Sansmajorité, Merkel veut garder la main
Incapable de former un gouvernement, la chancelière allemande entend se battre même en cas de nouveau scrutin
Affaibliecomme jamais en 12 ans de pouvoir, Angela Merkel n’abdique pas. La chancelièreallemandeaannoncéhier être prêteàmener son parti dans de nouvelles élections en vue d’un quatrième mandat si la crise politique majeure qui fragilise son pays et l’Europe toute entière se poursuit. Une crise initiée par un score décevant pour son parti conservateur aux législatives de septembre, puis confirmée par l’échec dimanche soir de négociations visant à former une coalition à quatre partis. La chancelièreallemande a toutefois rejeté toute idée de démission. « Non, cela ne m’a pas effleuré », a-t-elledéclaré hier à lachaînede télévision publique ZDF au lendemain de la rupturedes tractations qu’elle menait pour tenter de trouver un accorddegouvernement entreson mouvement conservateur, les Libéraux du FDP et les Verts.
Le SPD peut-il revenir sur sa décision?
Si aucune solution alternative de coalition ne peut être trouvée dans les semaines àvenir pour former une majorité à lachambredes députés, notamment avec les sociaux-démocrates, Angela Merkel a indiqué préférer l’option d’un retour devant les électeurs. Elle s’est dite sur l’autre chaîne publique ARD « très sceptique » quant à l’autre option discutée: la mise sur pied d’un gouvernement minoritaire, dont elle prendrait la tête. Des élections anticipées seraient « une voie préférable », a-t-elle ajouté. Dans l’immédiat, la chancelière attend de voir si le président allemand Frank-Walter Steinmeier, un social-démocrate (SPD), parviendra à convaincre son parti de reconsidérer son refus de gouverner avec elle. Une formulequi lui apporterait une majorité. Le SPD a réitéré lundi ne plus vouloir de la « grande coalition » actuelle avec les conservateurs, qui dirige le paysdepuis2013, et préférer l’opposition.
« Une chancelière en grand danger »
En ce qui concerne Angela Merkel, reste à savoir si son parti lui renouvellera sa confiance en cas d’élections anticipées, Frank-Walter Steinmeier, le chef de l’État allemand, auquel la constitution confère désormais un rôle clé, a exhorté hier la classe politique à éviter des législatives anticipées qui affaibliraient l’Allemagne et l’Europe. « J’attends de tous (les partis) qu’ils soient disponibles pour le dialogue afin de rendre possible, dans un délai raisonnable, la formation d’un gouvernement », a-t-il dit lors d’une allocution télévisée, évoquant une crise « sans précédent pour la République fédérale d’Allemagne en près de ans d’existence ». « L’incompréhension et l’inquiétude seraient qui pourraient se dérouler au printemps 2018. Car son cap centriste et sa décision d’ouvrir les frontièresàplus d’un million de migrants en 2015 sont de plus en plus contestés en interne. « Une chancelière en grand danger », estimait lundi l’hebdomadaire Der Spiegel. En cause, une hémorragie de voix vers l’extrême droite, l’AfD. Et en cas de législatives anticipées, au vu des sondages, c’est d’ailleurs l’AfD qui pourrait progresser après avoir déjà réussi en septembre à entrer au Bundestag. La crise en Allemagne est aussi unemauvaise nouvelle pour ses partenaires européens, la France en particulier. La présidence française aappelé de ses souhaitsune Allemagne « stable et fort(e) », tandis que la Commission européenne se disait « confiante » en la « stabilité et la continuité » à Berlin. grandes dans notre pays, mais aussi à l’étranger, en particulier dans notre voisinage européen, si nos forces politiques ne faisaient pas preuve de responsabilité », a ajouté le président Steinmeier. Cet appel s’adresse aux conservateurs, aux libéraux et aux Verts, mais il vise aussi les sociaux- démocrates. Si aucun accord pour gouverner n’est trouvé, le président fédéral devra enclencher une procédure qui s’achèvera par un scrutin anticipé. Ce processus peut prendre des mois, car aucun cadre légal n’organise le calendrier.
Lesmalheurs de «Muttie»
La mine défaite, les yeux au milieu de la figure, Angela Merkel a pris actede l’échec des tractations en vue de former une nouvelle coalition gouvernementale avec les Verts et les Libéraux. Huit semaines de discussions pour rien. Toute la patience, l’habileté et l’esprit de compromis de la chancelièren’auront fait que retarder l’échéance: le moment où le parti Libéral-Démocrate de Christian Lindner a claqué la porte, préférant de son propre aveu « ne pas gouverner que mal gouverner ». Ou plutôt: cherchant moinsàparveniràun accord qu’à conforter et amplifier la ligne droitière, plus nationalisteque libérale, adoptée après la débâcle de , et qui s’est révélée électoralement fort payante. La négociation, dans ces conditions, avait- elle la moindre chanced’aboutir? Imaginez, en France, une majorité allant de la gauche écolo à ladroitenationale-libérale, disons de Cécile Duflot àPhilippe de Villiers: voilà, àpeine caricaturée, àquoi aurait ressemblé l’introuvable coalition dite « Jamaïque » (noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes). Il aurait fallu à la chancelièredes talents de magicienne pour surmonter tant de désaccords politiques (sur l’environnement et l’immigration, notamment) et de calculs politiciens. Il n’empêche. Après le recul historique de la démocratiechrétienne aux élections de septembre, l’incapacité à former un gouvernement laisse Angela Merkel considérablement affaiblie. Au point que pour une majoritéd’Allemands, cet échec devrait signer la fin de son bail à la chancellerie. Usuredupouvoir? Sans doute. ans, c’est long. Mais l’explication est insuffisante. Ce quenous disent les malheurs de « Muttie », c’est aussi que l’Allemagne, laprospèreAllemagne dont on vante et envie les performances économiques et la sage gouvernance, n’est pas épargnée par la vague de populisme et de nationalisme qui balaie le continent, poussée par le choc migratoire et lapeur de la dilution. La montée des extrêmes et l’érosion des grands partis de gouvernement, àgauche commeàdroite, débouchent aujourd’hui sur une crise politique inédite, dans un pays longtemps abonné aux majorités stables et aux alternances sans à-coups. Nul ne peut en prédire ladurée, ni l’issue. Ni les conséquences, pour l’Allemagne et pour l’Europe. De majorité alternative, en effet, on n’en voit aucune, dès lors que les sociaux-démocrates ont décidé de ne pas reconduire la « Grosse Koalition » SPD-CDU (-, puis ) ; après la débâcle des dernières législatives, ils pensent que seule une bonne cured’opposition peut leur permettrede se refaireune santé. Restent deux solutions: ungouvernement minoritaire (CDU-Verts, par exemple), forcément fragile et précaire; ou une dissolution et un retour devant les électeurs… qui risquent fort de revoter pareil. De sorte que ce n’est pas seulementàune crise gouvernementale que l’on assiste: c’est la fin d’une époque, celle du bipartisme à l’allemande; la fin d’un cycle, celui des majorités de compromis; la fin, peut-être, des années Merkel, ces douze années oùle « modèle allemand » (orthodoxiebudgétaire, excédents commerciaux, plein emploi), souvent critiqué et encoreplus admiré, beaucoup imité et rarement égalé, adonné le « la » à l’Europe entière. De quelque point de vue que l’on se place, on n’aperçoit aucune raison de s’en réjouir.