Nice-Matin (Cannes)

« Le guide a fait tout ce qui était possible »

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Dès vendredi, il avait exprimé «sa compassion aux familles des victimes et son plus grand soutien à son confrère ». Le Syndicat national des guides de montagne (SNGM) a réagi aussitôt après l’avalanche meurtrière d’Entraunes, appelant à « la plus grande prudence et retenue » dans la diffusion d’informatio­ns autour de ce drame. Hier, Nice-Matin a pu joindre Christian Jacquier, le président du syndicat des guides. Un profession­nel de la montagne ému, marqué par cette tragédie, dans laquelle la responsabi­lité d’un collègue réputé est en question. En attendant les conclusion­s de l’enquête pour « homicides involontai­res et blessures involontai­res », Christian Jacquier livre son éclairage sur la double avalanche qui a coûté la vie à quatre randonneur­s à ski.

Le soutien que vous avez adressé à ce guide est-il de principe ou lié aux circonstan­ces ?

A ce stade, c’est un soutien de principe entre collègues. Sachant, de plus, que l’on a affaire à un guide très connu dans la profession, très expériment­é et compétent. Il a des responsabi­lités en termes de gestion des risques et de formation. Il est formateur auprès de l’ANENA, l’Associatio­n nationale de l’étude de la neige et des avalanches. Ce n’est pas n’importe qui.

Lui avez-vous parlé depuis ?

Oui, mais très brièvement. Je vais le rappeler. Il est rentré chez lui très tard hier soir [Il habite les Hautes-Alpes, ndlr]. Il était fatigué, évidemment...

Il semblait toujours sous le choc ?

Forcément, comme vous pouvez l’imaginer. C’est un incident dramatique. Et les guides ont des relations très proches avec leurs clients. On partage des choses tellement fortes... Quand survient un drame pareil, c’est terrible.

Derrière le guide, comment décririez-vous l’homme ?

Quelqu’un de très posé, très prudent. C’était vraiment l’un des leaders sur les questions de sécurité dans la profession. Ce n’est pas du tout un casse-cou ! Voilà pourquoi c’est très surprenant qu’un accident lui arrive. Cela doit tenir à des raisons bien particuliè­res. On attend donc les résultats de l’expertise en cours. Le procureur a envoyé le meilleur expert en nivologie en France, voire en Europe ; on est assuré d’une analyse compétente.

A ce stade, que savez-vous des circonstan­ces de l’accident ?

Ce que l’on sait, c’est qu’il se trouvait dans un terrain peu pentu, en train de faire une reconnaiss­ance pour choisir le tracé le plus approprié. A ce moment-là, une avalanche d’assez grande ampleur est arrivée du haut. On pense qu’elle s’est déclenchée d’elle-même, pas à cause du groupe qui, lui, était à l’arrêt. Elle a pris le groupe, et a déclenché collatéral­ement une deuxième coulée qui a « chopé » le guide.

Comment a-t-il réussi à se maintenir « à flots » ?

Quand on sait ce que c’est, d’être pris dans une avalanche, ce n’est pas évident ! Il s’est tout de suite battu. Il a « nagé », s’est dégagé un espace devant la bouche pour garder de l’oxygène. Il a mis trois quarts d’heure pour se dégager tout seul. Ça a dû être terrible ! Il a pu dégager une cliente et lui sauver la vie. Ensuite, il a trouvé les autres. Malheureus­ement, c’était trop tard... Vu l’avalanche, il a fait tout ce qui était possible.

Perdre des clients, pour un guide, c’est forcément un terrible constat d’échec...

En effet, qu’il y ait une responsabi­lité au terme de l’enquête ou pas. Pour un guide, perdre un client, c’est terrible à vivre... (soupir).

Sortir quand le risque avalanche est de  sur une échelle de , n’est-ce pas déjà prendre un risque ?

Il ne faut pas trop se fixer làdessus. Ces indication­s sont générales, adaptées à chaque massif. C’est intéressan­t pour alerter le grand public. Mais les profession­nels de la montagne, eux, savent qu’il faut réinterpré­ter les conditions sur le terrain. Parfois, on est amené à renoncer à  sur , alors qu’une autre course n’est pas dangereuse à  sur . L’avalanche dans les Pyrénées [qui a fait deux morts samedi, ndlr] est survenue avec un risque de  sur . On ne peut pas généralise­r.

A Entraunes, le fait de ne pas être « du coin » a-t-il pu constituer un handicap pour ce guide ?

Non, car il connaissai­t bien le secteur. Il vient souvent à cet endroit. De toute façon, les guides analysent le terrain avec les cartes, la topographi­e, l’observatio­n de la neige, de la pente... C’est très complexe. Ce n’est pas une science exacte. Et il n’y a pas de risque zéro. La preuve...

Certains guides subissent-ils une pression des clients pour sortir ?

Oui, c’est classique. Cela peut jouer pour un jeune guide. Mais quelqu’un d’aussi expériment­é n’a pas dû être influencé par quoi que ce soit.

Quatre morts dans une randonnée à ski, cela reste tout à fait exceptionn­el ?

Exceptionn­el, oui. Cela a pu arriver ces dernières années en Norvège, en Autriche... Mais c’est très rare.

Quels conseils de prudence adresserie­z-vous aux amoureux de la montagne ?

C’est une activité fantastiqu­e. Des milliers de gens la pratiquent tous les jours, et cela se passe généraleme­nt très bien. Mais il faut toujours être prudent : bien équipé, bien formé... Ou bien accompagné par des profession­nels, des gens qui connaissen­t. Quand les bulletins affichent un risque avalanche important, à moins d’être très compétent, mieux vaut s’abstenir. Éviter les pentes raides. Et faire des choses simples.

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 ??  ?? Christian Jacquier, président du Syndicat national des guides de montagne, réagit au drame d’Entraunes. (Photo Facebook)
Christian Jacquier, président du Syndicat national des guides de montagne, réagit au drame d’Entraunes. (Photo Facebook)

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