« Le vieux tunnel marche toujours, lui! »
Jean-Pierre Vassallo vient de regagner son bureau, à la mairie de Tende. Son téléphone portable se met à sonner. « Tenez, c’est un journaliste de La Stampa qui appelle… » La conversation sera brève. « Y’a-til un risque de fermeture de la route [menant au col de Tende] ?» Le maire tendasque répond aussitôt en italien, d’un ton ferme, en insistant sur chaque syllabe: « Non! Aucun risque de fermeture! »
Ce message, Jean-Pierre Vassallo le claironne depuis le coup de tonnerre du 24 mai. Dans la Roya, les rumeurs vont bon train depuis que ce nouveau scandale made in Italy a éclaté dans La Stampa. Idem dans le val Vermenagna voisin. « Il faut passer le message: le vieux tunnel de Tende marche, lui. Et les problèmes du nouveau tunnel ne l’affectent en rien ! », renchérit Angelo Fruttero, le maire de Limone.
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Sommet de crise, ce mardi, au col de Tende. A 1870 m d’altitude, les homologues français et italiens contemplent avec consternation l’immense chantier endormi. Engins de percement stationnés, cabanons en préfabriqué vides, clôtures sommairement fermées par une corde… Et là-bas, derrière, ce trou béant dans la paroi rocheuse, d’où ne parvient depuis huit jours qu’un silence assourdissant. La nouvelle galerie, large de 6,50 m, a été conçue pour une voie de circulation, une seconde pour les secours, et un trottoir exigu. Ce second tunnel s’étendra sur 3,2 km, comme son bon vieux voisin, fidèle au service depuis 1882. Fidèle… mais hors d’âge. La galerie historique ne répond plus aux normes de sécurité européennes. Effet collatéral de l’incendie du tunnel du MontBlanc, en 1999. Au col de Tende, quatre sapeurspompiers sont en poste 24 h/24,
positionnés entre ancien et nouveau tunnel. « Heureusement que le Département les finance. Sinon, on ne pourrait pas ouvrir », confie JeanPierre Vassallo. Reste que le second tunnel était dans les tuyaux depuis bientôt trente ans. « Pas un tunnel bis », insiste le maire. Une opération sécurisation, une vraie, visant à dédier chaque tunnel à un sens de circulation. De quoi sonner le glas du feu tricolore à l’entrée, qui contraint parfois les automobilistes à vingt minutes d’attente. De quoi, aussi, reléguer aux oubliettes le temps héroïque où les chauffeurs de poids lourds devaient manoeuvrer sous la montagne pour se croiser…
« C’est catastrophique »
Le tunnel nouveau devait être livré en avril 2018. Et puis, patatras: les limiers de la Finanzia ont débarqué, la justice a dit stop. Verdict: 150 jours de mise sous séquestre. « Ils avaient fait la moitié du tunnel : 500 m côté français, 1 km côté italien. Ils avaient trouvé le rythme de croisière pour être dans les temps », s’étrangle Jean-Pierre Vassallo. Il y a fort à parier, désormais, que les délais ne pourront être tenus. « C’est catastrophique au niveau économique! », s’exclame Laurence Boetti-Forestier. La conseillère régionale de Breil-sur-Roya, membre de la commission transport et transfrontalier de la Région, vient exprimer son inquiétude. « Il faut que l’on travaille à réduire ce délai de 150 jours. Et il ne faut surtout pas que cela impacte la ligne ferroviaire Nice-Breil-Cuneo, pour laquelle la Région doit engager des travaux de sécurisation le 3 septembre… » L’horloge tourne vite, ces jours-ci. Notamment pour ces 84 ouvriers italiens au repos forcé, dont les représentants syndicaux devaient être reçus hier à Rome. « 84 ouvriers renvoyés à la maison », soupire un entrepreneur, qui préfère rester anonyme. Lui-même a acquis plusieurs véhicules, qui ronronnent d’impatience côté italien. « Pour moi, ça va encore, j’ai d’autres chantiers. Mais pour certaines boîtes, ça peut devenir compliqué… »
Mur haut de m fissuré
Et tout cela pour 200 tonnes de métal? Le chiffre peut impressionner. « Pourtant, ça ne représente que
quatre camions, remarque Angelo Fruttero. Pas grand-chose à l’échelle d’un tel chantier. Mais suffisant pour mettre en doute la solidité de la structure… » Et que dire de l’énorme mur de soutènement en contrebas, de 80 m de long et presque 11 de haut, aux vilaines et inquiétantes fissures mal dissimulées ? Ni Angelo Fruttero, ni Jean-Pierre Vassallo ne contestent le bien-fondé du feu rouge judiciaire. « Sauf que les gens, qui s’étaient habitués à la gêne des travaux, espéraient la fin en avril 2018. À présent, on ne sait même pas l’année! » À vrai dire, dans la vallée, ce tunnel new look n’était guère au goût de bien des locaux (lire en page précédente). Trop coûteux. Trop impactant pour l’environnement. Trop propice à attirer les gros tonnages. Qu’à cela ne tienne: Jean-Pierre Vassallo implore la justice d’« accélérer le processus de contrôles nécessaires ».
Du côté des financeurs, hormis la Région, la discrétion est de mise. «Enquête en cours », justifie-t-on. «Onest fortement contrarié, car le chantier était dans les temps », indique-t-on sobrement en préfecture. Au Département, on espère « juste que ce blocage ne durera pas… »