Nice-Matin (Cannes)

La faute aux médias?

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Par CLAUDE WEILL « Ah, vous, les journalist­es ! » Comme, j’imagine, beaucoup de confrères, il ne se passe pas une journée sans que je ne sois interpellé sur le rôle de la presse dans cette campagne électorale. L’accusation vient principale­ment des partisans de François Fillon. Elle est grave : les journalist­es, par parti pris ou pour « vendre du papier », auraient faussé l’élection présidenti­elle. Voire commis un « hold-up » contre la démocratie. Loin de moi l’idée de me lancer dans la défense corporatis­te d’un milieu qui n’est certes pas irréprocha­ble. Il est légitime de critiquer la presse. De pointer ses erreurs, de dénoncer ses excès ou ses lâchetés. Nous vivons dans une ère où tous les pouvoirs sont remis en question et sommés de rendre des comptes. Il n’y a pas de raison que le e pouvoir y échappe. Le procès actuel, d’une virulence exceptionn­elle, mérite à tout le moins qu’on examine sérieuseme­nt les pièces du dossier. Que les militants, quel que soit leur camp, de l’extrême gauche à l’extrême droite, se plaignent du traitement réservé à leur champion, c’est humain. Nous sommes ainsi faits que nous avons tendance à trouver « objectifs » ceux qui pensent comme nous. À survaloris­er les faits et gestes de notre candidat et à nier ou minimiser ce qui pourrait lui porter tort. « Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances » (Marcel Proust). Ce qui est inhabituel, et même inédit dans notre histoire récente, c’est qu’une « affaire » impliquant un candidat, parmi les favoris, ait à ce point dominé la campagne, monopolisé les débats et finalement – à en croire les sondages – autant pesé sur le choix des électeurs. La faute aux journalist­es ? Que la presse en ait fait beaucoup sur « l’affaire », c’est l’évidence. Qu’elle lui ait accordé trop de place, au détriment des sujets « de fond », je ne suis pas loin de le penser. Cela dit, quelques remarques s’imposent. « La » presse, « les » médias, cela n’existe pas. Il y a « des » médias. Sauf à tous les emballer dans le même sac, de Médiapart à Valeurs actuelles, ce qui n’aurait aucun sens. Le pluralisme est le meilleur antidote à la partialité. Les citoyens ont le choix. On ne peut pas reprocher aux journalist­es une chose et son contraire. De faire preuve de voyeurisme ou d’acharnemen­t

« Contrairem­ent à une croyance naïve, la presse ne “fait” pas l’élection, parce qu’elle ne “fait” pas l’opinion. »

dans le traitement des « affaires » ; et en même temps, de manquer de pugnacité, de pratiquer la connivence avec les puissants, de « cacher les choses ». Deux accusation­s que l’on entend partout ; et parfois, étrangemen­t, dans la bouche des mêmes... Nul ne sait comment l’affaire Fillon se soldera sur le plan judiciaire. Mais un certain nombre de faits sont déjà avérés, et reconnus par l’intéressé. La presse ne les a pas inventés – pas plus qu’elle n’a inventé les démêlés de Marine Le Pen avec la justice ou l’embauche des filles Le Roux. Libre aux citoyens de se faire leur propre jugement et d’en tirer les conséquenc­es politiques. Contrairem­ent à une croyance naïve, la presse ne « fait » pas l’élection, parce qu’elle ne « fait » pas l’opinion. Les études de médiologie et la simple observatio­n des faits le prouvent. Que la grande majorité des éditoriali­stes aient plaidé pour le « oui » n’a pas empêché le « non » de l’emporter en . Que la quasi-totalité des journaux américains aient été hostiles à Trump ne l’a pas empêché d’être élu. Nous vivons dans une société de défiance. Elle atteint la presse comme les autres institutio­ns. Les politiques l’ont compris, qui cherchent à s’exonérer en tapant sur les médias. Ce serait se tromper sur les ressorts de l’opinion que de surestimer l’influence des journalist­es, alors que leur voix est de plus en plus concurrenc­ée par celles des réseaux sociaux. Lesquels, soit dit en passant, ont colporté, au fil de cette campagne, bien plus d’erreurs, d’intox et de manip.

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