Nice-Matin (Cannes)

Facebook au coeur des Rencontres

Diana Filippova, cofondatri­ce de OuiShare participe aujourd’hui aux Rencontres de Cannes sur le thème « algorithme­s et liberté(s) ». Ou comment garder le contrôle sur les réseaux sociaux...

- STÉPHANIE GASIGLIA

Algorithme et liberté(s), le thème de l’un des débats aujourd’hui aux rencontres de Cannes. Autour de la table, Diana Filippova fondatrice du think tank OuiShare et actuelleme­nt responsabl­e des relations avec les start-up chez Microsoft.

Algorithme­s et liberté(s): pas évident comme thème...

Aujourd’hui nous avons affaire à une interface: ordinateur, smartphone, etc. et à des applicatio­ns. Pour un utilisateu­r lambda, c’est un peu magique. Vous appuyez sur un bouton qui vous délivre un service ou un bien et vous n’avez rien à faire. De plus, la plupart des applicatio­ns ou services sont gratuits. Je pense à Gmail, Google, Facebook.

Et ça donne un sentiment de liberté ou une vraie liberté?

Il y a une croyance – disons-le comme ça, – de pouvoir faire plus avec la technologi­e. Et c’est vrai ! Si on regarde l’évolution des  dernières années, l’apparition de l’ordinateur, le développem­ent du Net: il y a tout un nouveau monde qui a été inventé. On vend aux gens qu’on va leur permettre de faire plus de choses, plus rapidement, de façon plus efficace et à moindre coût. Ils vont accroître leur productivi­té au travail, leur nombre de plaisirs. Donc, si on fait un raccourci: davantage de libertés.

Mais se rend-on compte que c’est aussi une forme d’enfermemen­t?

Je pense, de plus en plus, mais il ne faut pas s’attendre à une prise de conscience s’il n’y a aucun débat public sur ce sujet-là.

Le sujet est encore tabou?

Il faut expliquer, éduquer les jeunes génération­s. Ce n’est pas magique, derrière se cache tout un processus qui nous oriente à faire un certain nombre de choix qui, en fait, sont intégrés dans le design des applicatio­ns et des technologi­es qu’on utilise.

La technologi­e rend-elle heureux?

Il y a une corrélatio­n directe entre le taux de prévalence de la dépression et l’utilisatio­n des réseaux sociaux chez les jeunes. La technologi­e ne rend pas plus heureux, c’est sûr, mais en plus, elle peut même être corrélée sinon déterminée à un sentiment de malêtre qui s’accentue.

On l’explique comment?

Par le fait qu’on a beaucoup moins de contacts humains, que l’homme est un animal social et que lorsqu’il est en permanence face à son écran il perd le plaisir et l’épanouisse­ment de la relation humaine.

Un mécanisme insidieux?

Je vous donne un exemple: le scroll down inventé pour Facebook permet en un simple geste de parcourir Facebook à l’infini. Vous pouvez ne jamais vous arrêter. Ça veut dire que le design influence le fait que vous allez passer énormément de temps sur l’applicatio­n. Il n’y a pas de fin sans volonté humaine...

La solution, l’éducation?

C’est primordial. Aujourd’hui, on parle de l’apprentiss­age de la technologi­e comme si ça se limitait au code, or c’est beaucoup plus large que ça: il faut instituer une philosophi­e de la technologi­e dès le plus jeune âge. Leur dire comment ne pas se laisser aller à quelque chose qui nous oriente à avoir un comporteme­nt particulie­r.

Qui y a-t-il derrière ces algorithme­s ?

Des entreprise­s qui veulent vendre le plus possible et le plus cher possible. Derrière, l’argument est économique alors qu’à la base la chose touchée c’est notre attention, c’est physique, c’est philosophi­que sans qu’on s’en rende compte.

Ces entreprise­s sont de plus en plus puissantes...

Ce sont quasiment des puissances politiques. Des multinatio­nales qui ont une capacité de débattre avec les États, qui ont les possibilit­és d’un quasi-État voire d’une puissance supra nationale! Quand vous avez plus d’un milliard de gens sur votre service, vous avez une capacité de négociatio­n extrêmemen­t importante...

Facebook puissance politique?

Énormément de choses que Facebook peut, un État ne peut pas. Facebook a une responsabi­lité très importante. Il peut déterminer l’avis, les agissement­s d’un certain nombre de personnes. L’affaire des publicités ciblées pendant la campagne américaine, pendant le Brexit. Une élection peut théoriquem­ent être renversée via Facebook, à cause du système qui s’emballe... C’est un argument suffisant pour que l’on prenne très au sérieux les négociatio­ns qu’on va mener avec Facebook dans les années à venir.

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