La station squatterait des terrains privés
C’est le terme juridique brandi par des propriétaires privés du haut pays qui ont engagé des contentieux contre la station. Elle squatterait leurs terrains depuis des années sans droit ni titre
Va-t-il falloir rebaptiser la piste du Riou, les canons à neige des Vallons ou encore la retenue colinéaire du Chalvet, du nom de leurs « propriétaires légitimes » ?Car ces aménagements sur le domaine skiable d’Auron ont, en fait, été réalisés sur des terrains privés. Parfois sans qu’aucune convention d’occupation n’ait été passée par la station. De quoi générer une avalanche de contentieux. Le 27 février, alors que débuteront les vacances d’hiver, c’est l’avenir de la piste du Riou qui se jouera devant le juge des référés [lire ci-contre]. Le propriétaire de la parcelle sur laquelle a été construite, il y a quarante-cinq ans, cette piste stratégique – puisqu’elle permet le retour station des skieurs – a, en effet, assigné l’exploitant afin qu’il… « déguerpisse » ! Tel est le terme juridique ad hoc .Il traduit bien la demande formulée devant le tribunal : le syndicat mixte qui gère la station est prié de quitter les lieux et de les remettre en état. Autrement dit de démonter le téléski et toutes les autres infrastructures qu’il a installées, au fil des décennies, sur un terrain qui ne lui appartient pas. Auron squatterait ainsi nombre de parcelles privatives.
« Nous ne voulons pas être spoliés »
Une association s’est d’ailleurs créée il y a quelques années pour défendre les droits de ces propriétaires fonciers qui «ne veulent pas être spoliés». Pour son secrétaire général, Emmanuel Sobra, «le problème n’est pas tant qu’une partie du domaine passe sur des terrains privés. C’est le cas dans la plupart des stations de l’arc alpin. Le problème c’est l’absence de recherche préalable d’autorisation auprès des propriétaires. La station a par le passé procédé à des aménagements sur nos terrains, parfois sans même nous en informer…» « Et au-delà de l’utilisation, ajoute Emmanuel Sobra, il y a aussi la question de la remise en état. On se retrouve avec des terrains qui ne sont même plus utilisés par la station et qui sont désormais complètement dévastés. Inutilisables ! » En retour, les propriétaires fonciers d’Auron estiment avoir droit à « une indemnisation juste et équitable au-delà de l’estimation minimaliste des Domaines » .Ilsne désespèrent d’ailleurs pas de l’obtenir. À force de dialogue. « Sans animosité et pour le développement de la station», insiste le secrétaire général de l’association qui affirme ne demander que « le respect de nos personnes, de nos biens et du droit de la propriété…»
Anciens pâturages
Ils sont plus de vingtaine regroupés au sein de cette association. La plupart issus de vieilles familles locales dont les aïeux exploitaient ce qui n’était, à l’époque, que des pâturages. Mais quelques investisseurs étrangers se seraient, eux aussi, « fait avoir », tels ces émirs qui voulaient se diversifier dans l’or blanc. Il faut dire que dans l’euphorie des Trente glorieuses, le développement des sports d’hiver a nourri bien des espoirs. Les cohortes de skieurs qui devaient débouler tout schuss s’annonçaient plus rentables que les maigres troupeaux de vaches qui broutaient sur ces terres. Il allait bien falloir les loger. Du coup, les propriétaires fonciers de l’époque ont peut-être fermé les yeux sur le passage des bulldozers qui venaient tracer des pistes au milieu de leurs mélèzes, dans l’espoir de construire chalets et hôtels.
Au prix fort
Mais les années ont passé. Et les accords parfois tacites d’antan se heurtent aujourd’hui à la rigueur des tribunaux. La chambre régionale des comptes a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme l’an passé. Dans un rapport d’observations définitives publié en janvier, elle souligne le risque juridique et financier que constituent, pour la station d’Auron, ces occupations sans droit ni titre. « Le syndicat mixte doit mettre un terme à ces pratiques », estiment les magistrats de la chambre, parce qu’elles «portent atteinte au droit de propriété » et ne répondraient pas toujours aux « objectifs d’intérêt général dont il a la charge ». L’exploitant assure s’y employer [lire ci-dessous]. Mais les choses ne sont pas si simples. Car le rapport de force a quelque peu changé. Comme le démontre le jugement rendu, en 2007, par le tribunal de grande instance de Nice au sujet des terrains du Chastellares. La station y a construit ses hangars à dameuse. Sans rien demander au propriétaire des lieux. En conséquence elle a été condamnée à « déguerpir ». Pour ne pas payer les 500 € par jour d’astreinte fixés par le juge, la station a dû racheter dare-dare le terrain qu’elle avait squatté pendant tant d’années. Au prix fort ! La chambre régionale révèle que la station a dû débourser 350 000 € pour acquérir cette parcelle estimée par les domaines de France à… 300 €.