La marque jaune Chiffres
On va être franc, au moment du tirage au sort on a croisé les doigts pour que le destin nous offre un voyage à Dortmund, une ville minière d’Allemagne sans âme, plutôt grise et pas franchement touristique. La raison ? Le Signal
‘‘ Iduna Park et notamment sa Südtribrüne. Un virage de 25 000 places que l’on voulait voir de nos propres yeux. Parce que 25 000 mecs qui chantent et qui sautent dans un virage, c’est unique en Europe. « Vous sortez sur la pelouse et l’endroit explose, c’est comme sortir de l’obscurité pour trouver la lumière. Vous regardez à votre gauche et c’est comme s’il y avait 150 000 fans debout », lâchait Jürgen Klopp, ancien coach du BvB en parlant de son virage jaune et noir. L’endroit est si mystique et mythique que des tours opérateurs proposent aujourd’hui des voyages clés en main pour se rendre au stade comme on va à la Tour Eiffel ou à la Tour de Pise. En gros, le stade de la Ruhr est devenu «hype». À tel point que certains habitués du Signal Iduna Park voient d’un mauvais oeil l’accumulation de tous ces nouveaux Schwarz-Gelben (jaune et noir) qui viennent se prendre en selfie dans le virage plutôt que de participer à l’ambiance. Une tendance que le club a prise très au sérieux. Depuis deux ans, le club de la Ruhr a sérieusement réduit la connexion internet à l’intérieur de son enceinte pour que les 80 000 spectateurs ne passent pas leur temps sur leur smartphone. Car un match de Dortmund est avant tout une aventure populaire. « Le mur jaune est une véritable représentation de Dortmund, détaille JeanCharles Sabattier, spécialiste du football allemand pour BeIn Sports. Dans les tribunes, le public est varié, ça va du banquier à la prostituée. C’est une tribune très demandée où on ne rentre pas comme ça, il faut être coopté pour s’y abonner ». Globalement, un abonnement dans le virage le plus prisé d’Europe coûte en moyenne 120 euros. A chaque intersaison, une liste d’attente s’étire pour récupérer un précieux sésame. D’ailleurs, depuis quatre ans, le club truste le titre honorifique de la plus grosse affluence européenne (plus de 2 millions de spectateurs à domicile sur la saison). En Bundesliga, c’est d’ailleurs la 17e saison consécutive que le Borussia affiche la meilleure affluence de la saison. Mais ce stade est surtout légendaire pour son virage sud. La fameuse Südtribüne. Construite dans les années 70 avec, au départ 12 000 places, elle a doublé de volume dans les 90’s au moment de la rénovation du stade. Le nom « Mur jaune » n’apparaît qu’au milieu des années 2000. Là, au milieu de l’immense virage, un groupe ultra sort une bâche sur laquelle on peut lire « Gelbe Wand Dortmund » (mur jaune Dortmund). Une bâche accompagnée d’un message reprenant une citation d’Oscar Wilde : « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». Ce à quoi les ultras y ont ajouté : « À la fin de la ruelle sombre brille le mur jaune ». Depuis, les tifos XXL, les décibels ainsi que le traditionnel « You’ll never walk alone » emprunté aux fans de Liverpool ont fait entrer le mur jaune dans la légende. Même les adversaires se méfient de la tribune sud. Lorsqu’en 2015 on a demandé à Bastian Schweinsteiger, milieu de terrain du Bayern Munich et de l’Allemagne, s’il était préoccupé par les joueurs de Dortmund il a répondu : « C’est le mur jaune qui m’effraie le plus. » Sabattier : « C’est un stade incontournable en Europe, un peu comme Anfield à Liverpool. Il faut le voir au moins une fois dans sa vie, comme un pèlerinage. Et puis la véritable star de ce stade, c’est son speaker Norbert Dickel, un ancien joueur du BvB. Vous pouvez avoir Messi ou Cristiano Ronaldo sur
‘‘ la pelouse, le public n’a d’yeux que pour lui ». Stade légendaire en somme. Une légende qui a pourtant une face sombre. Comme dans beaucoup de virage, une guerre interne existe dans le mur jaune. Actuellement, le groupe ultra le plus important est The Unity (800 membres). Un groupe réputé comme apolitique mais dont certains membres ont été aperçus dans des manifestations contre l’extrême droite. À l’opposé, on trouve deux groupes plutôt tendance droite-nationaliste, les Desperados 1999 et le Northside. Dès lors, des affrontements ont souvent eu lieu à l’intérieur même du mur jaune, un peu à l’image du Parc des Princes lors de l’opposition historique entre le Virage Auteuil et le Kop de Boulogne. Sans parler du conflit actuel entre le groupe 0231 Riot, tendance hooliganisme, et la direction. Le club a bien essayé de pacifier ses tribunes mais son service de sécurité a été, à un moment, noyauté par l’extrême droite. Quoi qu’il en soit, les jeunes monégasques devront affronter cette immense foule. « Le public va jouer son rôle mais rien ne dit que les jeunes monégasques seront intimidés, poursuit Sabattier. Ce n’est pas une ambiance agressive ou un traquenard, Dortmund c’est un soutien imposant surtout. C’est vraiment une fête du football, surtout si le spectacle suit sur le terrain. On se moque souvent de l’ambiance bière-saucisse mais c’est un peu l’esprit des matches de football en Allemagne, et surtout dans la Ruhr. C’est une région très portée sur le football, dans un rayon de 50 kilomètres, vous avez de nombreux stades de plus de 40 000 places et complets à chaque match : Cologne, Schalke, Mönchengladbach, Duisbourg, Leverkusen, Düsseldorf. Il faut bien comprendre que la Ruhr était le fer de lance de l’industrie allemande d’un point de vue économique avant de s’écrouler dans les années 90. Dès lors, la détresse du quotidien a été compensée par la passion du football ». C’est pour ça que le mur jaune affiche complet depuis près de quinze ans. « Et il y a ce bruit, assourdissant, conclut Sabattier. Parfois, on ne s’entend pas à un mètre. Et le stade peut trembler sur certains buts alors que c’est un mastodonte...» En mètres, la hauteur de la Südtribüne. A cela, il faut ajouter mètres de profondeur et mètres de largeur. Soit la plus grande tribune d’Europe. En degrés, l’inclinaison de la tribune qui peut accueillir spectateurs debout. En pourcentage, le taux de remplissage du stade de Dortmund la saison passée.