Les douleurs du cerveau décryptées
À la une La découverte du Pr Denys Fontaine éclaire d’un jour nouveau les mécanismes des céphalées en général, de la migraine en particulier
Oui, on peut avoir mal au cerveau. C’est ce que vient de démontrer le Pr Denys Fontaine, neurochirurgien au CHU de Nice, à l’issue d’une étude conduite sur plusieurs années. Une découverte qui vient bousculer un dogme ancré depuis près de 80 ans, et qui « reposait sur la publication, en 1940, d’un article scientifique concluant à l’absence d’innervation sensitive au niveau du cerveau». En clair, on était jusque-là convaincu que le cerveau était totalement indolore ! C’est cette assertion qui conduisait Jonathan Demme à imaginer cette scène culte du film Le Silence des agneaux, au cours de laquelle Hannibal Lecter trépane un homme (drogué mais encore vivant et conscient), lui découpe un bout de cervelle et le lui fait manger. Plus sérieusement, ce dogme est aussi à la base de la technique de chirurgie éveillée, qui consiste à opérer le patient pendant qu’il est conscient. Développée depuis une quinzaine d’années, elle a représenté un progrès considérable en permettant notamment de retirer des tumeurs autrefois intouchables. Et c’est en pratiquant ce type d’intervention que le Pr Fontaine, un des meilleurs spécialistes français de cette approche, relevait, il y a quelques années déjà, un fait troublant. « Chez certains patients, certes rares, on s’est aperçu que lorsque l’on touchait certaines zones du cerveau, ils se plaignaient de douleurs. Des douleurs très brèves – une fraction de seconde – sans conséquence au niveau chirurgical, mais qui nous ont conduits à réinterroger le dogme selon lequel le cerveau est totalement insensible. » Pendant des années, patiemment, le Pr Fontaine et son équipe vont ainsi colliger ces événements et cartographier les régions sensibles. « Nous avons suivi un protocole très simple ; chaque fois qu’un patient se plaignait d’une douleur, on lui demandait à quel endroit il l’avait ressentie, en lui fournissant un dessin anatomique. Et on superposait ses informations à nos propres observations. » Quelque 93 événements de ce type étaient ainsi relevés chez 53 patients sur une période de 7 ans. Et elles aboutissaient au rôle prépondérant de petits vaisseaux courant sur le cerveau lui-même, au niveau de la pie-mère. Amenant à reconsidérer l’origine du mal de tête. « Classiquement, on associe la crise migraineuse à la vasodilatation de vaisseaux situés au niveau de la dure-mère [membrane fibreuse et rigide qui entoure le cerveau et fait partie des méninges, Ndlr]. Nos études montrent que ces petits vaisseaux sont également sensibles à la douleur et pourraient aussi participer à la crise migraineuse. » Un phénomène déjà observé chez l’animal. Pour aller plus loin, les scientifiques devront essayer de mieux caractériser ces vaisseaux. Mais, d’ores et déjà, ces recherches devraient aboutir à un changement de paradigme concernant la physiopathologie de la migraine. Dont près d’un Français sur cinq souffre.