Nice-Matin (Cannes)

CANNES Une reine de la nuit sur le sable de Bijou Plage

Première femme DJ de France, égérie du milieu intello gay, icône graphique des couturiers et figure de proue d’un esprit libertaire, elle participe aujourd’hui à la résistance de Bijou Plage

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

On la repère d’emblée, parmi les clients de Bijou Plage. Grande brune aux lèvres ourlées. Chemisier fleuri au buste avantageux et pantalon noir bien moulé sur des talons hauts. Elle ne porte plus sa mèche Presley au milieu de son front haut, mais Djemila Khelfa est bien là. Pas un hasard si on croise l’éternelle rebelle sur le sable de la Pointe Croisette. Dans cet établissem­ent où la gérante, Nathalie Di Sotto, fait résistance à son éviction programmée, après trente ans d’exploitati­on familiale (notre édition du 19 août). «Je suis une militante de Bijou Plage, parce que j’aime cette plage atypique. Quand on n’est pas dans le moule du marketing et du fric, on risque toujours de se faire broyer par la machine, alors je mène la fronde», assène avec conviction Djemila, devenue une fidèle des lieux depuis ce jour où Nathalie lui a spontanéme nt adressé une ancienne photo d’elle, complice en compagnie de la célèbre architecte design Andrée Putman. L’époque seventies où Djemila était une icône modèle pour Thierry Mugler, Adeline André ou Olivier Guillemin. Une nana stylée qui ne s’est jamais défilée à l’heure de prendre la pose comme de monter au créneau. Même si ses formes défiaient les standards de la taille mannequin. « Avec ma grosse bouche et mes gros seins, je n’entrais pas dans les canons du mannequina­t», reconnaît l’égérie des créateurs, l’une des femmes les plus photograph­iées de Paris. Au-delà de l’image, une personnali­té qui l’a imposée reine de nuit. À 16 ans, une fugue en sol mineur a fait de cette gamine des Minguettes, une égérie en lettres Capitales. « Je fuyais ma cité lyonnaise car pour moi, c’était un enfer où il ne se passerait jamais rien dans ma vie. J’étais déjà accroc à la liberté». Esprit libertaire sans frontières, qui fait office de sésame dans le milieu homo-intello aux nuits débridées. «Mais ce n’était pas que la bringue, c’était la danse jusqu’à la transe, une énergie nouvelle, dans un esprit de communion. J’adorais tous mes amis PD, et pour eux, j’étais une nouvelle race de femme, toujours à l’avant-garde». «Le prototype de la femme de l’an 2000», dira Andy Warhol. Dans le microsillo­n de Serge Kruger, Djemila est la première femme DJ de France. À mixer les platines à la Main bleue, un night-club de Montreuil. Figure de proue de «la bande des Halles» («On réinventai­t tous les codes de la capitale, et dès qu’on fréquentai­t un lieu, il devenait branché»), Djemila croise James Brown, Iggy Pop, et inspire même une chanson interprété­e par Jean Guidoni. Une Grace Jones made in France, qui a repris L’homme à la moto en version trash-punk. Un soir, elle voit «Mick Jagger piquer Jerry Hall à Bryan Ferry». Puis s’acoquine successive­ment avec les leaders de Kraftwerk, dont elle suit le premier concert parisien au sommet de la Tour Montparnas­se. À corps perdu. «Je pouvais aimer aussi bien un homme qu’une femme pour un jour, un mois, un an, sans fixer de limites à mes sentiments ». Au magazine Façade, elle participe aux premiers shootings de Pierre et Gilles. Fait la couv’ avec Jack Nicholson (« Je customisai­s toutes mes fringues à la poudre d’argent, j’en ai mis plein son smoking») ou Keith Richard («Il était complèteme­nt défoncé. Moi aussi j’ai tout testé, mais j’ai su tout arrêter. Je suis une survivante»). Le cinéma ? «J’ai passé le casting pour le rôle de Béatrice Dalle dans 37,2°. Mais je n’ai jamais voulu jouer la beurette de service!». Après les spots des night-clubs, son esprit sera éclairé par la sociologie d’Alain Touraine, dont elle fut aussi l’émule après leur rencontre en 2006. À l’aube de la soixantain­e, femme de (re)marque anti-marketing, cette blogueuse entend désormais oeuvrer à l’entraide et à la fraternité. Et transmettr­e politesse et civilité aux enfants des quartiers. Combat sans cesse renouvelé…

Avec ma grosse bouche et mes gros seins, je n’entrais pas dans les canons du mannequina­t ” Moi aussi j’ai tout testé. Mais j’ai su tout arrêter. Je suis une survivante...”

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(Photos A. C. - DR) Keith Richards, Jack Nicholson, Gérard Depardieu, Andrée Putnam... autant de personnali­tés qui ont croisé un jour Djemila...
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