Ces bénévoles apprennent le français aux migrants
« Après le toit, l’autre besoin essentiel des migrants, c’est l’apprentissage du français. Or l’État ne prend pas en charge l’enseignement du français tant que les migrants n’ont pas obtenu le statut de réfugié », pose Michel. «Et on a vite vu que les lieux où étaient dispensés des cours de français gratuits étaient saturés ; par exemple, le Secours catholique était obligé de refuser des personnes». Alors, avec sa femme, ce pilote de ligne retraité s’est mis à donner des cours. « On a pris un local, et avec du bon sens et des bons bouquins… », complète Michel. Un couple d’amis professeurs leur enseigne des rudiments de pédagogie : « Ils nous ont dit : “Vous pouvez vous lancer.” » Le cours se remplit rapidement, et accueille jusqu’à 13 personnes, côte à côte faute de place, mais séparés en deux groupes distincts : « Ce n’est pas la même chose de faire des cours d’alphabétisation, et des cours de français langue étrangère à des gens qui savent déjà lire et écrire dans une autre langue », précise Marie-Jo. Deux autres professeures les ont rejoints : «Elles se sont présentées en novembre en disant : “Pourrait-on donner des cours ?”Bien sûr, on a dit oui. » Depuis le début du mois, Michel et ses deux nouvelles collègues enseignent le français au Secours catholique : « Leurs salles sont plus adaptées, et ils n’avaient pas assez de professeurs ». Michel craignait de manquer d’élèves pour son premier cours, ils sont six à lui faire face alors qu’il dessine au tableau les mots qu’il veut leur apprendre : « Un homme, une femme ». «La terre, le ciel, le bateau, la mer. » Dans le silence de la salle de classe, on entend le cours d’à côté. L’enseignante répète en détachant les syllabes : « Bonjour, je m’appelle Raïssa et je suis tchétchène. »
À Nice, ils s’accrochent aux moulins à paroles
Il pousse la porte de la salle de cours, un grand cahier rose aux bords un peu cornés dans la main. «Bonjour!», lance Lalé, 17 ans. Le jeune Serbe s’assied sur une banquette aux coussins vert pomme. Comme chaque mardi matin, Lara, 24 ans, étudiante en psychologie, dispense des cours de français aux migrants. Pendant deux heures, dans une salle de l’association « ATE », au coeur de l’Ariane, à Nice, elle travaille avec un petit groupe autour de beaux textes du répertoire. Elle fait tourner des moulins à paroles, des outils créés par l’association « Ars Legendi ». « On travaille beaucoup sur la prononciation, et le codage couleur, qui différencie les voyelles des consonnes, les aide à dire les mots. » Elle projette des mots sur l’écran. À tour de rôle, ses élèves s’essaient à les prononcer. Laura les guide. « Vous vous souvenez de La Cigale et la Fourmi ?» Et l’atelier se poursuit avec Jean de La Fontaine. Pour Christian Jacomino, pédagogue et créateur de ces moulins à paroles, cet apprentissage de la langue ancré dans la littérature française est essentiel. « Quand je travaille avec des adolescents migrants, je leur dis: “On vous propose ce qu’on a de plus beau.“» Il insiste aussi sur la nécessité d’apprendre la langue aux « mamans ». «Les enfants, eux, vont à l’école, mais les mamans ? » Au fil de ses ateliers, à la bibliothèque de l’Ariane à Nice par exemple, il croise le chemin de ces femmes, qui peinent à s’exprimer en français. « Certaines sont là depuis plusieurs années. » L’enjeu, explique-t-il, est majeur : « De leur capacité à apprendre la langue dépendra 70 % du succès de leurs enfants à l’école. »
À Grasse, la langue se fait solidaire
Les femmes sont justement au coeur de la vie de l’association « D’une rive à l’autre de Grasse ». «Des familles migrantes sont hébergées place aux Herbes. Et on les incite à s’inscrire dans la vie de la cité. A nous aider à la boutique solidaire. Malgré les difficultés de langage, elles arrivent à se faire comprendre, » explique Adèle Malerba, fondatrice de l’association. Diana, Nejma, Louise-Paulette, Sarah et les autres donnent un coup de main à Adèle. « Même avec les non-francophones, je parle comme si elles comprenaient tout.» Et, rapidement, grâce à ce bain linguistique, les progrès sont au rendez-vous.