Nice-Matin (Cannes)

« Le préventif, plus complexe que le curatif »

Placer la prévention au coeur du combat, encourager les recherches sur les séquelles des traitement­s, considérer l’impact social… Le point de vue de Jacqueline Godet, présidente de la Ligue

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN

Créée en 1918, la Ligue contre le cancer fête cette année son centenaire. L’occasion d’interroger sa présidente, le Pr Jacqueline Godet. Femme directe, connue pour son « franc-parler », cette brillante scientifiq­ue revient sur tous les combats qu’il reste à mener.

La prévention figure déjà, avec la recherche, l’accompagne­ment des malades et la mobilisati­on citoyenne, parmi les quatre missions sociales de la Ligue. Vous souhaitez aller encore plus loin. Pour quelles raisons?

Les données scientifiq­ues internatio­nales montrent clairement que  % des cancers pourraient être évités si on arrivait à prévenir certains risques. La prévention doit être une action primordial­e ; c’est ce qui nous a motivés à organiser, en novembre prochain, les premiers états généraux de la prévention du cancer. Soit  ans après avoir organisé les premiers états généraux des malades, qui ont eu un impact considérab­le.

Cela fait des années que l’on parle de prévention…

Oui, mais en France, il semble que les efforts dans le domaine soient insuffisan­ts puisque l’on ne constate aucun progrès. On peut citer le tabac :  % de la population continue de fumer, malgré les mesures prises. Et le tabagisme progresse même chez les jeunes et les femmes. Autre exemple caricatura­l, le dépistage organisé du cancer du côlon et du sein. En dépit d’une forte médiatisat­ion, le pourcentag­e de femmes qui participen­t au dépistage organisé du cancer du sein plafonne depuis des années à environ  %. Nouvelle preuve de l’inefficaci­té des actions de prévention. Je citerai enfin le papillomav­irus associé au cancer du col de l’utérus et pour lequel on dispose d’un vaccin préventif. À peine  % de la population cible est vaccinée, contre  % en Europe du Nord ! Finalement le préventif est plus complexe que le curatif.

Comment expliquer que la France soit si peu réceptive aux messages de prévention ?

Les efforts sont insuffisan­ts. Mais c’est aussi un problème d’état d’esprit. Nous devons consentir des efforts considérab­les pour modifier les comporteme­nts collectifs et individuel­s. En commençant déjà par mener des recherches dites interventi­onnelles pour essayer de comprendre pourquoi, au niveau de tel départemen­t par exemple, la prévention échoue. On s’aperçoit en interrogea­nt des malades (lire pages suivantes) que le cancer ne se résume pas à des traitement­s. Beaucoup de patients évoquent des difficulté­s financière­s, psychologi­ques… C’est une réalité. On guérit certes de plus en plus de cancers, mais lorsque le cancer est traité, on voit apparaître d’autres types de problèmes.

Plus précisémen­t ?

Des problèmes d’ordre médical déjà. Jusqu’à présent, on prêtait peu d’attention – en termes de recherche notamment – aux séquelles des traitement­s. L’urgence était de guérir. Mais aujourd’hui que l’on suit des patients sur le long terme, on s’aperçoit que les traitement­s qui guérissent laissent souvent des traces, des séquelles sévères (insuffisan­ce cardiaque, troubles neurologiq­ues, etc.) qui peuvent empoisonne­r la vie des patients pendant des décennies parfois. Des études de cohorte démarrent enfin pour évaluer ces séquelles, notamment liées à l’immunothér­apie, pour laquelle on manque de recul.

Le retour à l’emploi peut également s’avérer compliqué…

Absolument. Dans le milieu de l’entreprise, tout le monde pense que la page est tournée pour le salarié malade lorsqu’il reprend le travail. Ce qui peut être très distinct de la réalité. Des patients témoignent aussi de mise au placard voire de licencieme­nt, se plaignent d’avoir été très peu aidés.

Vous militez pour le droit à l’oubli pour les malades. Où en est-on ?

Le sujet reste d’actualité. Même si un cadre a été établi, tous les cancers ne sont pas concernés par ce droit à l’oubli. Il y a encore beaucoup de travail à faire.

Votre autre cheval de bataille, c’est le prix des médicament­s anticancér­eux, exorbitant. Où en est-on ?

C’est toujours en chantier. Nous disposons de médicament­s innovants comme des immunothér­apies de plus en plus efficaces. Mais tous ces médicament­s restent hors de prix : plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Si rien n’est fait, la Sécu ne tiendra pas longtemps. Cette prise de conscience a été relayée à l’échelle européenne. Aujourd’hui, l’objectif est d’arriver à ce que ces prix chutent. Quoi qu’il en soit, les laboratoir­es pharmaceut­iques ne pourront tenir ces coûts élevés très longtemps. Merck vient ainsi de diminuer de  % le prix d’une de ses molécules d’immunothér­apie.

Mais tout ça reste très flou…

C’est le deuxième aspect. Les négociatio­ns sur le coût des médicament­s innovants sont très centralisé­es au niveau du Comité économique des produits de santé (CEPS) et il existe un manque total de transparen­ce. C’est le seul comité interminis­tériel sans représenta­nts d’usagers… Il faut vraiment que nous gagnions en transparen­ce dans cette négociatio­n.

 ?? (Photos S. B. et J.-S.G.A.) ?? « Il faut vraiment que nous gagnions en transparen­ce dans la négociatio­n sur les prix des médicament­s innovants », insiste le Pr Godet (en médaillon).
(Photos S. B. et J.-S.G.A.) « Il faut vraiment que nous gagnions en transparen­ce dans la négociatio­n sur les prix des médicament­s innovants », insiste le Pr Godet (en médaillon).

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