résume à lui seul le potentiel d’une école de la République qu’elle revendique plus égalitaire que jamais. Najat, «fille du regroupement familial », se raconte un peu dans La vie a plus d’imagination que toi (1). Elle y pose surtout, avec passion et intransigeance, sa vision d’une société ouverte.
Vous vous dites secrète. De fait, vous vous livrez assez peu dans cet ouvrage, très politique…
L’idée, à travers mon parcours, était d’avoir une réflexion sur notre époque. Au terme d’un quinquennat comme celui-là, j’y vois plus clair sur la façon dont beaucoup de choses fonctionnent et dysfonctionnent : que ce soit sur l’engagement politique qui est tellement dénigré, sur le déclinisme ambiant dans lequel je ne me reconnais pas, ou sur le récit médiatique qui me semble empreint de trop de noirceur. Au-delà du récit personnel, ce livre est bien entendu un objet politique, l’occasion pour moi de revenir sur les combats et les réformes qui ont été menés, et de montrer qu’il n’y a pas de fatalité avec de l’action politique.
Votre arrivée en France, à cinq ans à Amiens, s’est bien passée. Vous parliez berbère et vous avez très vite maîtrisé le français. Qu’est-ce qui a bien fonctionné, dans votre cas ?
Il est toujours délicat de vouloir servir d’exemple, parce que c’est multifactoriel, il n’y a pas d’explication simple. D’autres enfants, dans les mêmes conditions, ont pu s’en sortir moins bien ou différemment. Il n’y a pas de recette miracle, et beaucoup de chance. En ce qui me concerne, la lecture et l’école ont très vite représenté un moyen de me dépayser. Il y avait de l’appétence et non de la contrainte, aussi parce que je n’avais pas d’autres occasions de sortie. Et puis j’avais une très grande curiosité, une volonté de m’adapter à chaque pas, d’en apprendre le plus possible.
Vous réfutez l’idée d’assimilation et préférez celle d’intégration. Vous êtes pourtant un parfait exemple d’assimilation…
Non, dans la mesure où je n’ai pas le sentiment d’avoir renoncé à mes racines, à mon histoire. Je comprends votre question dans la mesure où dès que je me suis engagée en politique, j’ai voulu être une femme politique comme les autres, je n’ai pas cherché à porter en bandoulière mes origines. Pour autant, j’ai toujours considéré comme un enrichissement de pouvoir mêler deux cultures, de parler, en plus du français, le berbère. Il n’y a pas chez moi de renoncement, alors que l’assimilation est une injonction à renoncer à une part de soi. Or, cette injonction, ça n’est pas ce qui a fait la France, bien au contraire. La France universelle, c’est celle qui a su s’enrichir, tout au long de son histoire, d’influences culturelles diverses.
Quelles sont ces « frontières invisibles » que vous dénoncez ?
Elles ne sont pas propres aux Français issus de l’immigration. Ceux qui sont au bas de l’échelle voient bien la difficulté à la gravir et combien ils sont mal informés pour y parvenir. C’est pour cela que je suis si attachée à ce qu’on ouvre les portes des grandes écoles aux élèves venant des quartiers difficiles, à ce qu’on informe mieux sur les orientations, à ce qu’on donne vraiment toutes les chances de réussite à chacun – je pense notamment au collège. Outre les frontières matérielles, bien réelles, il y a aussi ces frontières à l’intérieur des têtes, liées très souvent à l’absence d’exemples. Quand on vit dans un environnement où l’unique perspective semble le chômage, on a du mal à se projeter pour réaliser ses rêves. C’est aussi pour cela que je me suis décidée à écrire. Raconter une histoire d’ascension sociale est une façon d’inciter d’autres jeunes à dépasser ces frontières intérieures et à se dépasser.
Vous pointez le grand écart entre les mots d’en bas et les mots d’en haut. Les élites sont-elles à ce point coupées du peuple ?
On ne peut pas se contenter de constater cette coupure entre une France dite d’en bas et une France dite d’en haut. Si on ne veut pas laisser l’extrémisme et les discours anti-système répondre à ce malaise-là, nous devons nous interroger sur nos propres fonctionnements. Il reste beaucoup trop de champs de responsabilité, dans l’entreprise, la politique ou les médias, où on ne croise que trop rarement des gens issus de milieux modestes : on doit tout faire pour que se rencontrent toutes ces sphères qui font la France, et que ceux qui prennent les décisions aient connu les maux dont ils ont à traiter. Vous défendez la réconciliation, une diversité qui ne se cache plus. Comment peut-on réduire aujourd’hui les fractures du pays ? La réconciliation, c’est d’abord s’accepter tel qu’on est. Je suis très étonnée des discours qui prospèrent sur une sorte de nostalgie de la France d’avant. On le voit pour l’école, où beaucoup s’imaginent que celle de la IIIe ou de la IVe République était un âge d’or, et refusent de s’adapter au contexte actuel. Mais la France a changé. L’école s’est démocratisée et s’est ouverte à tous les enfants de la République. C’est une chance, c’est une richesse et nous devons parler à tous ces citoyens en devenir pour qu’ils se reconnaissent dans notre République. Cela passe notamment par l’enseignement de l’histoire de France dans toute sa complexité. Tout simplement, l’histoire de la France telle qu’elle est, dans laquelle chacun comprendra sa propre histoire. Ce qui nourrit le déclinisme est en outre la propension médiatique à ne couvrir que les choses qui dysfonctionnent et à ne plus laisser la place aux belles histoires d’ascension sociale ou d’entraide solidaire, notamment. La noirceur l’emporte. Et à force de dire que l’ascenseur social ne marche pas, que l’école est devenue une catastrophe, que notre modèle social ne tient pas, alors que ce n’est pas vrai, on finit par inciter certains à tout envoyer balader et à voter pour l’extrême droite. La réconciliation passe aussi par la capacité à raconter les choses qui vont bien. A l’étranger, la perception de notre pays est infiniment plus positive qu’elle ne l’est chez nous.
Vous évoquez tout ce qui a été fait pour accentuer l’égalité des chances à l’école. Pourquoi n’en voit-on pas les effets ?
Il ne suffit pas d’investir ou de créer des postes pour que tout le monde le perçoive aussitôt, surtout quand dans le même temps on recrée une formation des professeurs, ce qui signifie que pendant deux ans les nouveaux venus sont en école du professorat avant d’arriver dans les classes. On aura créé durant ce quinquennat postes dans l’éducation. Mais on ne les a pas répartis de façon uniforme sur le territoire. On les a installés avant tout là où il y en avait le plus besoin, dans les quartiers en difficulté, et là où la démographie augmentait. Par ailleurs, il y a forcément un décalage temporel. Les réformes éducatives ne produisent leurs effets que quelques années plus tard, une fois qu’une génération en a bénéficié. La dernière enquête Pisa, assez mauvaise, souligne le niveau des élèves qui ont suivi une scolarité avant . Nos réformes seront évaluées en ou . Enfin, la polémique permanente prend le pas sur les réalisations qui, lorsqu’elles font consensus, ne sont pas commentées. On a ainsi réduit le nombre de décrocheurs annuels de par rapport à . En revanche, quand certains prétendent qu’une réforme a été menée pour supprimer l’accent circonflexe, ce qui est absolument faux, ça prend une place considérable dans les débats.
La réforme des rythmes scolaires, mise en oeuvre avant votre arrivée à l’Éducation, n’a pas joué son rôle égalitaire ni tiré les enfants vers le haut, du fait d’activités souvent au rabais…
La grande complexité de cette réforme est qu’elle a reposé sur plusieurs acteurs, l’État s’étant appuyé sur les mairies pour la mettre en oeuvre. Indéniablement, il y a des endroits où il faut que les choses s’améliorent. La pression doit être mise sur les mairies qui ne jouent pas le jeu, c’est un travail de dentelle. Mieux vaut à mes yeux mener ce travail de longue haleine, l’accompagner par un financement de l’État, que revenir en arrière, sachant qu’avant, avec la semaine de quatre jours – une exception française qui n’aura duré que cinq rentrées entre et –, les élèves pâtissaient d’apprentissages extrêmement intensifs, tandis que les activités de loisir étaient réservées aux enfants dont les parents avaient les moyens de les leur offrir.
Vous soutiendrez Benoît Hamon jusqu’au bout, quelle que soit sa position dans les sondages ?
On vit une période particulière où tous nos repères sont brouillés. Dans ce contexte, il est important de se positionner non en fonction des sondages mais de convictions. L’émancipation sociale, la protection des individus, l’investissement dans la formation sont des valeurs qui me tiennent à coeur et j’estime que le projet de Benoît Hamon est le mieux à même de les défendre.
S’accepter tel qu’on est ”