Nice-Matin (Cannes)

L’INCIVISME, LA CROISADE DE LISNARD

David Lisnard, le maire (LR) de Cannes, signe avec Jean-Michel Arnaud, vice-président de Publicis Consultant­s, un essai dans lequel il propose des idées concrètes pour mieux combattre l’incivisme

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS PEYROT tpeyrot@nicematin.fr

Dans son essai à paraître aujourd’hui, coécrit avec Jean-Michel Arnaud, le maire de Cannes démontre que le combat contre l’incivisme est un enjeu majeur pour la défense de la démocratie.

Quand avez-vous décidé de coécrire cet essai avec Jean-Michel Arnaud ?

Avec Jean-Michel, on se connaît depuis des années. Il a un pied-àterre à Cannes. C’est quelqu’un qui est toujours en recherche intellectu­elle, qui a un parcours entreprene­urial méritant. Dans l’entre-deux tours des dernières présidenti­elles, au cours d’un dîner, nous avons réalisé que nous écrivions chacun de notre côté, dans le même temps, sur l’incivisme. Pendant la campagne, on entendait dire des choses qui étaient trop souvent des éléments de racolage électoral. On ne peut franchemen­t pas mettre sur le même plan des dégradatio­ns de mobilier urbain et du harcèlemen­t sur les femmes ! Il faut hiérarchis­er. Il y en a qui relèvent du délit, d’autres de l’infraction. On s’est donc dit : « Pourquoi ne pas confronter nos idées, nos expérience­s, nos conviction­s et les rédiger dans un ouvrage commun ». C’est d’ailleurs comme cela que nous avons décidé d’orienter notre travail, sur une approche plus analytique, plus objective que simplement un coup de gueule, un pamphlet ou un livre politicien.

Votre combat contre l’incivisme ne date pas d’hier, vous en faites la preuve au niveau local.

Moi, je ne suis pas un théoricien, mais un praticien. Pour autant, il est important de rappeler que le terme d’« incivilité­s », qui a émergé dans les années  avec les sociologue­s américains J.Q. Wilson et G.L. Kelling [théorie des vitres cassées], est devenu au fil du temps un mot fourre-tout. Et à force de l’utiliser de façon outrancièr­e, on a fini par le galvauder. On oublie que derrière ces actes, il y a soit de l’impolitess­e, soit une infraction. Sauf que ces infraction­s révèlent finalement un véritable processus d’incivisme qui lui est une atteinte à la cohésion nationale. Pour ma part, c’est vrai qu’avant même d’être maire j’avais annoncé que je ferai de la lutte contre l’incivisme ma priorité.

Sur quels axes agir pour endiguer ce phénomène que vous considérez grandissan­t?

Pour y arriver, il ne faut pas avoir peur de sanctionne­r. Depuis que je suis maire à Cannes, la police municipale a dressé   PV. Malheureus­ement, le produit de ces PV ne revient pas à la mairie, alors que nous faisons tout le boulot. Mais à l’État. C’est vrai que ce combat, c’est un peu le mythe de Sisyphe… Vous avez beau agir, cela revient tout le temps. Pour autant, on progresse néanmoins sur certains points comme les déjections canines, les tags. Leur nombre a été divisé par  en  ans à Cannes. Pourquoi ? Parce que l’on a réprimé, réparé rapidement, expliqué, sensibilis­é. Cela ne marche que lorsque l’on joue sur tous les ressorts. Lorsque

‘‘ vous faites réparer par l’auteur des dégradatio­ns, grâce aux peines d’intérêt général infligées, je peux vous dire que ça change beaucoup de choses ! On l’a fait devant les lycées, ça a beaucoup impacté. L’autre élément essentiel est l’apport de la culture. Les individus, et notamment les enfants, doivent pouvoir partager un patrimoine qui s’appelle « les grandes oeuvres de l’esprit ». Si l’on dit que tout est culture, rien n’est culture en réalité. Que l’on soit Français depuis vingt génération­s, que l’on arrive du Maghreb depuis deux génération­s ou du Cap Vert depuis deux jours, on doit se dire « Je vis en France, je suis dépositair­e de ces oeuvres ».

Vous n’avez pas peur d’être taxé d’autoritari­sme à vouloir sanctionne­r la moindre incivilité ?

Mais c’est une question de respect. Pour l’État, la mairie, les agents communaux aussi, qui passent un temps incroyable à enlever des détritus dans les avaloirs d’eaux usées. Sans parler du risque d’inondation que cela peut représente­r. Jeter un papier, un mégot, dans la rue ou la forêt, c’est comme faire un bras d’honneur aux autres. Au plan national, ce qui me frappe, c’est de voir à quel point il n’y a aucune directive donnée aux forces de l’ordre pour réprimer les incivilité­s. Alors que tout acte d’infraction devrait être réprimé lorsqu’il est constaté. De manière graduée évidemment. Hélas, pour acheter la paix dans les quartiers, ça n’est pas fait. Et puis, c’est tellement plus noble de faire de la police scientifiq­ue… Moi, je crois en la présence sur le terrain. D’où la nécessité de « refaire communauté » ; d’où ce néologisme « d’incommunau­tés ». Il vaut ce qu’il vaut, mais permet d’accentuer notre démonstrat­ion : un acte d’incivilité, même s’il paraît anodin, est un acte de destructio­n de la communauté. La seule communauté qui s’impose est la communauté nationale, celle qui produit de la règle légitime.

Le communauta­risme est une conséquenc­e des incommunau­tés ?

Vous savez, les cercles peuvent être vertueux comme vicieux. Lorsque l’on a le sentiment de ne plus appartenir à la Nation, on ne respecte pas la base des règles de vie en commun. C’est le début du communauta­risme... en particulie­r le communauta­risme islamiste qui tente aujourd’hui de produire des normes qui s’imposeraie­nt au bien commun. L’objet de ce livre est tourné vers un projet politique, dans le sens noble du terme, à savoir la recherche de ce bien commun.

Votre combat n’est pas totalement désintéres­sé ? Il génère de substantie­lles économies pour la ville de Cannes ?

Bien sûr ! Mais cela, je le revendique. Pour faire des économies [Plus de M€ en trois ans]. Mais c’est surtout pour combattre une approche consuméris­te de l’espace public qui fait beaucoup plus de mal à la démocratie qu’on ne l’imagine.

Ce thème est susceptibl­e d’intéresser le grand public ?

Mais il concerne tout le monde ! Il coûte cher aux contribuab­les, parce qu’il faut réparer. Or, on est un pays endetté et surfiscali­sé. Parce que l’incivisme dégrade le cadre de vie et notre attractivi­té. La détériorat­ion des espaces publics à Paris en est le parfait exemple. C’est une atteinte à la perception du pays depuis l’étranger. Mais le plus triste, surtout, c’est cette forme d’infantilis­ation de l’adulte qui se comporte comme un petit capricieux sur l’espace public et considère que c’est aux autres de devoir réparer pour lui. C’est oublier que « les autres », c’est vous, c’est nous tous ! Donc, déjà, même si personne n’est parfait, commençons à prendre conscience que le monde dans lequel on vit est celui que l’on fait. C’est tout l’objectif du livre. Je suis convaincu que c’est un des sujets structuran­ts des prochaines années.

À plusieurs reprises dans votre essai, vous dites que « notre société est malade ». Ce n’est pas un peu exagéré ?

Non, on le revendique avec JeanMichel Arnaud. Même s’il y a des choses qui vont bien, fort heureuseme­nt, il y a une pathologie : la dégradatio­n de la santé démocratiq­ue du pays. Elle est parfaiteme­nt visible. L’exercice de la raison critique est devenu difficile. On le voit sur les réseaux sociaux. S’ils peuvent apporter un plus en matière d’alerte, on y trouve aussi des déchaîneme­nts de violence qui relèvent de la pathologie démocratiq­ue. Il faut apprendre à accepter l’humour, comprendre le second degré, tolérer aussi la controvers­e, respecter le débat.

Un autre ouvrage en préparatio­n ?

Cela n’est pas impossible [rires]. Sur le numérique, sur l’intelligen­ce artificiel­le. Une réflexion pour appréhende­r le virage environnem­ental. Le rôle du civisme y sera encore évoqué.

Donner un élan civique, cela demande un vrai courage politique ” Le monde dans lequel on vit est celui que l’on fait ”

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 ??  ?? Aujourd’hui en librairie, l’essai Refaire communauté pour en finir avec l’incivisme énonce un nouveau concept : les « incommunau­tés », néologisme pour désigner un phénomène plus profond, qui dépasse de loin les petites incivilité­s du quotidien et porte directemen­t atteinte, selon ses auteurs, au lien social et, même au-delà, à la Nation. (Photo Patrice Lapoirie)
Aujourd’hui en librairie, l’essai Refaire communauté pour en finir avec l’incivisme énonce un nouveau concept : les « incommunau­tés », néologisme pour désigner un phénomène plus profond, qui dépasse de loin les petites incivilité­s du quotidien et porte directemen­t atteinte, selon ses auteurs, au lien social et, même au-delà, à la Nation. (Photo Patrice Lapoirie)
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Refaire communauté pour en finir avec l’incivisme. David Lisnard et Jean-Michel Arnaud. 166 pages. Prix 15 euros. Éditions Hermann.

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