Nice-Matin (Cannes)

« On sert de défouloirs sociaux »

- C. C.

« On le vit de plus en plus mal... » Son regard est habitué à croiser le danger, la souffrance, la mort parfois. Il se nourrit de la gratitude des victimes ou de leurs proches, à chaque secours réussi. Mais il existe une situation que Georges (1), quadra niçois et pompier depuis plus de vingt ans, ne supporte plus : les agressions dont lui et ses frères d’armes sont victimes. La dernière en date remonte à une petite semaine. La scène n’est pas survenue dans une cité, mais dans les beaux quartiers du centrevill­e de Nice. Les clichés ont bel et bien vécu... Ce jour-là, Georges et son équipage sont sollicités pour transporte­r une personne en état d’ivresse vers l’hôpital. L’homme est à l’abri, conscient. Sa femme est à ses côtés. Georges tique un peu : pourquoi engager une ambulance en pareil cas ? Trois sapeurs-pompiers intervienn­ent néanmoins. Établissen­t un rapide diagnostic. Mais quand Georges explique que ce transport n’est pas de leur ressort, l’individu s’énerve.

« S’il avait un couteau, il nous plantait »

« Il a commencé à nous réciter toutes les insultes : “Sale fils de p...”, “Enc... de ta mère”, etc. », relate Georges. Habitué, il choisit de temporiser et de passer le relais à la police. Son équipage s’éloigne. C’est alors qu’il voit ressurgir l’homme qui était allongé quelques instants plus tôt. Furibard, l’individu flanque un coup de pied à un pompier. S’ensuit une « grosse bousculade ». Les soldats du feu finissent par le maîtriser. L’individu est un ancien militaire, du genre costaud. « J’ai alors repensé à ce qui s’est passé à Paris, confie Georges, en référence à ses deux frères d’armes poignardés par un schizophrè­ne début septembre. Je me suis dit : “S’il avait un couteau, il nous plantait”. Par chance, il n’était pas armé. Et la présence de sa femme a permis de le calmer. » L’individu déguerpit avant l’arrivée de la police. Georges, lui, passera deux heures au commissari­at pour déposer plainte. Sans grande illusion. « Ce genre de scène arrive de plus en plus fréquemmen­t. Beaucoup de pompiers renoncent à déposer plainte. À quoi bon ? »

«Onestlà pour aider ! »

Le regard un brin désabusé, Georges observe une évolution inquiétant­e. «Ilyavingt ans, quand on venait pour un homme alcoolisé, il s’agissait souvent d’un clochard. On l’emmenait à l’hôpital, on faisait du social. Désormais, les gens sont super-agressifs ! Chaque interventi­on pour des personnes alcoolisée­s est à prendre avec des pincettes. En arrivant, tu regardes avant tout comment ça peut tourner. La vigilance doit précéder la mission de secours. C’est superstres­sant psychologi­quement de faire son job. On sert de défouloirs sociaux... Alors qu’à la base, on est là pour aider ! » Comment l’expliquer ? Georges peine à trouver une explicatio­n tangible. Il constate simplement que nombre de victimes auto-proclamées brillent par leur exigence, voire leur égoïsme. Georges est formel : dans sa caserne, comme ailleurs, « les incivilité­s, les agressions et les interventi­ons qui ne relèvent pas de nos missions, c’est devenu le sujet principal. On sature ! » Finalement, ce ne sont pas tant les violences urbaines qui affectent Georges : « Pour ça, on est formé. Mais sur d’autres interventi­ons, ça peut très vite vriller... » Voilà pourquoi, dans le regard de Georges pointe une lueur de doute sur le sens du métier. Et pourquoi il hésite à encourager son fils dans cette voie.

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(Photo archives Laurent Thareau) Sapeurs-pompiers et policiers ne peuvent intervenir ensemble que sur certaines interventi­ons sensibles.

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