Nice : justice morte et avocats en marche
Les avocats du barreau de Nice ont manifesté en nombre hier contre un projet de réforme de la justice. L’ensemble des procès au pénal ont été renvoyés
Un long cortège de robes noires et de parapluies s’ébranle de la place du palais de justice de Nice vers la place Garibaldi. Ils sont près de deux cents, essentiellement des avocats mais aussi des greffiers et des magistrats à défiler dans une ambiance bon enfant. Sur l’air de Cadet Roussel, un avocat s’époumone dans le mégaphone: , « Belloubet à la chancellerie, voulait faire des économies et ce n’est pas réalisable elle sacrifie le justiciable. Ah ! Ah ! tu vois Macron, c’est pour ça que nous manifestons ». Fumigènes, sifflets, banderoles déployées, les professionnels du droit tentent au passage d’expliquer aux quidams les dangers de la réforme d’une institution exsangue. Même s’ils n’étaient pas tous d’accord sur les modalités d’action depuis que la grève illimitée a été votée, ils étaient tous unis hier. Me Xavier Fruton, de l’Union des Jeunes avocats, résume pourquoi la profession se bat : « Un accès à un juge indépendant et non à un robot ; une justice dotée de moyens humains et matériels ; le maintien des droits de la défense et de la place de la victime; une justice proche du justiciable avec des juridictions de plein exercice sans création de désert judiciaire ; une justice non privatisée.»
Accès cadenassés
Le gouvernement qui a décidé d’une loi de programmation pour la justice sur cinq ans Me David Allouche (sur la photo), à l’instar de ses confrères du barreau de Nice, est très en colère contre le projet de réforme de la justice du gouvernement : «Le 1er septembre, la réforme de la procédure d’appel a été instaurée sans que personne ne réagisse. Résultat : un coût supplémentaire pour le justiciable et près de 20 % des procédures déclarées irrecevables tant la procédure est complexe. Tout cela dans le but de désengorger les cours d’appel ! » Cet avocat niçois estime que le gouvernement veut imposer une loi qui réduira les droits des citoyens et limitera l’accès à juge. «Si nous sommes mobilisés, c’est pour défendre les droits des justiciables, quels qu’ils soient », martèle l’avocat. « L’opinion publique ignore que la moitié du millier d’avocats niçois gagnent 1 500 euros par mois », souligne l’avocat qui s’étonne du peu de médiatisation du mouvement. Avec son aide, voici un décryptage de ce que pourrait, (passant de 7 milliards cette année à 8,3 milliards en 2022 avec, à la clef, 6 500 embauches) ne pensait sans doute pas provoquer autant de mécontentement chez les avocats. « Le projet a pour seul objectif la réduction des coûts via la déjudiciairisation à outrance, la dématérialisation et la privatisation de la justice civile. Et ce, au détriment du justiciable », peste un représentant du Syndicat de France (SAF). concrètement, changer la réforme.
Victime d’une infraction Aujourd’hui : vous déposez plainte en gendarmerie ou au commissariat. Le procureur doit vous répondre dans un délai de trois mois. Demain : vous devrez saisir votre plainte en ligne sans accompagnement. Le procureur disposera de six mois pour vous répondre et en cas de refus de poursuite, vous devrez former un recours hiérarchique auprès du procureur général avant de pouvoir éventuellement saisir un juge un an après les faits.
Aujourd’hui : vous pouvez saisir le tribunal de grande instance de votre ville (si elle en dispose d’un). Demain : vous serez contraint de saisir le tribunal de grande instance de votre département... oui celui qui sera désigné par décret selon son pôle de compétence.
Petits litiges Aujourd’hui : vous pouvez saisir directement le tribunal. La Chancellerie a certes reculé sur deux points : la procédure de vente aux enchères (qui permet de financer l’aide juridictionnelle), et la présence de l’avocat pour les convocations sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Mais il reste bien des sujets de tensions ; Pour Me Morel Alexandra, des pans entiers de l’activité disparaîtront. Depuis une semaine, elle distribue des tracts d’explication de la réforme : « Ce n’est pas un mouvement corporatiste. Les avocats se mobilisent pour défendre l’accès au droit des citoyens. » Hier matin, à 8 heures, le bâtonnier Valentin Cesari et d’autres avocats ont symboliquement cadenassé les accès du palais de justice. À 9 h 30, tout est rentré dans l’ordre sous l’oeil de dizaines de policiers déployés. Une assemblée générale doit décider aujourd’hui de la suite du mouvement. Demain : vous devrez payer une société privée en ligne qui tentera une conciliation ou une médiation et décidera à votre place si votre recours est justifié ou non.
Aujourd’hui : vous pouvez saisir le tribunal d’instance de votre domicile par déclaration aux greffes ou par injonction de payer. Demain : vous devrez saisir le juge uniquement par Internet. Si le juge accepte de vous écouter, vous devrez vous rendre dans le seul tribunal compétent du département. L’injonction de payer sera traitée uniquement par informatique au tribunal. Soumis début mars au Conseil d’État, le projet de loi de programmation de la Justice doit passer en conseil des ministres ce mois-ci. Objectif : un vote au Parlement avant la trêve estivale. Depuis plusieurs semaines, ce texte porté par la garde des Sceaux Nicole Belloubet et qui fixe les grandes orientations de la justice pour les années à venir, mobilise largement contre lui avocats, magistrats et greffiers. Ils dénoncent « une privatisation et une déshumanisation de la justice ». Mais concrètement ? Qu’est-ce que
. La réforme du divorce
« Aujourd’hui, au début de toute procédure de divorce contentieux, les deux époux rencontrent le juge aux affaires familiales (JAF) pour organiser provisoirement leur séparation en attendant le jugement de divorce. Il y a obligation pour les époux d’assister personnellement à cette audience. La réforme propose de supprimer cette audience. Il n’y en aura plus qu’une sans la présence des époux. Voire plus d’audience du tout. On réglera le sort des gens, des enfants et la gestion des biens sur papier. Le but, c’est de mobiliser moins de moyens mais on perd en humanité. Et il est loin d’être certain que les procédures de divorce soient plus rapides pour autant ».
. La pension alimentaire
« La réforme ouvre la possibilité que la révision des pensions alimentaires soit faite non plus par le juge mais par la Caisse d’allocations familiales (CAF) par application stricte d’un barème pré-établi ».
. La procédure pénale
« La proposition, c’est qu’un certain nombre de crimes ne soient plus jugés par la cour d’assises, composée de jurés citoyens, mais par un tribunal criminel départemental, composé de cinq juges professionnels. Cela permet de rogner sur les frais de justice et de réduire le temps d’audience. La cour d’assises sera maintenue pour les accusés qui risquent ans de réclusion ou plus ».
. La réduction du recours à la collégialité du tribunal
« On va augmenter les audiences à juge unique. La plupart des délits seront jugés par un juge unique. Cela concerne également l’appel, avant mené par trois juges. C’était une garantie importante pour le justiciable. Elle devrait être supprimée ».