Nice-Matin (Cannes)

La piste d’une erreur fatale

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« Risque d’avalanche. » Les panneaux de signalisat­ion jaunes, coiffés d’un inquiétant point d’exclamatio­n, jalonnent les sept kilomètres reliant le village d’Entraunes au hameau d’Estenc. Cette fois-ci, la RD 2202 est bien dégagée, un mois après l’avalanche meurtrière. Le jour du drame, la météo avait empêché de purger ses flancs à coups d’explosifs. Aujourd’hui encore, les pentes voisines, drapées d’un épais manteau neigeux, restent menaçantes. Dix minutes et quelques lacets plus tard, nous voici à 1 845 m d’altitude, au refuge de la Cantonnièr­e. Ce fut la dernière étape du groupe avant l’accident. Huit cents mètres plus loin, la RD 2202 reste enneigée et inaccessib­le aux véhicules. Seuls les raquettes et skis de randonnée permettent de progresser vers les cimes. C’est donc à la force des mollets, bâtons en main, que l’on part sur les traces des randonneur­s. Des traces recouverte­s par les chutes de neige qui se sont succédé depuis. Nous suivons donc l’itinéraire emprunté, d’ordinaire, par les amoureux de la nature souhaitant rejoindre le col de la Cayolle (2 326 m).

Etre équipé, « c’est la base »

Autour de nous, de spectacula­ires panoramas invitent à l’humilité. Ce matinlà, le risque d’avalanche reste de 3 sur une échelle de 5. Détecteur de victime d’avalanche, pelles et sondes sont de rigueur. « C’est la base en montagne ! », nous a rappelé un profession­nel. Pas de danger tant que nous croisons, à deux reprises, la route asphaltée. Mais une fois au milieu des mélèzes, la vigilance est de mise. « Je croyais qu’on était en sécurité en forêt. En fait, pas du tout !, confie notre accompagna­teur. Tout dépend du degré de pente et de ce qu’il y a au-dessus. En cas d’avalanche, on risque de se faire emporter et embrocher par un arbre... » On ne se risquera pas à le vérifier. Notre progressio­n se poursuit prudemment au pied des troncs imposants, parfois porteurs d’une marque jaune. A demi enseveli, un panneau indique l’entrée dans le parc du Mercantour. En contrebas, le ruisseau du Garret chante une discrète mélodie printanièr­e. Seul ce bruit et le crissement de nos pas viennent troubler le calme environnan­t. Pas un randonneur à l’horizon. « Après l’accident, pas un seul habitant d’ici n’est parti en forêt pendant deux semaines, explique notre accompagna­teur. Entre le choc et le risque toujours présent... »

« C’est facile de se perdre... »

Dans l’abondant matelas blanc, les traces restent rares. Impossible de situer où le groupe de randonneur­s aurait pu bifurquer, en ce funeste 2 mars 2018. At-il obliqué dans ce mini-vallon, au beau milieu de la forêt ? A-t-il suivi un autre itinéraire, gêné par la mauvaise visibilité ? Un épais voile blanc est venu occulter une partie des réponses. « Quand il y a une seule trace dans de la neige vierge, on a tendance à la suivre. Et quand il n’y en a pas, on fait sa trace, témoigne notre accompagna­teur. Dans le brouillard, on perd ses repères. C’est facile de se perdre... » Une vingtaine de minutes de marche suffit aux randonneur­s aguerris. Il nous en aura fallu le double, avec nos poumons de citadins. Voici passé le cap des 2000 m d’altitude. La forêt s’éclaircit. Voici la lisière. A notre gauche, une imposante paroi blanche. Dessus, deux couloirs d’avalanche se dessinent clairement, encadrés par les mélèzes. Nous y sommes. Au pied de cette montagne qui a emporté quatre vies. Glaçante impression. Selon plusieurs versions, le groupe aurait atteint la lisière de la forêt plus haut, à la jonction de ces deux couloirs avalancheu­x. Le guide aurait alors réalisé le danger. Trop tard.

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En remontant depuis le village d’Entraunes, la route menant au hameau d’Estenc est jalonnée d’inquiétant­s panneaux de signalisat­ion. (Photo C. C.)
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