Pourquoi les avocats sont-ils en colère?
Près de cent avocats du barreau de Grasse ont manifesté hier sur les marches du TGI pour s’opposer au décret de concentration des contentieux au sein d’un seul tribunal par département
Tous debout, unis comme un seul homme. En rang serré hier matin sur les marches du parvis de tribunal de grande instance de Grasse. Un mur noir de colère de presque cent robes d’avocats pour faire front commun contre le texte déposé le même jour au Conseil d’État par le gouvernement. Contre un projet de loi de programmation pour la justice visant à rationaliser, simplifier et moderniser le service au justiciable. Mais qui, selon nombre de magistrats, risque fort «d’éloigner encore davantage le juge du citoyen… Et par la même occasion d’écarter l’avocat au profit d’opérateurs privés», comme l’explique Me Roland Rodriguez, bâtonnier de l’ordre du barreau de Grasse où pas moins de 630 avocats sont inscrits à ce jour. Il était hier avec ses confrères devant le Palais de justice de l’avenue Pierre-Sémard. Sans détours, il met en garde contre les dangers de ce projet de loi qui risque de dévitaliser le TGI grassois par simple décret, sans concertation.
Pourquoi cette manifestation si le gouvernement a finalement renoncé à instituer la départementalisation automatique des juridictions
de première instance ? Il n’y a pas de fermeture de juridiction : très bien ! Sauf que le texte proposé aujourd’hui au Conseil d’État prévoit, de fait, expressément et par simple décret, qu’un tribunal de grande instance au sein de chaque département soit désigné comme la juridiction qui traitera exclusivement d’un certain nombre de contentieux.
Quels sont les contentieux en question ?
La liste des contentieux visés cette concentration au sein d’un seul tribunal par département n’est justement pas encore arrêtée. Elle le sera également par décret ! Donc, notre crainte d’une dévitalisation du TGI de Grasse est toujours une réalité.
Quelles seraient les conséquences pour les justiciables?
Les avocats sont des professionnels libéraux, capables de s’adapter à la société. Mais si vous avez une migration des lieux de justice et donc une migration des professionnels de justice, vous n’aurez plus à proximité de chez vous, dans l’ouest du département, les services susceptibles de régler vos litiges.
Un exemple de mesure qui pourrait être préjudiciable pour le justiciable ?
L’une est symptomatique. Elle concerne les « injonctions de payer », qui permettent, dans le cadre de petites créances, un titre exécutoire rapidement. Elles sont actuellement traitées par les tribunaux d’instance, près de chez vous. Eh bien, est envisagée une procédure nationale avec une juridiction nationale totalement, dématérialisée… Même si je suis favorable à la dématérialisation pour faciliter la vie, fluidifier les échanges, etc. Mais lorsque vous n’avez plus de juge à côté de chez vous, ce qui, à terme va arriver, la justice sera totalement déshumanisée!
Quelle est, selon vous, la volonté réelle derrière ce projet de loi ?
L’objectif affiché c’est de faire autant avec moins… Mais en réalité, on veut faire faire moins avec moins… C’est-à-dire que si le justiciable ne pouvait, à un moment donné, ne plus saisir le juge, je pense que cela conviendrait parfaitement aux pouvoirs publics. À terme, c’est cela l’idée, puisqu’on vous dit dans ce texte : « On va vous imposer la tentative de conciliation avant toute saisine de juridiction ». Et les conciliations ne seront pas confiées à un service public de la justice, mais à des opérateurs privés. Et même des plateformes numériques ! Tout cela n’a rien à voir avec la modernisation de la justice. C’est purement économique. La France est e sur pays en Europe pour le nombre de magistrats par habitant.
Vous allez rester mobilisés ?
Le barreau de Grasse a déjà voté le principe d’une mobilisation démonstrative pour la journée du mars, à l’appel de nombreux syndicats de magistrats contre ce projet de loi.