Nice-Matin (Cannes)

Quand soudain surgit un ogre aux plumes noires

Hier soir, Depardieu a chanté Barbara à Anthéa. Ode à l’oeuvre de l’artiste, résolument vivante

- M. D. mdasque@nicematin.fr

L’odeur des mûres écrasées, l’humeur des vapeurs de pluie, les mimosas insulaires… On a tout retrouvé. Hier soir, le public d’Anthéa a cru admirer un oxymore pour le premier spectacle de la saison. Et il a eu tort. Ce qu’il a pu approcher, c’est une métaphore. Un ogre aux plumes noires. Depardieu chante Barbara. C’est tout. Mais c’est ça. Et si l’ovation débute avant même que le comédien parle au féminin, il a su happer le public pour l’emmener loin, loin… « Tout est une question d’amour », n’est-ce pas ? Avec le fidèle arrangeur de l’artiste au piano, Gérard Daguerre, l’autre Gérard offre plus qu’un tandem. Oui, c’est bel et bien un trio. Un ensemble aérien, flottant, magique. En se livrant dans sa sincérité, son ami de toujours sublime les fêlures, blessures et tendresses d’une Barbara indéniable­ment lumière. Légitime parce qu’intime, vrai parce que fragile, intense parce que présent. Il y a cette profondeur, cette pudeur aussi. Ces souffles courts et ces silences qui viennent claquer les frissons. Il y a Göttingen, L’Aigle Noir, Une petite cantate… Ces strophes sans autre prétention que celle d’être honnêtes.

Intention et délicatess­e

Dans la salle bondée du théâtre Anthéa, l’intention et la délicatess­e de l’acteur ne trompent pas. Ce n’est ni une incantatio­n, ni une résurrecti­on. Mais une célébratio­n. Une ode à l’oeuvre d’une dame qui ne se voyait pas grande, une ode à sa sensibilit­é, une ode à son regard qu’elle fait résonner, une ode à la vie. Entre les fauteuils, les doigts se cherchent, les regards humides provoquent la complicité, les consonnes et voyelles se miment du bout des lèvres. Barbara ne peut pas nous manquer : elle est bien là. Depardieu ravive la matrice dramaturgi­que de Monique Andrée Serf. Elle qui savait si bien donner sens aux contes pour vestales, aux fables du risque, aux épopées de l’oubli. Sur le plateau : l’épure. Lumières, micro et âmes. Fascinante urgence immobile. Entre les morceaux, Gérard fait glisser ses doigts sur le clavier, tandis que Gérard dit Barbara. Il dit ce qu’il pense aussi. Il dit qu’elle n’était pas sombre. Que la noirceur aveuglait seulement ceux qui ne voulaient pas comprendre. Alors, on assiste à une floraison. À un printemps de souvenirs que le talent fait remonter à la surface du lac. Pour y laisser flotter des nénuphars de mémoire. Inconditio­nnels.

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(Photo Eric Ottino) Gérard Depardieu chante Barbara de nouveau ce soir et demain à Anthéa.

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