À Toulon, un ex-officier de marine vient en aide aux migrants « Migrants : mais que fait l’Europe ? »
Jacques Perrier a lancé il y a deux ans, le mouvement Welcome dans le Var : cinquante familles qui accueillent des demandeurs d’asile le temps de leurs démarches. Il en faudrait quatre-vingt
J’ai été officier de marine sur les bateaux gris là-bas. » Jacques Perrier pointe du doigt la mer, qui se repose sous son balcon, comme le bleu dans un monochrome du peintre niçois Yves Klein. Du bleu, rien que du bleu, libéré de toutes frontières. Jacques Perrier est coordonnateur dans le Var, du mouvement Welcome. Cette initiative a été proposée au départ en région parisienne par le Service jésuite des réfugiés. Elle s’est ensuite développée depuis dans toute la France. Soutenu par son épouse, ce Toulonnais héberge chez lui des migrants isolés – « de toutes confessions », précise-t-il – ou leur trouve des refuges chez l’habitant. Les centres d’accueil des demandeurs d’asile de Toulon, Hyères et Tourves sont saturés. Ils reçoivent en priorité les familles et les femmes seules. Lui et quelques bénévoles varois, se chargent des autres, comme Moussa*, 23 ans. Il lui a fallu huit mois pour arriver de sa Guinée natale. Il parle français. Il a été repêché par SOS Méditerranée au large de l’Italie. Ils étaient 120 sur un pneumatique qui allait rendre l’âme à force de se dégonfler. Mais il a résisté jusqu’à ce que l’Aquarius les croise dans leur dérive. « J’ai eu peur de mourir », confie Moussa.
Prison, travaux forcés et tuberculose
Il fait partie de ces migrants passés par la Libye, le pays qui fait peur, le pays où il a été jeté en prison, où il a vécu les travaux forcés. Il n’aime pas en parler. Le voilà à présent dans cet immeuble chic du Mourillon, enfin guéri de la tuberculose. La carte Vitale comprenant les CMU de base et complémentaire, auxquelles il a droit en sa qualité de demandeur d’asile, lui a permis de se soigner. Il attend sa convocation à Paris pour un entretien obligatoire avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Jacques Perrier a mis un studio à sa disposition. Mais quand il a besoin de quelque chose, Moussa sonne à sa porte. Ce jour-là, il est préoccupé. Il n’a plus de quoi payer sa carte de bus. Ses allocations de demandeur d’asile – 11 euros par jour – ont en partie été envoyées à sa mère malade en Guinée. Sa mère à qui il n’avait pas dit qu’il partait. Jacques Perrier va lui trouver une solution. Pendant qu’ils discutent, Ditmir* est sorti fumer sur le balcon, calme et ensoleillé. Il a 25 ans. Il vient du Kosovo. Il a payé 2500 euros pour qu’un passeur l’aide à franchir la frontière à Vintimille, caché dans un camion. La moitié des jeunes sont au chômage dans son pays. C’est sans espoir. Mais il est surtout parti pour des raisons politiques, dit-il. Il vit dans le grand appartement de Jacques Perrier le temps d’obtenir sa carte de réfugié. « J’ai une totale confiance en lui. Je lui ai confié les clés le temps d’un voyage », confie le Toulonnais.
Dernier recours à Paris
Il arrive au terme des huit semaines d’hébergement réglementaires, fixées par Welcome. Après, le réseau doit lui trouver une autre famille d’accueil. Il en est à la quatrième. « Les délais pour étudier les dossiers sont très longs. Pourtant, le gouvernement dit qu’il veut les réduire », regrette Jacques Perrier. « Pendant ce temps, ils n’ont pas le droit de travailler et s ont à la charge de la communauté. » Il y a trois mois, l’OFPRA a rejeté la demande d’asile de Ditmir. Hier, il est parti pour Paris. Son recours va passer devant la Cour nationale des droits d’asile. C’est la fille de Jacques Perrier qui prendra le relais de ses parents et hébergera le jeune Albanais. Il devra ensuite patienter entre quinze jours et trois mois pour avoir une réponse. Comme Moussa, il court le risque d’être qualifié de migrant économique. S’il est débouté, tout est foutu. Soit il rentre dans son pays avec l’aide de l’État et un petit pécule; soit il rejoint les milliers de sans-papiers en France. Une vie sans lendemain. La famille Perrier a déjà accueilli six migrants. Avec les voisins, ça se passe bien. Le gardien de l’immeuble est toujours averti. Lui, l’officier toulonnais, qui commandait l’Intrépide avant de travailler dans l’industrie pétrolière, continue d’accomplir son devoir. Mais celuilà, il ne l’avait pas imaginé. « Je suis chrétien, de confession protestante. Quand on a ces valeurs, il faut les mettre en pratique et pas seulement aller à la messe le dimanche.» À 75 ans, Jacques Perrier, dit calmement ce qu’il pense. Quand il a lancé le mouvement Welcome dans le Var, il y a deux ans, cinq familles se sont proposées pour accueillir des migrants. Elles sont à présent cinquante, il en faudrait quatre-vingt pour recevoir une quarantaine de demandeurs d’asile. « Donc, je recrute », lance Jacques Perrier. Ces familles vivent à Toulon et dans son agglomération ainsi que dans le moyen et l’est Var. Les migrants sont essentiellement Guinéens, Afghans et Soudanais. Les volontaires sont également les bienvenus pour donner des cours de français. C’est la question que nombre de personnes, confrontées au drame des migrants, se posent. C’est le thème du débat public, qui se tiendra le jeudi mars de h à h, au siège de Nice-Matin. Parmi les invités figurent Olivier Onidi, de la direction générale Migration et Affaires intérieures au sein de la commission européenne ; André Ipert, maire de Breil, petite commune de la vallée de la Roya, dans laquelle s’e ngouffrent les migrants, qui passent la frontière de Vintimille et espèrent rejoindre Paris, l’Allemagne ou l’Angleterre ; ou encore René Dahon, militant de l’association Roya citoyenne, qui nourrit et héberge les migrants bloqués dans cette vallée. Pour assister à ce débat, où le nombre de places est limité, il faut s’inscrire avant le lundi mars en envoyant un mail à redacchef@nicematin.fr