Nice-Matin (Cannes)

« La commémorat­ion a été

Les familles des victimes saluent une cérémonie « digne et fraternell­e »

- LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr ET RAPHAËL AFLALO

Et les noms ont résonné. Un à un. Longue litanie de douleur dans le silence plombé de chaleur. Les noms de leur mère, de leur frère, de leurs enfants, un fils, une fille. Quatre-vingt-six noms. Quatreving­t-six anges. Dans l’espace réservé aux familles de victimes et aux blessés, chaque nom était une entaille au coeur. « Chaque nom disait “au revoir” », ressent Carolina Mondino, 69 ans. Quand est arrivé le nom de sa meilleure amie – Jacqueline Wurtlin – elle s’est fissurée. «J’ai tenu le coup jusqu’à ce moment, un moment très fort, intense » . Puis, il y a eu « les photos, tous ces visages » et Carolina, qui portera «encore longtemps ce sentiment de culpabilit­é d’avoir survécu», a laissé couler ses larmes. Elle, grièvement blessée, a réappris à marcher. Pas à respirer sans Jacqueline. Et pourtant, dit-elle, la commémorat­ion lui a « fait du bien : c’était une très belle cérémonie ».

« Nice était la capitale de la France »

«C’était une cérémonie à la hauteur, digne », confirme Hanane Charrihi, fille de Fatima, 60 ans, tombée la première ce soir de sang sur la Promenade. Contrairem­ent à la minute de silence fracassant­e du 18 juillet dernier, « cette cérémonie parlait de fraternité. Il n’y a pas eu de manque de respect. Seule comptait l’union et c’était bien », «Nice était la capitale de la France », estime Yasmine BouzerganM­arzouk, pour qui trois noms ont résonné plus fort que les autres : celui de son petit cousin, Mehdi Hachadi qui avait 13 ans à peine, de sa tante Fatima Marzouk, et de la petite Amie Vimal. Nice, capitale de la douleur. « C’était la moindre des choses d’avoir enfin une reconnaiss­ance quand nous n’avions eu qu’un hommage national trois mois après l’attentat [le président Hollande n’était venu à Nice que le 15 octobre] », défend la jeune femme de 22 ans. Après la cérémonie, lors d’une audience privée, « le président Macron a pris le soin de parler à chacun d’entre nous, il nous a consacré du temps. Il a répondu à nos questions, la garde des Sceaux nous a donné des détails sur l’avancée de l’enquête ».

« Ça ne ramènera pas nos anges »

« La commémorat­ion a été à la hauteur de nos anges, il y a eu un très gros travail du comité de pilotage, mais ça ne nous les ramènera pas », ajoute tristement Yasmine. « Moi ce que je souhaite c’est partir, peut-être au Canada, pour voir d’autres horizons. Depuis ce jour-là, nos vies ont complèteme­nt basculé. Le temps qui passe me fortifie mais comment oublier ? À Nice pour la première fois, ils ont utilisé un camion bélier. Ce mode opératoire a été repris à Berlin, Londres... Comment vous voulez qu’on se reconstrui­se quand chaque matin on allume la télé et on voit ça… » Le président Macron est un tout petit bonhomme bleu avec les cheveux dressés sur la tête. Pour sa maman, Kenza a choisi le rouge, comme le sang qui coule de son oreille. Sur cette feuille rose, elle a aussi dessiné des ballons bleus, plein de ballons, qui filent vers un soleil radieux et des enfants qui sont montés au ciel. Et puis, dans le ciel, il y a aussi un sac de bonbons mutlicolor­es. Ces mêmes bonbons que le  juillet dernier, Kenza, et sa maman, Hager, venaient tout juste d’acheter au kiosque avant que le camion ne leur fonce dessus. Dix-neuf tonnes de haine et de mort lancées sur elles et leur jolie vie sans histoires. En une seconde, Hager a plaqué Kenza contre son ventre, sa fille tout contre elle, et s’est jetée sous le camion. Elles sont passées entre les roues, miraculées, une oreille qui saigne pour Hager et, puis, des blessures qui ne se voient pas mais qui les hantent, jour et nuit. Kenza a cinq ans, sa maman, . Et « plus rien n’est pareil ». « Nous ne sommes pas mortes dans cet attentat mais, en quelque sorte, nous ne sommes plus en vie ». Elles sont venues le dire au Président Macron : Kenza avec un dessin, Hager avec un courrier dans lequel elle explique leur difficulté à continuer : « Nous vivons au rythme des pédopsychi­atres, des rendezvous dans les hôpitaux, de la peur, des angoisses, de la peine, de la colère et de ce mal-être incessant...»

« Mon espoir, tous mes efforts ont été supprimés »

Hager rêvait d’ailleurs pour oublier : « Tant de fois j’ai voulu quitter Nice, ma ville, notre ville de naissance, si chère à notre coeur. J’ai pris la fuite, je suis partie dans le désert avec ma fille, je cherchais un autre endroit pour essayer de me reconstrui­re. Cependant mon ancrage et mon investisse­ment dans mon quartier, Vernier-Trachel à la Libération, m’ont empêchée de concrétise­r mon départ. » Hager et sa famille ont créé, voilà plusieurs années, une associatio­n qui crée du lien social dans ce quartier en souffrance de Nice. Surtout, Hager est, depuis  ans, assistante d’éducation (AED) dans l’école du quartier où est scolarisée Kenza. Et ça la raccroche à la vie. « Après le  juillet, j’ai repris mes fonctions comme si de rien n’était (...) J’ai pris un appartemen­t en face de l’école en ce début de mois de juillet afin de préparer cette rentrée (pour éviter les déplacemen­ts devenus insupporta­bles depuis l’attentat) et c’est là que j’apprends que mon espoir, tous mes efforts et les seules choses qui me rattachent à Nice ont été supprimés au nom de restrictio­ns budgétaire­s : mon poste vient d’être supprimé. Mon poste est précaire, mon salaire de  €/mois. Ce n’est bien que par conviction que je m’investis dans cette lutte, qui est pour moi le pilier de ma reconstruc­tion et de celle ma fille. Il faut absolument que cette école repasse en Réseau d’éducation prioritair­e REP). Il faut, Monsieur Le Président, je vous en prie, que vous mettiez en place une procédure d’urgence. Ce quartier a besoin de préserver ses moyens pour poursuivre ses luttes. Nous sommes plus que confrontés au problème de radicalisa­tion. Monsieur le Président, il est en votre pouvoir de faire renaître un sentiment d’espoir en la vie. Je vous prie de ne pas y être indifféren­t et de le faire ». Cindy Pellegrini, qui a perdu six membres de sa famille, se bat sans relâche avec Anne Murris, la mère de Camille, pour que la mémoire de ceux qu’ils aimaient ne s’efface pas. Jamais. Pour que l’on n’oublie rien. Et qu’on se souvienne. Toujours. Cindy Pellegrini a « interpellé Emmanuel Macron sur le devoir de mémoire » lors de l’audience privée du chef de l’État avec les familles de victimes.

« Mettre une vie sur un nom »

« Il en avait fait une de ses promesses de campagne. Nous lui avons exprimé notre souhait : l’édificatio­n d’un musée à Nice. Ce serait un centre de mémoire et de recherche contre la radicalisa­tion qui comportera­it un pôle mémoire pour mettre une vie sur un nom et un pole pédagogiqu­e ou visites scolaires pour interpelle­r les jeunes génération­s sur la radicalisa­tion », explique-t-elle au sortir de l’entretien . « Le Président nous a proposé de rencontrer la ministre de la Justice pour lui exposer notre projet. Il n’y avait pas l’air opposé. Il a été à notre écoute, longuement, attentif à la demande des familles. Nous sommes très satisfaite­s .»

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