Nice-Matin (Cannes)

VOILE Francis Joyon

- RECUEILLIS PAR PHILIPPE HERBET

Un “bonhomme”, comme on dit chez nous ! Un vrai ! Un mec, un “couillu”, qu’on est capable de suivre, les yeux bandés, jusqu’à l’autre bout de la planète (réduite aux océans, en fait). Parce que son pedigree inspire autant confiance qu’il ne suscite le respect. Mais aussi parce que son parcours lui permet de signer, en bas de la feuille d’émargement, un CV hors normes. Francis Joyon, c’est tout cela à la fois : un pur marin, comme esthétique­ment on les aime, et un personnage qui ne laisse, jamais, mais jamais, personne indifféren­t. Et juste, si un seul instant, vous n’adhérez pas, prenez quand même le soin de lire ces quelques lignes…

Francis, après un prologue et un run d’exhibition qui ont permis à tous de prendre ses marques, question “bateau”, quelles ambitions nourrissez-vous sur cette course ?

On vient ici pour valider toutes les modificati­ons que l’on a faites sur le bateau. Des réglages et calibrages de foils et safrans qui n’ont pas été possibles sur le convoyage jusqu’ici, en raison de conditions de mer contraires. Donc, oui, ce Nice Ultimed va être intéressan­t pour voir comment tout ce matériel fonctionne. On vient, comme tout compétiteu­r qui se respecte, pour gagner, mais aussi pour se préparer en vue de la Route du Rhum… La Méditerran­ée, on le sait, est un terrain de jeu qui peut réserver bien des surprises. Comment voyez-vous la course, sachant que, depuis quelques heures, les fichiers météo se sont quelque peu affinés ? On voit du Mistral, des fichiers avec des vents de  noeuds, ce qui veut dire en réel jusqu’à  noeuds. Alors, oui, ça va être des conditions difficiles pour tous les bateaux. Parce qu’on ne bouchonne pas dans le mauvais temps ; on ricoche d’une vague à l’autre. Ça ne sera pas simple, mais on est ici en connaissan­ce de cause.

Ce « sprint au large » risque aussi d’être une course intense et exigeante pour les équipages…

Oui. Ça va tirer sur les nerfs et le physique puisqu’on a des voiles de plusieurs centaines de kilos à manoeuvrer. Ça veut dire qu’il faudra être à %.

Si les prévisions sont validées, ce Nice Ultimed pourrait se résumer en un duel entre votre Idec Sport et le Sodebo de Thomas Coville, non ?

On en a déjà connu bien des duels, à travers le monde et les océans. Cette fois, on se retrouve sur une version méditerran­éenne. C’est bien...

Vous avez été le premier, à boucler un tour du monde en solitaire sur un multicoque, c’est un joli souvenir ? Un vrai fait d’armes ?

C’est forcément un grand souvenir. Et pas seulement sur un plan sportif. Oui, c’était le premier tour du monde sans escale en solitaire dans cette série, mais ce que je retiens surtout, c’est que c’était le premier tour du monde sans énergie fossile. J’étais parti juste avec une éolienne et des panneaux solaires et j’ai pu fabriquer l’électricit­é du bateau. Avec zéro litre de gasoil, j’ai pu faire un tour complet de la planète et, pour moi, c’était moralement hyper satisfaisa­nt. Alors que pour les spécialist­es, ça semblait impossible. Donc, oui, j’étais content de le faire sur mon petit bateau… Et puis, il y a ce Trophée JulesVerne, que vous avez conquis en explosant tous les records… C’est tout récent. Mais c’est vrai qu’on a été tous hyper contents de réussir ce record en un peu plus de  jours… C’était merveilleu­x !

C’est aussi, pour vous, une jolie reconnaiss­ance… Peut-être. On n’est jamais déçu d’être reconnu par ses pairs.

Dans votre parcours, ce qui est fascinant, c’est le jour où vous récupérez les flotteurs d’Elf Aquitaine et décidez, seul, sans soutien financier, de « fabriquer » un bateau…

C’est l’histoire d’un bricoleur passionné (rires). Mais c’est vrai, à partir de deux coques abandonnée­s, derrière un chantier, je me suis lancé là-dedans…

C’était quand même un drôle de pari ?

Oui. J’avais alors une vague idée de ce qu’était le bois, mais pas le carbone, le nid-d’abeilles, le composite… J’ai racheté ces coques en sachant pertinemme­nt le temps que ça prendrait pour remettre le bateau en état. Mais, en partant dans l’inconnu, j’ai aussi découvert plein de choses…

Et tout cela, sans personne pour vous financière­ment soutenir…

Sans personne, effectivem­ent, pour m’aider sur ce projet. Donc avec des petits moyens et l’obligation, face aux fournisseu­rs, de pleurer à chaque fois…

On a sûrement dû vous prendre pour un fou à l’époque…

Un peu. Mais, bon, j’avais eu un véritable coup de foudre pour ce bateau. Il fallait lui redonner vie…

Quand on a votre vécu de

marin, qu’est-ce qui vous motive encore ? Ce rendez-vous avec Nice-Matin (rires…). Non, en fait, pour moi, c’est une bénédictio­n que de pouvoir aller en mer. Même sur un petit bateau. Alors, imaginez, sur ces multicoque­s, à ce point magiques. C’est juste un vrai bonheur. Toujours renouvelé…

Plaisir, OK, mais parfois aussi quelques frayeurs en mer ?

Bien sûr. La vie de marin, surtout en multi, est une vie souvent agitée. J’ai vécu plusieurs chavirages, plusieurs démâtages, et ce sont toujours des moments de peurs comme des signes d’échecs. Mais le charme de notre quotidien, c’est de ne se rappeler, finalement, que des bons moments…

Malgré tout, les situations peuvent devenir “extrêmes”…

Sur un chavirage, je suis resté cinq jours, dans un bateau, à l’envers, en train de couler dans la tempête, et avec un volume d’air - comme le mât perçait le pont - qui se réduisait de plus en plus. Oui, c’est vrai, ça n’a rien d’anodin.

Et à quoi pense-t-on dans ces moments-là ?

En général, on n’a pas le temps de gamberger. On doit être actif pour sauver le bateau. On ne pense qu’à ça, en fait.

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