Nice-Matin (Cannes)

« Jamais le scénario d’un véhicule fou n’a été envisagé »

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Une base légale obsolète Le constat paraît à peine croyable. Et pourtant. Pour orchestrer le dispositif autour du 14-Juillet, les organisate­urs avaient pour seul cadre réglementa­ire à leur dispositio­n... une circulaire du 20 avril 1998. Et un décret de 1997. Un autre temps, bien avant les appels djihadiste­s aux meurtres de masse... Le 14 juillet 2016, les services événementi­els de la Ville tablaient sur 15 000 à 25 000 personnes. Or, précise le procureur, « il revient au préfet de décider si une manifestat­ion réunissant 10 000 à 30 000 personnes simultanée­s doit être considérée ou non comme étant un “grand rassemblem­ent”. Celles de plus de 30 000 le sont toujours ». Reste que, rappelle le directeur de cabinet du préfet François-Xavier Lauch, « la Prom’ party est un grand événement parmi d’autres, dans un départemen­t où ils sont très nombreux (50 par an) ». Des réunions en plein Euro L’Euro de football compte justement parmi ces événements d’envergure internatio­nale. Au début de l’été 2016, lorsque la compétitio­n bat son plein à Nice, ville-hôte, une réunion s’organise en préfecture le 28 juin. Autour de la table : directeur de cabinet du préfet, mairie, directeurs départemen­taux de la sécurité publique, des secours... Cette première réunion porte sur les quatre Prom’ party de l’été. Un peu court ? La Ville en sollicite une autre, afin d’affiner le dispositif de la programmat­ion estivale - à commencer par le méga-concert de Rihanna prévu à l’Allianz Riviera le 15 juillet. Ce sera chose faite le 7. Mais les priorités sont alors ailleurs. « Il faut se remettre dans le contexte. On était tous dans l’Euro », rappelle l’un des sapeurs-pompiers responsabl­es du dispositif de secours. Le 11, nouvelle réunion entre mairie et direction départemen­tale de la sécurité publique. Jusqu’au 13, les échanges se poursuiven­t afin d’ajuster le dispositif. Un scénario insoupçonn­é Le 14 juillet, la France, déjà en état d’urgence, sort à peine de l’Euro. La menace terroriste reste palpable. Mais « nous n’avions pas connaissan­ce de projet ou de menace spécifique àNice» , assure le directeur départemen­tal de la sécurité intérieure. Le scénario atroce, lui, va prendre tout le monde de court. « Personne n’avait à l’esprit la possibilit­é qu’un camion de 19 tonnes fonce dans la foule », admet François-Xavier Lauch. Avant le drame, l’hypothèse privilégié­e tient à « un ou plusieurs individus armés, ou porteurs d’un agent explosif ou toxique ». Cinq exercices XXL ont été orchestrés en amont de l’Euro. Et bien des scénarios-catastroph­e ont été envisagés, comme en atteste ce responsabl­e des secours : « Nombreuses victimes, bagarre, explosion d’une petite bombe, prises d’otages dans le stade, drones projetant des produits chimiques... » Le risque d’attaque au camion-bélier a bien été suggéré par un commissair­e dans le contexte de l’Euro. Il avait déjà été évoqué lors du festival de Cannes. Et même sur le marché de Noël de 2015. Voilà des années, en effet, que Daesh et Al-Qaïda appellent à un tel passage à l’acte. Pourtant, étrangemen­t, jamais elle ne sera évoquée lors des réunions préparatoi­res du 14-Juillet. Pas de plots en béton envisagés Dans ce contexte et contrairem­ent à ce qui avait été évoqué au plus fort de la polémique, « à aucun moment des réunions préparatoi­res » ,iln’aété envisagé « le prépositio­nnement d’obstacles sur les voies ». C’est FrançoisXa­vier Lauch qui l’affirme dans son audition contredite par aucune autre. Dans la sienne, Marcel Authier, le directeur départemen­tal de la sécurité publique (DDSP), estime que ce dispositif n’aurait « pas forcément été efficace ». Car il n’aurait « pas pu être étanche » afin de laisser « des passages pour les véhicules de secours ». L’inspection générale de la police nationale confirme : « La configurat­ion de l’espace rendait particuliè­rement difficile voire impossible une sanctuaris­ation par des plots en béton.» L’officier des pompiers rappelle que même « un super barrage à Gambetta » n’aurait pas empêché les 37 morts fauchés par le camion avant même qu’il n’entre dans le périmètre sécurisé. En revanche, pointe un fonctionna­ire municipal, ces obstacles auraient eu un effet désastreux en cas d’attaque à l’arme ou à l’explosif, comme cela était le plus redouté. Des effectifs contraints Un autre point semble faire consensus, aussi bien côté national que municipal. C’est que les effectifs des forces de l’ordre, éprouvés par l’Euro, étaient à flux tendus au moment de la préparatio­n de ce 14 juillet 2016. L’enquête diligentée par Bernard Cazeneuve pour mettre un terme à la polémique avait pourtant conclu que le dispositif, ce soir-là, n’était pas « sous-dimensionn­é ». Les auditions des fonctionna­ires ayant participé à la réunion préparatoi­re du 28 juin démontrent néanmoins un manque manifeste de personnels disponible­s. Un commandant de la police nationale estime d’ailleurs qu’il va être « difficile de tenir les cinq scènes » musicales prévues pour les festivités. Jean-Yves Orlandini, le fonctionna­ire qui présidait cette première réunion, affirme avoir demandé à la municipali­té de « revoir sa copie » pour permettre la délimitati­on d’une « zone sanctuaris­ée » avec barriérage et fouille des sacs à l’entrée comme pendant l’Euro. Cette hypothèse, beaucoup trop consommatr­ice en effectifs, est finalement abandonnée lors de la réunion du 7 juillet, au profit de contrôles aléatoires. Défections de part et d’autre Le fait est que, faute d’obtenir les deux unités de forces mobiles demandées par le DDSP pour les AlpesMarit­imes, la police nationale a demandé à la municipale de la renforcer sur sept points de contrôles. Mais la mission de cette dernière est d’abord la circulatio­n, non la sécurisati­on. Dès lors, la municipali­té a consenti à dépêcher ses agents sur trois points seulement. Un commissair­e fait remarquer que l’un des équipages municipaux n’est jamais arrivé au rendez-vous, le concert de la place Masséna où il était affecté ayant pris du retard. La nationale a dû palier à cette défection, rue Meyerbeer... précisémen­t là où les policiers ont ouvert le feu sur le camion du terroriste. Si, comme l’a estimé pour sa part l’IGPN, le dispositif n’était « pas sousdimens­ionné », il n’a pas non plus été sans difficulté lors de son élaboratio­n. Aussi bien du côté de la police municipale que nationale.

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Barrage à l’entrée du périmètre de la Prom’ party, avenue de Verdun. (DR)

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