L’INCIVISME, LA CROISADE DE LISNARD
David Lisnard, le maire (LR) de Cannes, signe avec Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultants, un essai dans lequel il propose des idées concrètes pour mieux combattre l’incivisme
Dans son essai à paraître aujourd’hui, coécrit avec Jean-Michel Arnaud, le maire de Cannes démontre que le combat contre l’incivisme est un enjeu majeur pour la défense de la démocratie.
Quand avez-vous décidé de coécrire cet essai avec Jean-Michel Arnaud ?
Avec Jean-Michel, on se connaît depuis des années. Il a un pied-àterre à Cannes. C’est quelqu’un qui est toujours en recherche intellectuelle, qui a un parcours entrepreneurial méritant. Dans l’entre-deux tours des dernières présidentielles, au cours d’un dîner, nous avons réalisé que nous écrivions chacun de notre côté, dans le même temps, sur l’incivisme. Pendant la campagne, on entendait dire des choses qui étaient trop souvent des éléments de racolage électoral. On ne peut franchement pas mettre sur le même plan des dégradations de mobilier urbain et du harcèlement sur les femmes ! Il faut hiérarchiser. Il y en a qui relèvent du délit, d’autres de l’infraction. On s’est donc dit : « Pourquoi ne pas confronter nos idées, nos expériences, nos convictions et les rédiger dans un ouvrage commun ». C’est d’ailleurs comme cela que nous avons décidé d’orienter notre travail, sur une approche plus analytique, plus objective que simplement un coup de gueule, un pamphlet ou un livre politicien.
Votre combat contre l’incivisme ne date pas d’hier, vous en faites la preuve au niveau local.
Moi, je ne suis pas un théoricien, mais un praticien. Pour autant, il est important de rappeler que le terme d’« incivilités », qui a émergé dans les années avec les sociologues américains J.Q. Wilson et G.L. Kelling [théorie des vitres cassées], est devenu au fil du temps un mot fourre-tout. Et à force de l’utiliser de façon outrancière, on a fini par le galvauder. On oublie que derrière ces actes, il y a soit de l’impolitesse, soit une infraction. Sauf que ces infractions révèlent finalement un véritable processus d’incivisme qui lui est une atteinte à la cohésion nationale. Pour ma part, c’est vrai qu’avant même d’être maire j’avais annoncé que je ferai de la lutte contre l’incivisme ma priorité.
Sur quels axes agir pour endiguer ce phénomène que vous considérez grandissant?
Pour y arriver, il ne faut pas avoir peur de sanctionner. Depuis que je suis maire à Cannes, la police municipale a dressé PV. Malheureusement, le produit de ces PV ne revient pas à la mairie, alors que nous faisons tout le boulot. Mais à l’État. C’est vrai que ce combat, c’est un peu le mythe de Sisyphe… Vous avez beau agir, cela revient tout le temps. Pour autant, on progresse néanmoins sur certains points comme les déjections canines, les tags. Leur nombre a été divisé par en ans à Cannes. Pourquoi ? Parce que l’on a réprimé, réparé rapidement, expliqué, sensibilisé. Cela ne marche que lorsque l’on joue sur tous les ressorts. Lorsque
‘‘ vous faites réparer par l’auteur des dégradations, grâce aux peines d’intérêt général infligées, je peux vous dire que ça change beaucoup de choses ! On l’a fait devant les lycées, ça a beaucoup impacté. L’autre élément essentiel est l’apport de la culture. Les individus, et notamment les enfants, doivent pouvoir partager un patrimoine qui s’appelle « les grandes oeuvres de l’esprit ». Si l’on dit que tout est culture, rien n’est culture en réalité. Que l’on soit Français depuis vingt générations, que l’on arrive du Maghreb depuis deux générations ou du Cap Vert depuis deux jours, on doit se dire « Je vis en France, je suis dépositaire de ces oeuvres ».
Vous n’avez pas peur d’être taxé d’autoritarisme à vouloir sanctionner la moindre incivilité ?
Mais c’est une question de respect. Pour l’État, la mairie, les agents communaux aussi, qui passent un temps incroyable à enlever des détritus dans les avaloirs d’eaux usées. Sans parler du risque d’inondation que cela peut représenter. Jeter un papier, un mégot, dans la rue ou la forêt, c’est comme faire un bras d’honneur aux autres. Au plan national, ce qui me frappe, c’est de voir à quel point il n’y a aucune directive donnée aux forces de l’ordre pour réprimer les incivilités. Alors que tout acte d’infraction devrait être réprimé lorsqu’il est constaté. De manière graduée évidemment. Hélas, pour acheter la paix dans les quartiers, ça n’est pas fait. Et puis, c’est tellement plus noble de faire de la police scientifique… Moi, je crois en la présence sur le terrain. D’où la nécessité de « refaire communauté » ; d’où ce néologisme « d’incommunautés ». Il vaut ce qu’il vaut, mais permet d’accentuer notre démonstration : un acte d’incivilité, même s’il paraît anodin, est un acte de destruction de la communauté. La seule communauté qui s’impose est la communauté nationale, celle qui produit de la règle légitime.
Le communautarisme est une conséquence des incommunautés ?
Vous savez, les cercles peuvent être vertueux comme vicieux. Lorsque l’on a le sentiment de ne plus appartenir à la Nation, on ne respecte pas la base des règles de vie en commun. C’est le début du communautarisme... en particulier le communautarisme islamiste qui tente aujourd’hui de produire des normes qui s’imposeraient au bien commun. L’objet de ce livre est tourné vers un projet politique, dans le sens noble du terme, à savoir la recherche de ce bien commun.
Votre combat n’est pas totalement désintéressé ? Il génère de substantielles économies pour la ville de Cannes ?
Bien sûr ! Mais cela, je le revendique. Pour faire des économies [Plus de M€ en trois ans]. Mais c’est surtout pour combattre une approche consumériste de l’espace public qui fait beaucoup plus de mal à la démocratie qu’on ne l’imagine.
Ce thème est susceptible d’intéresser le grand public ?
Mais il concerne tout le monde ! Il coûte cher aux contribuables, parce qu’il faut réparer. Or, on est un pays endetté et surfiscalisé. Parce que l’incivisme dégrade le cadre de vie et notre attractivité. La détérioration des espaces publics à Paris en est le parfait exemple. C’est une atteinte à la perception du pays depuis l’étranger. Mais le plus triste, surtout, c’est cette forme d’infantilisation de l’adulte qui se comporte comme un petit capricieux sur l’espace public et considère que c’est aux autres de devoir réparer pour lui. C’est oublier que « les autres », c’est vous, c’est nous tous ! Donc, déjà, même si personne n’est parfait, commençons à prendre conscience que le monde dans lequel on vit est celui que l’on fait. C’est tout l’objectif du livre. Je suis convaincu que c’est un des sujets structurants des prochaines années.
À plusieurs reprises dans votre essai, vous dites que « notre société est malade ». Ce n’est pas un peu exagéré ?
Non, on le revendique avec JeanMichel Arnaud. Même s’il y a des choses qui vont bien, fort heureusement, il y a une pathologie : la dégradation de la santé démocratique du pays. Elle est parfaitement visible. L’exercice de la raison critique est devenu difficile. On le voit sur les réseaux sociaux. S’ils peuvent apporter un plus en matière d’alerte, on y trouve aussi des déchaînements de violence qui relèvent de la pathologie démocratique. Il faut apprendre à accepter l’humour, comprendre le second degré, tolérer aussi la controverse, respecter le débat.
Un autre ouvrage en préparation ?
Cela n’est pas impossible [rires]. Sur le numérique, sur l’intelligence artificielle. Une réflexion pour appréhender le virage environnemental. Le rôle du civisme y sera encore évoqué.
Donner un élan civique, cela demande un vrai courage politique ” Le monde dans lequel on vit est celui que l’on fait ”