Nice-Matin (Cannes)

Maïssa Bey, femme libre au Festival du livre

Lauréate en 2005 du grand prix des libraires algériens pour l’ensemble de son oeuvre, Maïssa Bey copréside cette 31 édition, avec l’écrivain égyptien Alaa El Aswany e

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

De par sa qualité même d’écrivain, et le fait qu’elle lève le voile sur la condition des Algérienne­s d’aujourd’hui, Maïssa Bey s’est tout naturellem­ent imposée comme l’un des emblèmes de cette édition, axée sur la liberté. Sur les libertés, devraiton dire, qu’il s’agisse de celle des femmes, de la liberté de penser, et ce dès le plus jeune âge, de vivre autrement, de se déplacer, ou de faire circuler les idées. Jusqu’à s’affranchir, comme Adélaïde Bon, du temps déchiré, pour mieux accéder au temps retrouvé. Et positiver, envers et contre tout. Bon festival.

Maïssa Bey, que représente pour vous ce rendez-vous ?

Cela fait plus de quinze ans que je suis invitée à cet événement, dont j’aime l’humeur. J’aime la façon dont il s’efforce de nous placer au coeur des problèmes de société, au sens universel du terme. Ce qu’il y a de bien aussi dans ce festival, c’est qu’il fonctionne toujours avec des injonction­s : Il est grand temps de rallumer les étoiles, Anousà nous la liberté …Çanous entraîne dans un élan essentiel.

De quelle manière le thème de la liberté entre-t-il en résonance avec votre oeuvre ?

La notion de liberté n’a pas la même connotatio­n pour tous. La liberté telle que je la conçois ici, c’est celle d’agir, malgré toutes les contrainte­s qui pèsent. Mais pour nous en Algérie ce terme a un sens bien différent, surtout lorsqu’il s’applique aux femmes. C’est même une chose contre laquelle se bat une partie de la société, car elle est rattachée à la notion de mal. C’est le concept de la femme libre, aux moeurs légères. Il ne faut donc surtout pas accorder cela aux femmes. Et au contraire brider, surveiller, punir, en gardant à l’esprit que leur corps représente le danger suprême.

Parlez-nous d’Hizya, l’héroïne de votre roman éponyme ?

Je connaissai­s cette chanson, Hizya, chantée dans toutes les familles chez nous, depuis la fin du  siècle. Mais en

e approfondi­ssant, j’ai découvert qu’elle célébrait le corps de la femme et recelait un érotisme incroyable ! Je me suis demandé s’il serait possible d’écrire un texte pareil dans l’Algérie actuelle. Et si l’Hizya d’aujourd’hui, jeune femme de  ans élevée dans un milieu traditionn­el et modeste à Alger, pouvait aspirer à une histoire d’amour aussi extraordin­aire que celle vécue par l’Hizya de la légende, de la chanson.

Elle va se retrouver confrontée au principe de réalité ?

Exactement. Il y a le refus de sa mère de toute intrusion de la modernité, les diktats de tous ordres, et bien qu’ayant fait des études d’interpréta­riat, le seul emploi qu’elle trouve est dans un salon de coiffure. Mais cet « entrefemme­s » va justement lui permettre de découvrir un autre monde que celui qu’elle connaît.

Notamment grâce à Sonia, au tempéramen­t rebelle ?

Oui, et il y en a vraiment comme elle ! Pour échapper à cette société qu’elle ne supporte plus, faite d’hypocrisie, de harcèlemen­t de rue, d’obligation de soumission à une certaine morale, la seule issue à ses yeux est d’épouser un homme vivant à l’étranger. Quitte à aliéner quand même sa liberté avec lui.

Selon vous, le seul fait pour une femme d’occuper l’espace public en Algérie provoque certaines réactions ?

Il y a une façon très perverse de faire ressentir aux filles une insécurité dès qu’elles vont à l’extérieur, et ce dès l’âge de douze ans. Outre une certaine frustratio­n sexuelle dueà l’absence de mixité, les mères, j’en suis persuadée, n’ont pas fait leur travail de transmissi­on avec les garçons, qui ont du mal à accepter l’idée qu’une femme puisse empiéter sur « leur » territoire. Mais c’est justement la preuve, aussi, qu’à l’heure où les filles se sont pour la plupart voilées, elles occupent de plus en plus l’espace public. C’est ça qui est étonnant et contradict­oire dans ce pays.

‘‘ La notion de liberté, chez nous, est rattachée au mal. ”

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 ??  ?? Maïssa Bey, devant le stand des Editions de l’Aube, avec son dernier livre, Nulle autre voix. (Photo Patrice Lapoirie)
Maïssa Bey, devant le stand des Editions de l’Aube, avec son dernier livre, Nulle autre voix. (Photo Patrice Lapoirie)

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