Attentats: «Guihal a plus à nous dire qu’Abdeslam»
Il aurait revendiqué pour Daesh les attentats de Nice et de Magnanville. Ce djihadiste français a été capturé en Syrie. Une prise majeure, estime Me Gérard Chemla, avocat de nombreuses victimes
Son nom de guerre est «Abou Oussama al-Faransi ». Mais c’est bien sous son nom français qu’Adrien Guihal, 35 ans, devra rendre des comptes à la justice. Avec les frères Jean-Michel et Fabien Clain, ce djihadiste est considéré comme l’un des cadres de la propagande de Daesh. Il est notamment accusé d’avoir revendiqué les attentats de Nice et Magnanville en 2016. Adrien Guihal a été capturé avec sa femme et ses six enfants par les Forces démocratiques syriennes (FDS), le 19 mai à Raqqa, en Syrie. Une prise de guerre majeure, estime Me Gérard Chemla. Avocat dans plusieurs affaires terroristes emblématiques – il représente une soixantaine de victimes de l’attentat de Nice, plus du double pour le 13-Novembre –, Me Chemla livre son éclairage sur le cas Guihal.
Que vous inspire cette capture ?
M. Guihal est quelqu’un de très notable. Il est proche des frères Clain dès le milieu des années . Il l’est aussi de Ben Abbès au moment de l’attentat du Caire [en , Ndlr]. Il a manifestement deux rôles : la communication – forums, sites, émissions, vidéos de Daesh… – et l’instigation. On le retrouve parmi les radicalisés qui ont amené à l’attentat de Villejuif, en filigrane dans le dossier du -Novembre, et en fil rouge dans les liens avec ceux qui ont préparé ou commis les attentats.
Son arrestation porte-t-elle un coup davantage symbolique ou logistique à Daesh ?
Ce qui m’intéresse, c’est que l’on arrête et que l’on juge les auteurs les plus haut placés des attentats. Or il est évident qu’il s’agit d’un dirigeant de Daesh, qu’il a un rôle actif dans plusieurs attentats en France et des liens directs avec les cellules terroristes.
Un djihadiste de premier plan capturé vivant, c’est rare. Il s’agit donc là d’une très belle prise ?
C’est toujours compliqué de capturer ces gens vivants. Cela implique de savoir les détenir, d’enquêter, de les juger, et d’éviter qu’ils ne créent des foyers djihadistes au sein des prisons… Mais sans faire d’échelle de valeur, je pense qu’il a plus de choses à nous dire qu’un Salah Abdeslam.
Au vu du mutisme d’Abdeslam, espérez-vous des révélations ?
Je ne raisonne pas comme cela. Ma règle, c’est de n’être jamais suspendu aux lèvres ni d’un tueur en série, ni d’un terroriste ! Il fera ce qu’il voudra. Ce que je veux, c’est que l’on rassemble contre lui un dossier complet, en travaillant sur ses mouvements ces dernières années, et que l’on en tire des conséquences judiciaires.
À votre sens, ce ressortissant français doit être jugé en France ?
Les dossiers dont je vous parle sont des dossiers français. Ensuite, il a une peine à purger en France, il fait l’objet d’un mandat d’arrêt français et, à ma connaissance, en Belgique aussi. Les infractions ont été commises partout dans le monde, mais visaient clairement les sols français et belges…
On le présente comme « la voix qui a revendiqué l’attentat de Nice ». Le symbole est fort… Les revendications, ce n’est que de la com’ ! Ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’il a eu un rôle d’instigateur dans l’attentat de Nice, et s’il avait des contacts avec Bouhlel. C’est une voix de Daesh, mais ce n’est pas que cela.
Son audition peut apporter des éléments clés pour l’enquête ?
Cela peut être intéressant sur cette enquête. Mais c’est surtout intéressant pour en savoir plus sur les frères Clain et Ben Abbès. Car les attentats des dix dernières années en France et en Belgique sont liés. Ce sont donc ces gens-là qu’il faut absolument arrêter. Moi, j’attends les frères Clain… Quant à ce type-là, ce n’est pas un martyr, c’est un assassin !
Comment réagissent les victimes que vous représentez, quand des djihadistes sont « neutralisés » par drone ou capturés ?
Ce sont deux choses différentes. Après la neutralisation d’un proche de Guihal, certains clients m’ont dit : « Nous, ce que l’on veut, ce ne sont pas des éliminations. C’est répondre au terrorisme par la justice, enquêter, identifier et aller jusqu’au bout pour démanteler ces réseaux. » L’honneur d’une société, c’est de répondre au terrorisme par le judiciaire. Pas de se mettre à leur niveau. Même si c’est facile de dire cela derrière un bureau…
Où en est l’instruction sur l’attentat du -Juillet ?
Nous avons changé de juge. Mme Robinson a pris la suite de M. Choquet, parti à la retraite. Cela a fait perdre un peu de temps. Mme Robinson passe deux mois à tout reprendre, ré-interroger les gens… J’espère un coup d’accélérateur ces prochaines semaines. Pour l’instant, l’instruction n’aboutit pas à des pistes très intéressantes. On a le sentiment que l’auteur de l’attentat de Nice est plus un franc-tireur qu’autre chose.
Et l’enquête sur les possibles failles du dispositif de sécurité ?
Ce dossier n’avance pas, en raison d’une mauvaise connexion entre les juges de Paris et de Nice. Jusqu’à récemment, ces derniers n’avaient pas récupéré les éléments utiles des juges de Paris – un comble ! Mme Robinson nous a laissé entendre qu’elle ferait le nécessaire pour que cela change.
Bientôt deux ans après le -Juillet, où en sont les victimes ?
Je pense que c’est toujours aussi compliqué. Je n’ai pas noté d’évolution sensible. Et certaines personnes, qui pensaient que cela irait, commencent à aller moins bien. Les indemnisations sont lentes, le fonds de garantie est peu généreux… Il faut que la justice se dépêche.