Les paradoxes de Macron
Si c’était un animal, ce serait peut-être un okapi, moitié zèbre, moitié girafe. Ou un ornithorynque, ce mammifère pondant des oeufs que les naturalistes ont longtemps pris pour une chimère. Tout comme les politologues et experts de tous poils avaient depuis longtemps décrété qu’un candidat hybride, ni gauche ni droite, ou de gauche et de droite, qui prétendrait transcender les clivages et prendre l’Élysée en passant par le centre, c’était une chimère. Une fantasmagorie. Cela ne pouvait pas exister. Ça n’existe pas. Et pourtant… Il faut se rendre à l’évidence : Emmanuel Macron existe. La bulle, la fameuse bulle qui devait éclater aux premiers coups de feu, est toujours là. Elle a fait mieux que résister. Elle gonfle et prospère. À jours du premier tour, la plupart des instituts de sondages le placent en tête du premier tour. Et le donnent favori au second. Nul ne sait comment finira cette Marche à laquelle bien peu croyaient, le fait est qu’Emmanuel Macron, ou plutôt le phénomène politique nommé Macron, constitue d’ores et déjà l’événement majeur, la nouveauté et le facteur d’incertitude de cette élection imprévisible. Preuve qu’on peut bâtir une hypothèse politique crédible avec une somme de paradoxes qui sont a priori autant d’éléments de fragilité. Récapitulons. Lui qui cultive une image de tolérance, de bienveillance, et interdit à ses supporters de siffler dans les meetings, suscite en retour chez ses adversaires et sur les réseaux sociaux des allergies et des haines sans pareilles. Se placer au centre, c’est multiplier par deux le nombre de ses ennemis. Pour les hollandais du premier cercle, il est un traître, un Brutus. Pour Fillon, le parfait disciple et continuateur du Président sortant. Son double, son hologramme. Pour Hamon, un « imposteur », un homme de droite ; pour la droite, un socialiste masqué. Pour Marine Le Pen, le pur produit du «système» qu’il récuse. La synthèse vivante des deux forces – PS et Les Républicains – qui ont pourtant fait de lui leur cible principale. Les poids lourds du gouvernement l’ont rejoint ou s’apprêtent à le faire? « Nous n’avons pas fait tout cela pour reprendre les mêmes », cingle-t-il dans Le Monde, soulignant à plaisir ses divergences avec Hollande. Il aura besoin, au second tour, du soutien du PS et des Républicains ? Il n’a que dédain pour ces «vieux camps». Sa candidature aimante des personnalités venues de tous les horizons politiques ? Il enregistre les ralliements avec une froideur blessante. « Je ne les ai pas sollicités », dit-il. Quand tous les politiques en campagne affichent fièrement leurs trophées, lui les range négligemment dans le placard. Beaucoup – même parmi les siens – se demandent sur quelle majorité il compte s’appuyer ? Il se fait fort d’avoir une majorité à ses couleurs et rejette avec hauteur « la logique des accords d’appareil». On voit pourtant mal comment une formation aussi jeune qu’« En marche ! », sans racines, ni élus, pourrait rafler la majorité du premier coup. Il manque de candidats implantés et expérimentés ? Il interdit la double étiquette, bloquant ainsi la porte à des députés socialistes qui hésitent encore à sauter le pas. Bref, il fonce et brave avec insolence toutes les règles connues du jeu politique, convaincu que le thème du renouvellement est la clef de tout. Et que sur ce terrain, lui seul peut faire échec à Marine Le Pen. Que ce soit dû à son talent, à sa bonne étoile, ou comme le pensent ses ennemis, à un grand malentendu, le jeune homme pressé a bénéficié de circonstances incroyablement favorables : usure des partis traditionnels, crise de la gauche, affaire Fillon. L’espace du centre s’est ouvert devant lui comme la mer Rouge devant Moïse. Il s’y est engouffré. Il lui reste trois ou cinq semaines pour traverser sans encombre. Vu la stratégie qu’il a choisie, il ne peut guère compter que sur lui-même.
« Se placer au centre, c’est multiplier par deux le nombre de ses ennemis. »