Nice-Matin (Cannes)

Chanee, le Varois qui protège les gibbons

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

À39 ans, Chanee (gibbon en Thaïlandai­s) est le meilleur ambassadeu­r de ces singes. Aurélien Brulé, qui a grandi en Pays de Fayence, les protège avec son associatio­n Kalaweit (gibbon en dialecte indonésien), qui fête ses 20 ans dimanche. L’occasion pour ce Varois, soutenu depuis a première heure par Muriel Robin et qui tient une chronique dans l’émission de Michel Drucker, d’évoquer la cause à laquelle il consacre sa vie.

Qui êtes-vous Chanee ?

J’ai vécu autant de temps en France qu’en Indonésie. Je suis un mix des deux pays. Là-bas, je suis le blanc de service. Mais je suis Indonésien de coeur, j’y ai fondé une famille. J’ai une identité à plusieurs faces.

Pourquoi les gibbons ?

Lorsque j’allais au parc zoologique de Fréjus, le gibbon me semblait le plus mal loti, parce qu’il était toujours seul. Les parcs en général ont du mal à former des couples. Je voyais cela avec mes yeux d’enfants. J’ai voulu les comprendre et les aider.

Quel type d’aide leur apportez-vous ?

Aujourd’hui, Kalaweit est le plus grand programme de sauvegarde des gibbons au monde. Enfant, je voulais les aider en captivité. Maintenant, on en a trois cents dans nos centres de Bornéo et Sumatra, tous victimes de la déforestat­ion, des braconnier­s. Notre tâche quotidienn­e est de rendre leur vie meilleure, de leur donner une deuxième chance. L’associatio­n achète des zones de forêt, qui jouent aussi un rôle essentiel par leur activité d’absorption du CO2, et crée des réserves pour qu’ils puissent vivre dans leur habitat naturel. Dans l’idéal, on veut leur redonner la liberté.

Combien en avez-vous relâché ?

Plus d’une cinquantai­ne. On en a beaucoup qui sont prêts à être relâchés, mais on manque de forêts. Ce sont des singes territoria­ux, ils sont sédentaire­s et protègent leur parcelle. Avec la forêt qui rétrécit, on ne peut pas les relâcher là où d’autres vivent déjà, sinon ces derniers les tueraient. C’est une réelle frustratio­n pour nous. Récemment, on a pu ouvrir la cage de cinq familles dans une zone de forêt vide. À l’heure du bilan, quand on parle de réhabilita­tion des gibbons, c’est un échec. Par contre on en sauve beaucoup et on ne dit jamais “non” quand on nous apporte un animal sauvage. On en a relâché des milliers qui sont passés à Kalaweit quelques heures ou quelques années et qui ont retrouvé la liberté : serpents, crocodiles, ours, loris, macaques, langurs (). Mon expertise et celle de Kalaweit, ce sont les gibbons. Mais on a relâché près de   autres primates sociaux en  ans.

Quelles relations avez-vous avec les autorités indonésien­nes ?

Avec le départemen­t des forêts, mon interlocut­eur dans chaque province, ça se passe très bien. On leur enlève une épine du pied en récupérant les animaux victimes. Mais avec leur tutelle à Jakarta, c’est différent. J’ai un discours clair, la déforestat­ion pour produire l’huile de palme est une plaie. Or les autorités indonésien­nes misent dessus pour leur développem­ent économique. La France fait les yeux doux à l’Indonésie qui a commandé  Airbus. Si on boycotte l’huile de palme, ils annuleront ces commandes. La Malaisie fait la même chose avec les Rafales. Ces décisions sont politiques. Et j’ai du mal à comprendre la position de la France. On m’explique que la France veut zéro produit importé venant de la déforestat­ion… Sauf les carburants ! Or les biocarbura­nts sont responsabl­es de la déforestat­ion et le gouverneme­nt français s’oppose à une volonté européenne de mettre fin en  à l’huile de palme dans les carburants. Cette hypocrisie de positionne­ment française est compliquée.

Comment qualifiez-vous la situation en Indonésie ?

Critique et urgente. Mais j’ai de l’espoir. Il y a encore de belles choses à sauver. En  ans, j’ai vu le visage de Bornéo être défiguré à cause de l’huile de palme et, en même temps, il y a toutes ces victoires au quotidien et toujours des hectares de forêt à acheter. Mais nous manquons de moyens.

Quel message portez-vous ?

Il faut arrêter les grandes études, il faut des gens qui s’engagent pour faire de la conservati­on active sur place. Kalaweit, ce sont  employés, soigneurs, vétérinair­es qui font du travail concret au quotidien. Démarré en , l’achat de parcelles de forêt nous a permis de créer trois réserves pour une surface totale de  hectares.

Comment peut-on vous aider ?

En nous soutenant, sur le site de Kalaweit (), en nous permettant d’acheter de la forêt, en parrainant un gibbon… On n’a rien à cacher, on tourne des vidéos que les gens peuvent voir sur notre chaîne Youtube, où l’on montre ce qu’on fait, les soins, les patrouille­s… On travaille tout simplement, sur des projets plus petits, mais concrets.

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(Photo Mathias Kellermann) Chanee vit désormais en Indonésie, où son associatio­n Kalaweit gère le plus grand programme de sauvegarde des gibbons au monde.

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