Nice-Matin (Cannes)

Mémoire de guerres

- de PATRICE MAGGIO Directeur adjoint des rédactions du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

« Chacun dans sa tranchée mémorielle, l’effort pour en sortir restant trop grand pour ceux qui ont vécu l’exode, les attentats d’Alger, le massacre d’Oran. »

La mémoire de nos guerres est un immense jardin des souvenirs où l’on peut vite s’égarer. Tout dépend ce que l’on y cherche : le sens de l’histoire, la voie du pardon, le chemin de la réconcilia­tion, la vengeance ou la revanche sur le camp d’en face, deux noms pour la même impasse. Rescapée d’Auschwitz, disparue hier à l’âge de  ans, Marceline Loridan-Ivens, avait choisi sa direction : « Aller vers la vie, tant qu’on peut », lançait-elle avec le peu de souffle qu’il restait en janvier dernier, devant une caméra de France . « Tant qu’on peut, il faut tenir, il n’y a pas d’autre solution que la force de vie que l’on a en nous ». Tout le temps qu’elle a gagné sur une mort certaine, elle a fait preuve de ce savoirvivr­e librement, aidant par ses films et surtout par ses livres, ceux qui n’ont pas approché le malheur d’aussi près, à mieux affronter l’existence. Faut-il que tous les survivants d’un conflit aient disparu ou

soient en passe

de l’être pour que soit signée la paix des

âmes ? Oui, à l’évidence. La demande de

pardon adressée, jeudi dernier, par le président de la République, au nom de la France, à la veuve du mathématic­ien communiste algérois Maurice Audin assassiné en , a suscité de nombreuses réactions hostiles. Au diapason d’une communauté vieillissa­nte mais toujours traumatisé­e, la députée azuréenne Michèle Tabarot, estimait, mardi, dans une question au Premier ministre qu’Emmanuel Macron « ravivait une douleur et des souffrance­s collective­s chez tous les pieds-noirs, harkis et anciens combattant­s abandonnés à leur triste sort au lendemain des accords d’Evian » .Ni « mémoire sélective » ni « repentance systématiq­ue ». Chacun dans sa tranchée mémorielle, l’effort pour en sortir restant trop grand pour ceux qui ont vécu l’exode, les attentats d’Alger, le massacre d’Oran. Faut-il pour autant, exciter les fantômes, en affirmant que Maurice Audin était «un traître, un type qui aurait mérité  balles dans la peau » ? Alors qu’il ne s’est jamais mêlé aux combats. La formule d’Eric Zemmour est assassine. Elle ne fait pas couler de sang mais elle fait perdre du temps. A tous ceux qui voudraient compenser le trop-plein de passion par un peu de raison. À la guerre des mémoires, il n’y a jamais de vainqueur...

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