Facebook au coeur des Rencontres
Diana Filippova, cofondatrice de OuiShare participe aujourd’hui aux Rencontres de Cannes sur le thème « algorithmes et liberté(s) ». Ou comment garder le contrôle sur les réseaux sociaux...
Algorithme et liberté(s), le thème de l’un des débats aujourd’hui aux rencontres de Cannes. Autour de la table, Diana Filippova fondatrice du think tank OuiShare et actuellement responsable des relations avec les start-up chez Microsoft.
Algorithmes et liberté(s): pas évident comme thème...
Aujourd’hui nous avons affaire à une interface: ordinateur, smartphone, etc. et à des applications. Pour un utilisateur lambda, c’est un peu magique. Vous appuyez sur un bouton qui vous délivre un service ou un bien et vous n’avez rien à faire. De plus, la plupart des applications ou services sont gratuits. Je pense à Gmail, Google, Facebook.
Et ça donne un sentiment de liberté ou une vraie liberté?
Il y a une croyance – disons-le comme ça, – de pouvoir faire plus avec la technologie. Et c’est vrai ! Si on regarde l’évolution des dernières années, l’apparition de l’ordinateur, le développement du Net: il y a tout un nouveau monde qui a été inventé. On vend aux gens qu’on va leur permettre de faire plus de choses, plus rapidement, de façon plus efficace et à moindre coût. Ils vont accroître leur productivité au travail, leur nombre de plaisirs. Donc, si on fait un raccourci: davantage de libertés.
Mais se rend-on compte que c’est aussi une forme d’enfermement?
Je pense, de plus en plus, mais il ne faut pas s’attendre à une prise de conscience s’il n’y a aucun débat public sur ce sujet-là.
Le sujet est encore tabou?
Il faut expliquer, éduquer les jeunes générations. Ce n’est pas magique, derrière se cache tout un processus qui nous oriente à faire un certain nombre de choix qui, en fait, sont intégrés dans le design des applications et des technologies qu’on utilise.
La technologie rend-elle heureux?
Il y a une corrélation directe entre le taux de prévalence de la dépression et l’utilisation des réseaux sociaux chez les jeunes. La technologie ne rend pas plus heureux, c’est sûr, mais en plus, elle peut même être corrélée sinon déterminée à un sentiment de malêtre qui s’accentue.
On l’explique comment?
Par le fait qu’on a beaucoup moins de contacts humains, que l’homme est un animal social et que lorsqu’il est en permanence face à son écran il perd le plaisir et l’épanouissement de la relation humaine.
Un mécanisme insidieux?
Je vous donne un exemple: le scroll down inventé pour Facebook permet en un simple geste de parcourir Facebook à l’infini. Vous pouvez ne jamais vous arrêter. Ça veut dire que le design influence le fait que vous allez passer énormément de temps sur l’application. Il n’y a pas de fin sans volonté humaine...
La solution, l’éducation?
C’est primordial. Aujourd’hui, on parle de l’apprentissage de la technologie comme si ça se limitait au code, or c’est beaucoup plus large que ça: il faut instituer une philosophie de la technologie dès le plus jeune âge. Leur dire comment ne pas se laisser aller à quelque chose qui nous oriente à avoir un comportement particulier.
Qui y a-t-il derrière ces algorithmes ?
Des entreprises qui veulent vendre le plus possible et le plus cher possible. Derrière, l’argument est économique alors qu’à la base la chose touchée c’est notre attention, c’est physique, c’est philosophique sans qu’on s’en rende compte.
Ces entreprises sont de plus en plus puissantes...
Ce sont quasiment des puissances politiques. Des multinationales qui ont une capacité de débattre avec les États, qui ont les possibilités d’un quasi-État voire d’une puissance supra nationale! Quand vous avez plus d’un milliard de gens sur votre service, vous avez une capacité de négociation extrêmement importante...
Facebook puissance politique?
Énormément de choses que Facebook peut, un État ne peut pas. Facebook a une responsabilité très importante. Il peut déterminer l’avis, les agissements d’un certain nombre de personnes. L’affaire des publicités ciblées pendant la campagne américaine, pendant le Brexit. Une élection peut théoriquement être renversée via Facebook, à cause du système qui s’emballe... C’est un argument suffisant pour que l’on prenne très au sérieux les négociations qu’on va mener avec Facebook dans les années à venir.