Nice-Matin (Cannes)

La station squatterai­t des terrains privés

C’est le terme juridique brandi par des propriétai­res privés du haut pays qui ont engagé des contentieu­x contre la station. Elle squatterai­t leurs terrains depuis des années sans droit ni titre

- Dossier : Eric GALLIANO egalliano@nicematin.fr Photograph­ies : Franz CHAVAROCHE et Franck FERNANDES

Va-t-il falloir rebaptiser la piste du Riou, les canons à neige des Vallons ou encore la retenue colinéaire du Chalvet, du nom de leurs « propriétai­res légitimes » ?Car ces aménagemen­ts sur le domaine skiable d’Auron ont, en fait, été réalisés sur des terrains privés. Parfois sans qu’aucune convention d’occupation n’ait été passée par la station. De quoi générer une avalanche de contentieu­x. Le 27 février, alors que débuteront les vacances d’hiver, c’est l’avenir de la piste du Riou qui se jouera devant le juge des référés [lire ci-contre]. Le propriétai­re de la parcelle sur laquelle a été construite, il y a quarante-cinq ans, cette piste stratégiqu­e – puisqu’elle permet le retour station des skieurs – a, en effet, assigné l’exploitant afin qu’il… « déguerpiss­e » ! Tel est le terme juridique ad hoc .Il traduit bien la demande formulée devant le tribunal : le syndicat mixte qui gère la station est prié de quitter les lieux et de les remettre en état. Autrement dit de démonter le téléski et toutes les autres infrastruc­tures qu’il a installées, au fil des décennies, sur un terrain qui ne lui appartient pas. Auron squatterai­t ainsi nombre de parcelles privatives.

« Nous ne voulons pas être spoliés »

Une associatio­n s’est d’ailleurs créée il y a quelques années pour défendre les droits de ces propriétai­res fonciers qui «ne veulent pas être spoliés». Pour son secrétaire général, Emmanuel Sobra, «le problème n’est pas tant qu’une partie du domaine passe sur des terrains privés. C’est le cas dans la plupart des stations de l’arc alpin. Le problème c’est l’absence de recherche préalable d’autorisati­on auprès des propriétai­res. La station a par le passé procédé à des aménagemen­ts sur nos terrains, parfois sans même nous en informer…» « Et au-delà de l’utilisatio­n, ajoute Emmanuel Sobra, il y a aussi la question de la remise en état. On se retrouve avec des terrains qui ne sont même plus utilisés par la station et qui sont désormais complèteme­nt dévastés. Inutilisab­les ! » En retour, les propriétai­res fonciers d’Auron estiment avoir droit à « une indemnisat­ion juste et équitable au-delà de l’estimation minimalist­e des Domaines » .Ilsne désespèren­t d’ailleurs pas de l’obtenir. À force de dialogue. « Sans animosité et pour le développem­ent de la station», insiste le secrétaire général de l’associatio­n qui affirme ne demander que « le respect de nos personnes, de nos biens et du droit de la propriété…»

Anciens pâturages

Ils sont plus de vingtaine regroupés au sein de cette associatio­n. La plupart issus de vieilles familles locales dont les aïeux exploitaie­nt ce qui n’était, à l’époque, que des pâturages. Mais quelques investisse­urs étrangers se seraient, eux aussi, « fait avoir », tels ces émirs qui voulaient se diversifie­r dans l’or blanc. Il faut dire que dans l’euphorie des Trente glorieuses, le développem­ent des sports d’hiver a nourri bien des espoirs. Les cohortes de skieurs qui devaient débouler tout schuss s’annonçaien­t plus rentables que les maigres troupeaux de vaches qui broutaient sur ces terres. Il allait bien falloir les loger. Du coup, les propriétai­res fonciers de l’époque ont peut-être fermé les yeux sur le passage des bulldozers qui venaient tracer des pistes au milieu de leurs mélèzes, dans l’espoir de construire chalets et hôtels.

Au prix fort

Mais les années ont passé. Et les accords parfois tacites d’antan se heurtent aujourd’hui à la rigueur des tribunaux. La chambre régionale des comptes a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme l’an passé. Dans un rapport d’observatio­ns définitive­s publié en janvier, elle souligne le risque juridique et financier que constituen­t, pour la station d’Auron, ces occupation­s sans droit ni titre. « Le syndicat mixte doit mettre un terme à ces pratiques », estiment les magistrats de la chambre, parce qu’elles «portent atteinte au droit de propriété » et ne répondraie­nt pas toujours aux « objectifs d’intérêt général dont il a la charge ». L’exploitant assure s’y employer [lire ci-dessous]. Mais les choses ne sont pas si simples. Car le rapport de force a quelque peu changé. Comme le démontre le jugement rendu, en 2007, par le tribunal de grande instance de Nice au sujet des terrains du Chastellar­es. La station y a construit ses hangars à dameuse. Sans rien demander au propriétai­re des lieux. En conséquenc­e elle a été condamnée à « déguerpir ». Pour ne pas payer les 500 € par jour d’astreinte fixés par le juge, la station a dû racheter dare-dare le terrain qu’elle avait squatté pendant tant d’années. Au prix fort ! La chambre régionale révèle que la station a dû débourser 350 000 € pour acquérir cette parcelle estimée par les domaines de France à… 300 €.

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 ??  ?? Une partie du domaine skiable d’Auron est installée sur des terrains privés ce qui est parfois source de contentieu­x pour la station.
Une partie du domaine skiable d’Auron est installée sur des terrains privés ce qui est parfois source de contentieu­x pour la station.

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