octobre : un
L’ambassadeur Hasekura Rokuemon, est le premier Japonais à avoir mis le pied en France. En chemin pour rencontrer le pape, la tempête a poussé ses navires vers le petit port, stupéfait
Si les Tropéziens furent habitués à voir de nombreux navires faire relâche dans leur golfe à cause de mémorables tempêtes, en ce jour du 6 octobre 1615 la stupéfaction s’empara du petit port. L’arrivée imprévue de deux frégates catalanes accompagnées d’un Byzantin génois n’en fut pas la cause première et en bons commerçants les responsables locaux n’oublièrent pas de leur faire payer un droit d’ancrage de cinq sols par mât, avant de les autoriser à pourvoir à leur ravitaillement en eau et en vivre. Ces formalités faites, on autorisa les passagers à débarquer et là, l’étonnement fit place à une curiosité bien naturelle, car en lieu et place des équipages habituels du pourtour méditerranéen, on vit descendre « un homme de petite taille et fort basané et le nez fort court et plat, et ayant derrière la tête, le poil long d’un demi pan suivit de sept pages tous fort bien vêtus et tous camus ». C’est ainsi que les observateurs de l’époque décrivent la scène. En plus des secrétaires, laquais, cuisiniers et trois cordeliers, suivait un jésuite, le père Sotelo, qui put expliquer les raisons d’un pareil équipage.
Ambassadeur auprès du roi d’Espagne et du Pape
Les consuls, et ensuite la population tropézienne, apprirent que ces étranges personnages arrivaient du Japon, île lointaine baptisée par Marco-Polo « Cipangu ». Le petit homme, chef de la délégation, répondait au nom de Hasekura Rokuemon. Il était l’ambassadeur extraordinaire du Daimyo Date Masamune, gouverneur de la région de Sendaï, auprès du roi d’Espagne Philippe III et du pape Paul V. Cette mission avait pour objectif de favoriser des échanges commerciaux et l’envoi de missionnaires chrétiens. Cette ambassade extraordinaire était partie des côtes japonaises le 15 septembre 1613 à bord d’un vaisseau retapé, le San Juan Bautista, avec 180 hommes à bord, pour rejoindre les Philippines avant la grande traversée du Pacifique. Ce fut ensuite Acapulco, puis Mexico où la délégation fut reçue en grande pompe par le vice-roi d’Espagne. Le voyage reprit pour Vera Cruz, la Havane et enfin l’Europe, dont la première étape fut Séville et enfin la rencontre avec Philippe III à Madrid. Hasekura Rokuemon lut la lettre de son Daimyo au grand roi catholique et s’étant converti au christianisme, il reçut le baptême sous le nom très chrétien de Philippus Franciscus Faxecura Retuyemon en présence du roi et de l’infante Anne d’Autriche, future femme du roi de France Louis XIII et mère de Louis XIV. Mais il fallait reprendre la route pour la rencontre avec Paul V. Le San Juan Bautista s’étant difficilement remis de sa longue traversée, on mit à la disposition des voyageurs ces deux frégates et ce bizantin que la tempête poussa sur Saint-Tropez. La France, pays diplomatiquement peu connu des Japonais, n’était pas au programme. Ce sont les éléments déchaînés qui en décidèrent autrement.
Des mouchoirs jetables en papier de soie
De cette courte escale tropézienne, il reste les témoignages de René de Grasse, seigneur de Saint-Tropez, de son épouse et du Sieur Fabre, notaire retrouvés à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras dans le fonds de M. de Peyresc, conseiller au parlement de Provence et grand érudit. Les descriptions données sont révélatrices du choc provoqué par cette rencontre ethnique qui fit l’effet d’une bombe dans le microcosme tropézien de l’époque. D’abord conscient de l’importance de cette délégation et de l’honneur qui retombait sur la ville, on logea l’ambassadeur chez la dame veuve du Sieur Honoré Coste, qui fut le premier capitaine de ville en 1558. L’adresse est aujourd’hui celle du 22 de la rue Cépoun Sanmartin. Ensuite une rencontre très protocolaire fut organisée entre le seigneur de Saint-Tropez René de Grasse et l’envoyé très spécial. Voici ce que relate dans son témoignage le seigneur: « Ils ne quittent jamais leurs épées et dagues qu’ils portent aux deux côtés comme les femmes de ce pays leurs quenouilles. Ces épées et dagues sont en façon de ce cimeterre, (NDLR : sabre un peu courbé et de moyenne longueur) et sont s’y fort tranchants que y mettant un feuillet de papier et soufflant, ils coupent le papier, et leur papier est beaucoup plus délié que le nôtre et est fait de soie, sur lequel ils écrivent avec un pinceau en tenant de haut en bas. » Ils sont également très marqués par la religiosité qu’ils expriment à tous moments : « L’ambassadeur ne sortait point que pour aller à la messe et l’entendait à genoux et baisait la terre et se frappait la poitrine dix et quinze fois tant qu’il pouvait… » René de Grasse fut également surpris de voir l’ambassadeur et ses pages se jetaient à genoux en entendant la cloche de l’Ave Maria sonnait. Les Tropéziens ne sont pas au bout de leur surprise: « Ils mangent avec des petits bâtons dans les doigts avec lesquels ils prennent aussi bien le riz qu’avec nos cuillers… » Madame de Saint-Tropez, épouse de René de Grasse, fut intriguée par un détail très particulier : « Ils se mouchent dans des mouchoirs de papier de soie de la Chine, de la grandeur de la main à peu près, et ne se servent jamais deux fois du même mouchoir, de sorte que toutes les fois qu’ils se mouchent, ils jettent leurs papiers par terre, et beaucoup prenaient du plaisir de les voir ramasser par ceux qui allaient les voir, certains se pressaient ou s’entrebattaient pour ramasser ceux de l’ambassadeur qui étaient brodés de ses armoiries sur les bords comme les plus riches mouchoirs des dames de la cour. Ils en ont une grande quantité sur eux et en ont apporté des provisions suffisantes pour ce long voyage. » Ce sont en fait des mouchoirs jetables avant l’heure.