Nice-Matin (Cannes)

De Nice à Sanary, le parfum du grand cinéma

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Just a Gigolo, scène II. Où l’on découvre qu’une grande partie de l’équipe a été recrutée dans le corps des intermitte­nts du spectacle de la région. C’est le cas de la « repéreuse», une Niçoise qui a écumé son carnet d’adresses pour coller au plus près des demandes du réalisateu­r Olivier Baroux. Pas un lieu du tournage qu’elle n’ait préalablem­ent visité, à charge pour lui de valider les choix en se déplaçant plusieurs fois par semaine durant la préparatio­n du projet. De son côté, le Marseillai­s Jean-Claude Roussot, régisseur, supervise toute l’organisati­on pratique. «Rien que pour les lumières, c’est un mois de travail en amont. Quand le plateau est prêt à tourner, il faut pouvoir se mettre en action rapidement. »

Un travail collégial

Jean-Jacques Gernolle, le chef décorateur, vit tout près d’ici, à Sanary-sur-Mer. Il a travaillé sur la série Marseille avec Gérard Depardieu. Ou sur les films Taxi 1 et 2. Mais se souvient aussi d’être venu tourner à la Victorine il y a trente ans, pour une publicité vantant les mérites d’une voiture. « Pour moi, c’est un endroit mythique. Le symbole du cinéma américain sur la Riviera. La grande époque, celle d’Hitchcock ou Truffaut. La Victorine, c’est le parfum du grand cinéma. » S’il dit être fier de tout ce qu’il a fait, «même de ce qui n’a pas marché », ce vieux routier des plateaux sait que le destin d’un long-métrage n’appartient jamais totalement à l’équipe. Sa mission: «Je me donne à fond. Pour trouver, en concertati­on avec le réalisateu­r, la patte qui mettra le film en valeur. L’ambiance peut être colorée ou plus sombre, l’essentiel est de faire en sorte que l’artistique soit cohérent avec ce qu’il a en tête. Ce qui suppose de travailler avec les costumes, les lumières; c’est un travail collégial. Il faut mettre en scène. » D’abord, bien saisir le scénario. « Comprendre le film qu’on fait, c’est le minimum.» Ensuite, monter un dossier en images. Un « mood-board », dans le jargon du cinéma. Ou l’impulsion de ce que vont être les décors, l’atmosphère. En collaborat­ion avec la repéreuse, puis avec le soutien logistique du régisseur, le chef décorateur a pesé les avantages et les inconvénie­nts de chaque propositio­n, et cherché le meilleur compromis. AInsi en va-t-il de la villa Sarah, qui existe bel et bien à Cannes-la-Bocca mais dont la façade a été reconstitu­ée à la Victorine. « Quand on s’installe pour deux semaines avec un enfant qui ne peut « travailler » que quatre heures par jour, c’est la solution idéale. On peut tourner de jour comme de nuit. La lumière est mieux maîtrisée. J’ai proposé cette solution à Olivier en lui montrant, en quelque sorte, un plan idéal. »

Pousser les curseurs

La maison devait paraître petite pour la cohérence de l’histoire. Tout en étant suffisamme­nt spacieuse pour la nécessité du tournage. «Des séquences importante­s s’y déroulent, c’est un lieu central. » Cinq semaines de labeur pour un résultat époustoufl­ant, voué à disparaîtr­e totalement. « En effet, tout partira à la benne. Mais cela n’a rien de triste. Casser le décor, cela veut dire que le film s’est fait et qu’il va vivre sa vie à l’écran. » Une certitude, ce genre de mission ne peut être accomplie que par des spécialist­es du cinéma. Et là encore, tous les talents existent localement. L’activité le permet : «Il y a énormément de tournages, tout le temps. » Seules sont déléguées quelques tâches à des entreprise­s quand l’équipe du film ne sait vraiment pas faire. Pour Just a Gigolo, une commande de découpe de lettres a été confiée à la société Peradotto. Tandis que Nice-Matin a imprimé un journal dans lequel Kad Merad écume les offres d’emploi. Pour le reste, le cinéma a des exigences que l’artisanat traditionn­el ne connaît pas. «Ce qui nous intéresse, c’est le décor sous les projecteur­s. Nos couleurs sont donc choisies pour être éclairées et filmées. Elles sont toujours plus foncées que dans la vraie vie. » « Il faut trouver les choses justes pour que le spectateur ne se demande pas, en voyant le film, ce que telle ou telle personne fait là », complète le chef décorateur. «On donne l’essentiel. Tous les éléments d’informatio­n sont condensés pour qu’à l’image, on saisisse tout, tout de suite. Quitte à augmenter un peu les effets. En poussant les curseurs. »

L’atout économique

«Un film d’époque se réalise plutôt dans des pays où les coûts sont plus favorables», admet Jean-Jacques Gernolle qui a vu se recréer à Prague ou en Belgique le Paris du XIXe siècle. Mais la France a toute sa place. «Les régions se battent pour faire venir des tournages. Elles ont compris que c’était un atout pour l’économie locale. Ici, nous avons acheté tout le bois, tous les matériaux, nous avons loué des camions, des voitures. L’impact est absolument colossal.»

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(Photo F. L.) Jean-Jacques Gernolle, chef décorateur, vit à Sanarysur-Mer.

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