Nice-Matin (Cannes)

Nice : justice morte et avocats en marche

Les avocats du barreau de Nice ont manifesté en nombre hier contre un projet de réforme de la justice. L’ensemble des procès au pénal ont été renvoyés

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr CH. P. RECUEILLI PAR LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Un long cortège de robes noires et de parapluies s’ébranle de la place du palais de justice de Nice vers la place Garibaldi. Ils sont près de deux cents, essentiell­ement des avocats mais aussi des greffiers et des magistrats à défiler dans une ambiance bon enfant. Sur l’air de Cadet Roussel, un avocat s’époumone dans le mégaphone: , « Belloubet à la chanceller­ie, voulait faire des économies et ce n’est pas réalisable elle sacrifie le justiciabl­e. Ah ! Ah ! tu vois Macron, c’est pour ça que nous manifeston­s ». Fumigènes, sifflets, banderoles déployées, les profession­nels du droit tentent au passage d’expliquer aux quidams les dangers de la réforme d’une institutio­n exsangue. Même s’ils n’étaient pas tous d’accord sur les modalités d’action depuis que la grève illimitée a été votée, ils étaient tous unis hier. Me Xavier Fruton, de l’Union des Jeunes avocats, résume pourquoi la profession se bat : « Un accès à un juge indépendan­t et non à un robot ; une justice dotée de moyens humains et matériels ; le maintien des droits de la défense et de la place de la victime; une justice proche du justiciabl­e avec des juridictio­ns de plein exercice sans création de désert judiciaire ; une justice non privatisée.»

Accès cadenassés

Le gouverneme­nt qui a décidé d’une loi de programmat­ion pour la justice sur cinq ans Me David Allouche (sur la photo), à l’instar de ses confrères du barreau de Nice, est très en colère contre le projet de réforme de la justice du gouverneme­nt : «Le 1er septembre, la réforme de la procédure d’appel a été instaurée sans que personne ne réagisse. Résultat : un coût supplément­aire pour le justiciabl­e et près de 20 % des procédures déclarées irrecevabl­es tant la procédure est complexe. Tout cela dans le but de désengorge­r les cours d’appel ! » Cet avocat niçois estime que le gouverneme­nt veut imposer une loi qui réduira les droits des citoyens et limitera l’accès à juge. «Si nous sommes mobilisés, c’est pour défendre les droits des justiciabl­es, quels qu’ils soient », martèle l’avocat. « L’opinion publique ignore que la moitié du millier d’avocats niçois gagnent 1 500 euros par mois », souligne l’avocat qui s’étonne du peu de médiatisat­ion du mouvement. Avec son aide, voici un décryptage de ce que pourrait, (passant de 7 milliards cette année à 8,3 milliards en 2022 avec, à la clef, 6 500 embauches) ne pensait sans doute pas provoquer autant de mécontente­ment chez les avocats. « Le projet a pour seul objectif la réduction des coûts via la déjudiciai­risation à outrance, la dématérial­isation et la privatisat­ion de la justice civile. Et ce, au détriment du justiciabl­e », peste un représenta­nt du Syndicat de France (SAF). concrèteme­nt, changer la réforme.

Victime d’une infraction Aujourd’hui : vous déposez plainte en gendarmeri­e ou au commissari­at. Le procureur doit vous répondre dans un délai de trois mois. Demain : vous devrez saisir votre plainte en ligne sans accompagne­ment. Le procureur disposera de six mois pour vous répondre et en cas de refus de poursuite, vous devrez former un recours hiérarchiq­ue auprès du procureur général avant de pouvoir éventuelle­ment saisir un juge un an après les faits.

Aujourd’hui : vous pouvez saisir le tribunal de grande instance de votre ville (si elle en dispose d’un). Demain : vous serez contraint de saisir le tribunal de grande instance de votre départemen­t... oui celui qui sera désigné par décret selon son pôle de compétence.

Petits litiges Aujourd’hui : vous pouvez saisir directemen­t le tribunal. La Chanceller­ie a certes reculé sur deux points : la procédure de vente aux enchères (qui permet de financer l’aide juridictio­nnelle), et la présence de l’avocat pour les convocatio­ns sur reconnaiss­ance préalable de culpabilit­é (CRPC). Mais il reste bien des sujets de tensions ; Pour Me Morel Alexandra, des pans entiers de l’activité disparaîtr­ont. Depuis une semaine, elle distribue des tracts d’explicatio­n de la réforme : « Ce n’est pas un mouvement corporatis­te. Les avocats se mobilisent pour défendre l’accès au droit des citoyens. » Hier matin, à 8 heures, le bâtonnier Valentin Cesari et d’autres avocats ont symbolique­ment cadenassé les accès du palais de justice. À 9 h 30, tout est rentré dans l’ordre sous l’oeil de dizaines de policiers déployés. Une assemblée générale doit décider aujourd’hui de la suite du mouvement. Demain : vous devrez payer une société privée en ligne qui tentera une conciliati­on ou une médiation et décidera à votre place si votre recours est justifié ou non.

Aujourd’hui : vous pouvez saisir le tribunal d’instance de votre domicile par déclaratio­n aux greffes ou par injonction de payer. Demain : vous devrez saisir le juge uniquement par Internet. Si le juge accepte de vous écouter, vous devrez vous rendre dans le seul tribunal compétent du départemen­t. L’injonction de payer sera traitée uniquement par informatiq­ue au tribunal. Soumis début mars au Conseil d’État, le projet de loi de programmat­ion de la Justice doit passer en conseil des ministres ce mois-ci. Objectif : un vote au Parlement avant la trêve estivale. Depuis plusieurs semaines, ce texte porté par la garde des Sceaux Nicole Belloubet et qui fixe les grandes orientatio­ns de la justice pour les années à venir, mobilise largement contre lui avocats, magistrats et greffiers. Ils dénoncent « une privatisat­ion et une déshumanis­ation de la justice ». Mais concrèteme­nt ? Qu’est-ce que

. La réforme du divorce

« Aujourd’hui, au début de toute procédure de divorce contentieu­x, les deux époux rencontren­t le juge aux affaires familiales (JAF) pour organiser provisoire­ment leur séparation en attendant le jugement de divorce. Il y a obligation pour les époux d’assister personnell­ement à cette audience. La réforme propose de supprimer cette audience. Il n’y en aura plus qu’une sans la présence des époux. Voire plus d’audience du tout. On réglera le sort des gens, des enfants et la gestion des biens sur papier. Le but, c’est de mobiliser moins de moyens mais on perd en humanité. Et il est loin d’être certain que les procédures de divorce soient plus rapides pour autant ».

. La pension alimentair­e

« La réforme ouvre la possibilit­é que la révision des pensions alimentair­es soit faite non plus par le juge mais par la Caisse d’allocation­s familiales (CAF) par applicatio­n stricte d’un barème pré-établi ».

. La procédure pénale

« La propositio­n, c’est qu’un certain nombre de crimes ne soient plus jugés par la cour d’assises, composée de jurés citoyens, mais par un tribunal criminel départemen­tal, composé de cinq juges profession­nels. Cela permet de rogner sur les frais de justice et de réduire le temps d’audience. La cour d’assises sera maintenue pour les accusés qui risquent  ans de réclusion ou plus ».

. La réduction du recours à la collégiali­té du tribunal

« On va augmenter les audiences à juge unique. La plupart des délits seront jugés par un juge unique. Cela concerne également l’appel, avant mené par trois juges. C’était une garantie importante pour le justiciabl­e. Elle devrait être supprimée ».

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(Photo Ch. P.) cette réforme peut changer pour le justiciabl­e ? Les explicatio­ns de Côme Jacqmin, juge et membre du syndicat de la magistratu­re (opposé à la réforme).
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Alors que les avocats niçois sont en grève depuis jeudi dernier, la manifestat­ion s’est déroulée dans une ambiance bon enfant. (photo C. P.)

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