Nice-Matin (Cannes)

LE SERVICE RÉA’ DE L’ARCHET AU BORD DU BURN-OUT

Des patients entassés dans des chambres exiguës en sous-sol. Des malades qui ne voient pas la lumière du jour pendant des mois. Des fuites d’eau. Des souris. Un médecin a parlé. Il a été évincé…

- LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Des fuites d’eau, des souris, des patients entassés dans des conditions intolérabl­es... C’est le constat quotidien alarmant que condamnent des patients et le personnel hospitalie­r, travaillan­t dans des locaux provisoire­s depuis  ans.

Sous-sol de L’Archet 2, au fond d’un long couloir sombre. Le service de « réanimatio­n médico-chirurgica­le, transplant­ations d’organes et surveillan­ce continue » du CHU de Nice est installé « provisoire­ment » dans les locaux prévus pour les archives. Du provisoire qui dure depuis 22 ans… Ici, dans de minuscules chambres sans fenêtres, sont hospitalis­ées douze personnes. Les soins intensifs accueillen­t plus de mille patients par an. Des hommes, des femmes. Des jeunes ou des vieillards. Certains entre la vie et la mort, dans le coma. D’autres conscients. Des patients qui ont un réveil compliqué après une opération, d’autres qui viennent de subir une greffe de foie. Et des jeunes femmes à l’accoucheme­nt très difficile… Les malades cohabitent dans des lits à touche-touche, cernés par les appareils de réanimatio­n, intubés, branchés et séparés les uns des autres par de simples paravents. Les peintures tombent en lambeaux, le plafond prend l’eau à la moindre goutte de pluie. De bric et de broc. Ici, tous les jours, toutes les nuits, médecins, infirmiers et aides-soignants, se débattent entre histoires douloureus­es, familles en pleurs et mort. «C’est un service horrible. Un de mes proches y est décédé. Je suis allé le voir plusieurs fois et je n’avais qu’une envie: le sortir de là», témoigne un grand professeur du CHU de Nice, sous couvert d’anonymat. « Les conditions sont intolérabl­es », explique une infirmière du service. Elle raconte, elle aussi sans dévoiler son identité, « l’enfer pour les patients et pour l’équipe ». « On a une dame, consciente, elle n’a pas vu la lumière du jour depuis trois mois. En face d’un patient qui perd la tête et qui hurle sans cesse. Dans la même chambre, on a des gens porteurs d’une poche de colostomie [une poche de recueil de matières fécales], des porteurs de bactéries hautement résistante­s, tout est mélangé… », déplore cette soignante. «C’est particuliè­rement difficile quand on accueille des familles endeuillée­s qui viennent se recueillir sur le corps d’un fils, d’un père, et qu’un autre patient demande la chaise pot. La douleur d’un côté du paravent, l’odeur et les bruits de l’autre, c’est indécent… Il y a des patients qui craquent, qui dépriment. L’équipe est au bord du burn out… En quelques mois, cinq infirmiers ont décidé de quitter le service », ajoute un autre salarié toujours sous couvert d’anonymat. Un médecin, pourtant, a parlé. Dénoncé haut et fort les conditions de soins et de travail. Trop haut. Trop fort peut-être… Le docteur Pierre-Eric Danin, anesthésis­te réanimateu­r, était appelé à prendre la tête du service. Son contrat de travail n’a pas été renouvelé. Sans explicatio­ns. Dans son dossier, des histoires: un patient contraint d’assister en direct à la coloscopie de son voisin de chambre, une dame qui veille le corps de sa mère au milieu des malades qui regardent la télé et le plafond qui dégouline au milieu des lits. Il montre aussi une facture de dératisati­on. Pierre-Eric Danin est aujourd’hui sans emploi. « J’ai un bel idéal pour l’hôpital public. Je ne pouvais pas me taire. On ne pouvait pas continuer à soigner des gens dans une cave ! Mais c’est plus facile de virer celui qui soulève le lièvre… », constate, amer, le praticien. « C’est un bon médecin. Il était amené à diriger ce service mais il a pris le parti de dénoncer les choses brutalemen­t. Il s’y est mal pris…», glisse, à demi-mot, un ponte de l’hôpital. Et pour l’équipe du service de réa’ de L’Archet 2, le départ forcé de Pierre-Eric Danin est la goutte d’eau. Dans un courrier adressé au directeur général du CHU de Nice, Charles Guepratte, et signé par une centaine de soignants, le personnel s’insurge de « l’éviction d’un médecin dont le seul tort aura été d’alerter

‘‘ activement sur les mauvaises conditions de travail et de soins. (C’est) une décision arbitraire, injuste et intolérabl­e. Personne ne souhaitera­it avoir un membre de sa famille hospitalis­é dans ces conditions ! ». En réponse, le directeur reconnaît que « les locaux dans lesquels est installé le service ne sont plus adaptés» . Charles Guepratte propose des «travaux de réfection» dans l’attente du schéma immobilier du CHU de Nice 2 018, (lire ci-dessous). « Des travaux ? Ce que propose la direction c’est de mettre une couche de peinture, de changer les paravents, c’est du cache-misère ! », s’offusque la CGT qui a refusé de voter la réfection lors du dernier CHSCT du 23 mai. « Ce qu’on demande c’est d’étudier une relocalisa­tion en urgence du service dans le cadre d’une opération tiroir. On travaille sur de l’humain, pas sur du boulon ! Ce service est un service de haut vol que l’on ne peut laisser en souffrance ! », martèlent le patron du syndicat, Stéphane Gauberti, et le responsabl­e syndical à la CGT de L’Archet, Laurent Gleizes. Le doyen de la fac de médecine, le professeur Patrick Baqué, partage cet avis mais pas la méthode forte : « Ce n’est pas acceptable. Je milite pour que ce service sorte de ce sous-sol, pour qu’il s’installe en étage, avec des fenêtres qui permettron­t aux patients de voir le jour et la nuit, c’est essentiel. Il faut que les choses changent et je crois que tout le monde le souhaite. »

Virer celui qui soulève le lièvre... ” La direction propose du cache-misère” Les conditions sont intolérabl­es ”

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