« Le guide a fait tout ce qui était possible »
Dès vendredi, il avait exprimé «sa compassion aux familles des victimes et son plus grand soutien à son confrère ». Le Syndicat national des guides de montagne (SNGM) a réagi aussitôt après l’avalanche meurtrière d’Entraunes, appelant à « la plus grande prudence et retenue » dans la diffusion d’informations autour de ce drame. Hier, Nice-Matin a pu joindre Christian Jacquier, le président du syndicat des guides. Un professionnel de la montagne ému, marqué par cette tragédie, dans laquelle la responsabilité d’un collègue réputé est en question. En attendant les conclusions de l’enquête pour « homicides involontaires et blessures involontaires », Christian Jacquier livre son éclairage sur la double avalanche qui a coûté la vie à quatre randonneurs à ski.
Le soutien que vous avez adressé à ce guide est-il de principe ou lié aux circonstances ?
A ce stade, c’est un soutien de principe entre collègues. Sachant, de plus, que l’on a affaire à un guide très connu dans la profession, très expérimenté et compétent. Il a des responsabilités en termes de gestion des risques et de formation. Il est formateur auprès de l’ANENA, l’Association nationale de l’étude de la neige et des avalanches. Ce n’est pas n’importe qui.
Lui avez-vous parlé depuis ?
Oui, mais très brièvement. Je vais le rappeler. Il est rentré chez lui très tard hier soir [Il habite les Hautes-Alpes, ndlr]. Il était fatigué, évidemment...
Il semblait toujours sous le choc ?
Forcément, comme vous pouvez l’imaginer. C’est un incident dramatique. Et les guides ont des relations très proches avec leurs clients. On partage des choses tellement fortes... Quand survient un drame pareil, c’est terrible.
Derrière le guide, comment décririez-vous l’homme ?
Quelqu’un de très posé, très prudent. C’était vraiment l’un des leaders sur les questions de sécurité dans la profession. Ce n’est pas du tout un casse-cou ! Voilà pourquoi c’est très surprenant qu’un accident lui arrive. Cela doit tenir à des raisons bien particulières. On attend donc les résultats de l’expertise en cours. Le procureur a envoyé le meilleur expert en nivologie en France, voire en Europe ; on est assuré d’une analyse compétente.
A ce stade, que savez-vous des circonstances de l’accident ?
Ce que l’on sait, c’est qu’il se trouvait dans un terrain peu pentu, en train de faire une reconnaissance pour choisir le tracé le plus approprié. A ce moment-là, une avalanche d’assez grande ampleur est arrivée du haut. On pense qu’elle s’est déclenchée d’elle-même, pas à cause du groupe qui, lui, était à l’arrêt. Elle a pris le groupe, et a déclenché collatéralement une deuxième coulée qui a « chopé » le guide.
Comment a-t-il réussi à se maintenir « à flots » ?
Quand on sait ce que c’est, d’être pris dans une avalanche, ce n’est pas évident ! Il s’est tout de suite battu. Il a « nagé », s’est dégagé un espace devant la bouche pour garder de l’oxygène. Il a mis trois quarts d’heure pour se dégager tout seul. Ça a dû être terrible ! Il a pu dégager une cliente et lui sauver la vie. Ensuite, il a trouvé les autres. Malheureusement, c’était trop tard... Vu l’avalanche, il a fait tout ce qui était possible.
Perdre des clients, pour un guide, c’est forcément un terrible constat d’échec...
En effet, qu’il y ait une responsabilité au terme de l’enquête ou pas. Pour un guide, perdre un client, c’est terrible à vivre... (soupir).
Sortir quand le risque avalanche est de sur une échelle de , n’est-ce pas déjà prendre un risque ?
Il ne faut pas trop se fixer làdessus. Ces indications sont générales, adaptées à chaque massif. C’est intéressant pour alerter le grand public. Mais les professionnels de la montagne, eux, savent qu’il faut réinterpréter les conditions sur le terrain. Parfois, on est amené à renoncer à sur , alors qu’une autre course n’est pas dangereuse à sur . L’avalanche dans les Pyrénées [qui a fait deux morts samedi, ndlr] est survenue avec un risque de sur . On ne peut pas généraliser.
A Entraunes, le fait de ne pas être « du coin » a-t-il pu constituer un handicap pour ce guide ?
Non, car il connaissait bien le secteur. Il vient souvent à cet endroit. De toute façon, les guides analysent le terrain avec les cartes, la topographie, l’observation de la neige, de la pente... C’est très complexe. Ce n’est pas une science exacte. Et il n’y a pas de risque zéro. La preuve...
Certains guides subissent-ils une pression des clients pour sortir ?
Oui, c’est classique. Cela peut jouer pour un jeune guide. Mais quelqu’un d’aussi expérimenté n’a pas dû être influencé par quoi que ce soit.
Quatre morts dans une randonnée à ski, cela reste tout à fait exceptionnel ?
Exceptionnel, oui. Cela a pu arriver ces dernières années en Norvège, en Autriche... Mais c’est très rare.
Quels conseils de prudence adresseriez-vous aux amoureux de la montagne ?
C’est une activité fantastique. Des milliers de gens la pratiquent tous les jours, et cela se passe généralement très bien. Mais il faut toujours être prudent : bien équipé, bien formé... Ou bien accompagné par des professionnels, des gens qui connaissent. Quand les bulletins affichent un risque avalanche important, à moins d’être très compétent, mieux vaut s’abstenir. Éviter les pentes raides. Et faire des choses simples.