Nice-Matin (Cannes)

Le grand duché de Mecklembou­rg La famille des tsars sur la Côte

- ANDRÉ PEYREGNE

L’assistance interrompt les danses et se lance à la recherche du maître de maison. C’est peu après 20 heures 30 qu’un cocher pousse un cri dans l’obscurité du jardin. Il vient de trouver le grand duc, au pied du mur principal de la maison, gisant dans une mare de sang. Il est mort. Consternat­ion dans l’assemblée. Le docteur Ghislin de Diertelin qu’on est allé quérir en urgence, arrive rapidement. C’est un ami de la famille, d’origine alsacienne, établi en France après la guerre franco-allemande de 1870, ayant ouvert à Cannes non seulement un cabinet médical mais aussi une pension pour jeunes filles. Il ne peut que constater le décès. Le grand duc avait 46 ans. Personne, dans l’aristocrat­ique assemblée n’ose émettre d’hypothèse mais deux viennent aussitôt à l’esprit de tout un chacun : un suicide, le grand duc étant de plus en plus dépressif, ou un assassinat, Anastasia ne supportant plus son époux.

Anastasia se retire à Èze

Il faut faire vite. Personne ne doit enquêter sur cette mort qui entachera la réputation des milieux aristocrat­iques de la Côte. Trois membres de l’assistance, dont l’autorité ne sera pas contestée, se rendent aussitôt chez le maire de Cannes, Jean Hilbert : le prince Henri VIII de Reuss, le général de Mecklembou­rg et le baron Naltahn, membre de la suite du grand duc. Dès 23 heures, un communiqué est diffusé, signé du maire de Cannes et d’Anastasia : « Monseigneu­r le grand duc Frédéric-François III de Mecklenbou­rg-Schwerin est mort cette nuit d’une rupture d’anévrisme. » Une rupture d’anévrisme ! L’affaire, ainsi, est close. On précipite les obsèques, le surlendema­in en l’église luthérienn­e du Cannet. Les observateu­rs remarquero­nt quand même les mots sévères prononcés par le pasteur Schmitt à l’égard d’Anastasia. Puis le corps du grand duc part vers Ludwigslus­t, cité de la principaut­é Le grand duché de Mecklembou­rg fut un état du nord-est de l’Allemagne de  à . Il mesurait   kilomètres carrés et comptait plus de   habitants. À la fin de la Première Guerre mondiale, il fut intégré à l’Allemagne et forme aujourd’hui le Land de Mecklembou­rg-Poméranie. Sa capitale est Schwerin. C’est là que se trouvait le magnifique château ducal, qui fut pourtant jugé trop austère par Anastasia. de Mecklembou­rg-Schwerin, où il sera enterré. L’énigme de la mort du grand duc ne sera jamais élucidée. Peu de temps après, Anastasia commence à afficher une liaison avec son secrétaire particulie­r, Vladimir Paltov, de quatorze ans plus jeune qu’elle. Ils auront un enfant, né à Nice en 1902, nommé Louis Alexis de Wenden – comme la villa de Cannes ! Puis viendra la Première Guerre mondiale. Anastasia sera alors écartelée entre ses fils, officiers dans l’armée allemande – car leur duché était sur le territoire allemand – et ses frères membres de l’armée russe, en tant que petits-fils du tsar. Elle passera le conflit en pays neutre, dans un grand hôtel de Lausanne en Suisse. La guerre terminée, elle s’installera à la villa Fantasia à Éze, où elle mourra en 1922 à 61 ans. Elle sera enterrée au grand duché de Mecklembou­rg auprès de son mari. L’avait-elle tué ? Le mystère de la villa Wenden à Cannes demeure entier. Dans la colonie russe, Antibes est surtout connu comme un lieu d’émigration, après la Révolution d’octobre de . Les deux grands ducs rivaux, prétendant à la direction des Russes en exil en France, Nikolaï Nikolaïevi­tch et son frère Piotr Nikolaïevi­tch, habitèrent à la villa Thénard au Cap d’Antibes. Le premier, qui aurait pu prétendre à la succession du tsar Nicolas II, y mourut le  janvier , le second le  janvier .

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