Santo Sospir: chez Cocteau avant deux ans de travaux
Récemment rachetée par un Géorgien vivant à Monaco, cette maison intégralement «tatouée» de fresques par Cocteau en 1950 fermera bientôt pour deux ans de travaux. Une visite s’impose
Villa Santo Sospir. 14, avenue Jean-Cocteau à Saint-Jean-CapFerrat. Une maison banale côté rue, mais magnifiquement perdue au bout de la presqu’île et dont la terrasse offre un panorama spectaculaire sur la mer. À quarante-deux ans, le promoteur Ilia Melia a signé sans sourciller un chèque de 12,4 millions d’euros pour s’en assurer la propriété. C’était en 2016, ce résident monégasque n’avait aucun besoin d’une nouvelle résidence secondaire. Ce sont les peintures intérieures, réalisées par Cocteau en 1950, qui ont déclenché son coup de coeur. Puis l’histoire du site, fascinante, dans un environnement intellectuel et artistique dont il était familier, ayant suivi sa scolarité à l’école française de Moscou. Cette villa, Carole Weissweiller, qui la tenait de sa mère Francine, mécène et amie intime du poète, peinait à en assurer l’entretien. « Dès la première visite, j’ai senti qu’il y avait ici quelque chose de magique, se souvient Ilia Melia. J’aimais déjà l’écriture de Cocteau mais je connaissais peu son oeuvre graphique. Aujourd’hui, c’est devenu une passion. » Au début, la vente de la maison à un « oligarque russe » a été largement commentée, faisant naître une sourde inquiétude bien au-delà de Saint-Jean. « Je comprends que les Français aient eu peur. Mais je ne suis pas oligarque. Ni même Russe, puisque les racines de ma famille sont en Géorgie », s’amuse l’intéressé en ajoutant, soudain grave : «Je ne vais jamais vendre. Santo Sospir est pour moi une occasion unique. L’aventure d’une vie. »
Tout est resté sur place
En pleine réflexion sur l’avenir de la villa, Ilia Melia a d’abord consulté celles et ceux qui la connaissaient le mieux. Dont Pierre Cardin et Pierre Bergé, ce dernier ayant souvent accompagné Yves Saint-Laurent chez Francine Weissweiller. Première certitude : Santo Sospir devait rester un lieu de villégiature et non pas devenir un conservatoire sans esprit et sans âme. En vertu du « geste magnifique » de sa précédente propriétaire, la dispersion du contenu a pu être évitée. Tout le mobilier et tous les objets sont restés, dont le plat de Picasso, les abatjour de Cocteau ou les meubles javanais « customisés » dans un style japonisant par Madeleine Castaing, qui a également habillé de canisses les murs et le plafond de la salle à manger. « Je souhaite que ma mère puisse y résider de temps en temps», prévient Ilia Melia. Mais sa priorité, c’est le projet artistique dont le public doit pouvoir profiter. Plusieurs rendez-vous seront organisés chaque année (lire ci-contre), dont une exposition d’art contemporain ouverte gratuitement durant tout ce mois de mai. Il faut s’y presser car la maison fermera bientôt ses portes pour deux ans de travaux. En concertation avec les meilleurs spécialistes, la villa étant doublement protégée par une inscription à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques et au Patrimoine du XXe siècle, un important programme de restauration n’attend plus qu’une confirmation administrative pour être engagé. Réfection totale de l’électricité et du réseau sanitaire, consolidation des fondations, étanchéité, restauration du mobilier : rien ne sera oublié. C’est le décorateur Jacques Grange, ancien collaborateur de Madeleine Castaing, qui a été désigné pour superviser cette partie du chantier sous le contrôle des autorités. Florence Cremer est chargée de la stabilisation des peintures de Cocteau. Madison Cox, veuf de Bergé, de la reprise de 3 000 m2 de jardins en terrasse. Le budget s’élève à cinq millions d’euros. Santo Sospir, une danseuse ? « Une mission », corrige Ilia Melia qui prend son nouveau rôle au sérieux : « Continuer à faire vivre la villa en respectant son histoire. »