« Le préventif, plus complexe que le curatif »
Placer la prévention au coeur du combat, encourager les recherches sur les séquelles des traitements, considérer l’impact social… Le point de vue de Jacqueline Godet, présidente de la Ligue
Créée en 1918, la Ligue contre le cancer fête cette année son centenaire. L’occasion d’interroger sa présidente, le Pr Jacqueline Godet. Femme directe, connue pour son « franc-parler », cette brillante scientifique revient sur tous les combats qu’il reste à mener.
La prévention figure déjà, avec la recherche, l’accompagnement des malades et la mobilisation citoyenne, parmi les quatre missions sociales de la Ligue. Vous souhaitez aller encore plus loin. Pour quelles raisons?
Les données scientifiques internationales montrent clairement que % des cancers pourraient être évités si on arrivait à prévenir certains risques. La prévention doit être une action primordiale ; c’est ce qui nous a motivés à organiser, en novembre prochain, les premiers états généraux de la prévention du cancer. Soit ans après avoir organisé les premiers états généraux des malades, qui ont eu un impact considérable.
Cela fait des années que l’on parle de prévention…
Oui, mais en France, il semble que les efforts dans le domaine soient insuffisants puisque l’on ne constate aucun progrès. On peut citer le tabac : % de la population continue de fumer, malgré les mesures prises. Et le tabagisme progresse même chez les jeunes et les femmes. Autre exemple caricatural, le dépistage organisé du cancer du côlon et du sein. En dépit d’une forte médiatisation, le pourcentage de femmes qui participent au dépistage organisé du cancer du sein plafonne depuis des années à environ %. Nouvelle preuve de l’inefficacité des actions de prévention. Je citerai enfin le papillomavirus associé au cancer du col de l’utérus et pour lequel on dispose d’un vaccin préventif. À peine % de la population cible est vaccinée, contre % en Europe du Nord ! Finalement le préventif est plus complexe que le curatif.
Comment expliquer que la France soit si peu réceptive aux messages de prévention ?
Les efforts sont insuffisants. Mais c’est aussi un problème d’état d’esprit. Nous devons consentir des efforts considérables pour modifier les comportements collectifs et individuels. En commençant déjà par mener des recherches dites interventionnelles pour essayer de comprendre pourquoi, au niveau de tel département par exemple, la prévention échoue. On s’aperçoit en interrogeant des malades (lire pages suivantes) que le cancer ne se résume pas à des traitements. Beaucoup de patients évoquent des difficultés financières, psychologiques… C’est une réalité. On guérit certes de plus en plus de cancers, mais lorsque le cancer est traité, on voit apparaître d’autres types de problèmes.
Plus précisément ?
Des problèmes d’ordre médical déjà. Jusqu’à présent, on prêtait peu d’attention – en termes de recherche notamment – aux séquelles des traitements. L’urgence était de guérir. Mais aujourd’hui que l’on suit des patients sur le long terme, on s’aperçoit que les traitements qui guérissent laissent souvent des traces, des séquelles sévères (insuffisance cardiaque, troubles neurologiques, etc.) qui peuvent empoisonner la vie des patients pendant des décennies parfois. Des études de cohorte démarrent enfin pour évaluer ces séquelles, notamment liées à l’immunothérapie, pour laquelle on manque de recul.
Le retour à l’emploi peut également s’avérer compliqué…
Absolument. Dans le milieu de l’entreprise, tout le monde pense que la page est tournée pour le salarié malade lorsqu’il reprend le travail. Ce qui peut être très distinct de la réalité. Des patients témoignent aussi de mise au placard voire de licenciement, se plaignent d’avoir été très peu aidés.
Vous militez pour le droit à l’oubli pour les malades. Où en est-on ?
Le sujet reste d’actualité. Même si un cadre a été établi, tous les cancers ne sont pas concernés par ce droit à l’oubli. Il y a encore beaucoup de travail à faire.
Votre autre cheval de bataille, c’est le prix des médicaments anticancéreux, exorbitant. Où en est-on ?
C’est toujours en chantier. Nous disposons de médicaments innovants comme des immunothérapies de plus en plus efficaces. Mais tous ces médicaments restent hors de prix : plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Si rien n’est fait, la Sécu ne tiendra pas longtemps. Cette prise de conscience a été relayée à l’échelle européenne. Aujourd’hui, l’objectif est d’arriver à ce que ces prix chutent. Quoi qu’il en soit, les laboratoires pharmaceutiques ne pourront tenir ces coûts élevés très longtemps. Merck vient ainsi de diminuer de % le prix d’une de ses molécules d’immunothérapie.
Mais tout ça reste très flou…
C’est le deuxième aspect. Les négociations sur le coût des médicaments innovants sont très centralisées au niveau du Comité économique des produits de santé (CEPS) et il existe un manque total de transparence. C’est le seul comité interministériel sans représentants d’usagers… Il faut vraiment que nous gagnions en transparence dans cette négociation.