Solidaires
Froid À bord de la voiture du Samu social, nous avons sillonné hier les rues de Cannes à la rencontre des hommes et des femmes qui vivent dehors
Nous avons sillonné les rues de Cannes en maraude à la rencontre des sans-abri. Malgré le froid, de nombreux démunis refusent d’être hébergés à l’accueil municipal Le samu social, pilier de leur survie.
h on embarque
Dans la voiture et le quotidien de Christophe Visentin. Il est président de la Protection civile de Cannes et du Samu social. Tous les jours sur le terrain depuis cinq ans de 9 h à 19 h. Depuis la création du Samu social de jour. Avec ses armes à lui. Sourire, gentillesse. Pas toujours efficaces, on le verra. La rue endurcit. Dans son coffre, d’autres atouts : le plein de polaires, gants et couvertures. Cap sur la Pointe Croisette. «Katia m’a demandé une nouvelle paire de baskets. On va lui apporter. » Katia a les cheveux dreadlockés de saleté, un visage d’ange, la trentaine. On la trouve aux abords de l’avenue de Lérins. Son fief. Ses nuits, elle les passe dehors depuis plus de quatre ans. Sous un porche vue sur mer. Ou ailleurs. Christophe lui propose – une énième fois – une douche chaude. De l’amener à l’accueil de jour de la rue Licklama. Non merci. On lui offre un café. Elle le prend mais refuse le dialogue. « Je suis venu avec des assistantes sociales femmes pour l’aider. Elle refuse tout », glisse-t-il. Désarmé. « Tous les jours, je lui donne un sandwich et des tas de cafés. Elle reste sur le seuil, ne parle pas. Elle dit juste : «Simone ! À manger !» raconte l’épicière de la rue. « Mes clients lui amènent de la soupe des fois. » Désarmée.
✔ h au centre-ville : « on ne peut pas l’approcher »
En haut de la rue d’Antibes, un homme visiblement éméché. « C’est un Anglais. Très agressif. On ne peut pas l’approcher. Il nous lance des tessons de bouteille ». L’alcool. L’arme de destruction massive de la rue. C’est une des raisons pour lesquels beaucoup refusent d’être hébergés à l’accueil de nuit. La sobriété est le sésame pour y entrer. Le regard vert de Christophe balaie les trottoirs. Cherche une bande de garçons qui dort sous l’arche de la gare. Des jeunes avec des chiens. Les chiens, c’est l’autre raison de refuser l’accueil de nuit. Les compagnons à poils, fidèles dans la galère y sont interdits. «Ils ne sont pas là. On repassera. »
✔ h place Gambetta : « un duvet génial »
Assis contre une façade, Stéphane, capuche, barbe taillée, une bière à la main en guise de petit-déjeuner. Il ne fait pas la manche. Pas aujourd’hui. Il prend dans un sourire les gants en laine que lui tend Christophe. C’est un Cannois de 33 ans. Affable. À la rue « depuis cinq-six ans ». Il ne compte plus. « Hébergé parfois chez des amis.» Pour lui, le plus dur, ce n’est pas le froid. « J’ai un duvet génial. Cette nuit, j’ai dormi dans un parking. Le gardien m’a laissé tranquille. » Non, le plus dur, « ce sont les engueulades avec les potes. Quand il y a une femme...» Comme souvent, ce sera repas à l’association J’avais faim, et le soir retrouvailles à la Boule d’Or pour la distribution de soupes du Samu social de nuit assuré par 25 bénévoles qui se relaient. Avant la rue, Stéphane était dans le bâtiment, puis chômage, RSA et dégringolade. Il veut en sortir. «J’ai rendez-vous vendredi au pôle emploi...». À Cannes, on estime à 150 le nombre de SDF dans la rue. « On en sort deux à trois par an de la rue. Des fois, tu travailles six ou sept mois avec un type, et il lâche au dernier moment », confie Christophe. Désarmé.
✔ h , un appel du : « en vacances ! »
C’est un appel du 115 qui centralise à Nice tous les signalements d’urgence du département. Une femme inerte quai Saint-Pierre! Sur place, la vision est glaçante. Sur le trottoir, un amas de couvertures et de bâches balayé par le vent glacé. Dessous, un corps. « Bonjour, vous voulez un repas chaud ? » Une main délicate émerge. Saisit le « vite chaud », ces barquettes qui se réchauffent dès le clap d’ouverture. Et replonge sous l’abri dérisoire dans la tempête. « C’est une Allemande », nous indique une habitante qui a fait le signalement. «Trois jours qu’elle est là. Une ravissante blonde aux yeux bleus ! En vacances, elle m’a dit !» Désarmée.
✔ h : personne à Saint-Vincent
Nouvel appel pour un sans-abri du côté de l’association Saint-Vincent. Sur place, personne. C’est fréquent. «On travaille à ce que la police municipale nous prévienne quand elle voit des SDF. Tous les quinze jours, on fait des réunions avec le CCAS pour vérifier qu’on ne loupe personne », indique Christophe tandis qu’on roule vers le pont des Gabres.
✔ h au Pont des Gabres : « Chaussettes ? »
En anorak, assis par terre, Maricel, 55 ans, est Roumain. Six mois qu’il est à Cannes. Dort bd d’Alsace. Enfile le bonnet de laine offert avec gratitude.
« Je veux retourner en Roumanie. Mais pas d’argent pour le bus. Chaussettes, s’il vous plaît ? » « Merci, merci. » Il embrasse les chaussettes neuves. Bien précieux. Joint les mains. Christophe
fait une photo de sa carte d’identité. « On va voir pour qu’il puisse prendre un bus pour la Roumanie et lui acheter un billet.»
Un peu plus loin, un autre Roumain nous aborde. 31 ans. Père de famille, laissée au pays. Sans papiers. Échoué à Cannes depuis dix jours. Il prend volontiers la couverture et le repas chaud. Mais lui non plus n’ira pas à l’accueil municipal. Il se met pourtant à neiger. On se réchauffe dans la voiture. Mais eux ? « Les Roumains ne se mélangent pas trop. Avec les sans-abri, ce n’est pas le grand amour. On ne peut pas comme en
Belgique, obliger les personnes à s’abriter. »
h à l’hôpital : « Ici on tisse du lien »
Stop et débriefing comme chaque jour au PASS (Permanence d’accès aux soins de santé) qui permet aux plus démunis une prise en charge d’hygiène et de santé. Sur place, Christine Segui, assistante sociale ici depuis 2003. « Certains viennent tous les jours à pied du centre-ville pour prendre leur douche. Ils font attention à eux. Il n’y a pas forcement de travail social. Ici, on tisse du
lien. Il se crée une confiance qui amène des demandes de soins. Le problème n°1 est l’alcooolisme qui désocialise... ». En 2017, elle a vu 287 SDF, dont une quinzaine est sortie de la rue. « Vous savez,
on devient comme eux. Débrouillards. Et on avance à tous
petits pas ». Christophe acquiesce. Désarmé. Peut-être.
Mais terriblement utile. Un banal mercredi matin d’hiver à Cannes.