Mémoire de guerres
« Chacun dans sa tranchée mémorielle, l’effort pour en sortir restant trop grand pour ceux qui ont vécu l’exode, les attentats d’Alger, le massacre d’Oran. »
La mémoire de nos guerres est un immense jardin des souvenirs où l’on peut vite s’égarer. Tout dépend ce que l’on y cherche : le sens de l’histoire, la voie du pardon, le chemin de la réconciliation, la vengeance ou la revanche sur le camp d’en face, deux noms pour la même impasse. Rescapée d’Auschwitz, disparue hier à l’âge de ans, Marceline Loridan-Ivens, avait choisi sa direction : « Aller vers la vie, tant qu’on peut », lançait-elle avec le peu de souffle qu’il restait en janvier dernier, devant une caméra de France . « Tant qu’on peut, il faut tenir, il n’y a pas d’autre solution que la force de vie que l’on a en nous ». Tout le temps qu’elle a gagné sur une mort certaine, elle a fait preuve de ce savoirvivre librement, aidant par ses films et surtout par ses livres, ceux qui n’ont pas approché le malheur d’aussi près, à mieux affronter l’existence. Faut-il que tous les survivants d’un conflit aient disparu ou
soient en passe
de l’être pour que soit signée la paix des
âmes ? Oui, à l’évidence. La demande de
pardon adressée, jeudi dernier, par le président de la République, au nom de la France, à la veuve du mathématicien communiste algérois Maurice Audin assassiné en , a suscité de nombreuses réactions hostiles. Au diapason d’une communauté vieillissante mais toujours traumatisée, la députée azuréenne Michèle Tabarot, estimait, mardi, dans une question au Premier ministre qu’Emmanuel Macron « ravivait une douleur et des souffrances collectives chez tous les pieds-noirs, harkis et anciens combattants abandonnés à leur triste sort au lendemain des accords d’Evian » .Ni « mémoire sélective » ni « repentance systématique ». Chacun dans sa tranchée mémorielle, l’effort pour en sortir restant trop grand pour ceux qui ont vécu l’exode, les attentats d’Alger, le massacre d’Oran. Faut-il pour autant, exciter les fantômes, en affirmant que Maurice Audin était «un traître, un type qui aurait mérité balles dans la peau » ? Alors qu’il ne s’est jamais mêlé aux combats. La formule d’Eric Zemmour est assassine. Elle ne fait pas couler de sang mais elle fait perdre du temps. A tous ceux qui voudraient compenser le trop-plein de passion par un peu de raison. À la guerre des mémoires, il n’y a jamais de vainqueur...