Nice-Matin (Cannes)

La semaine de Roselyne Bachelot

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Lundi

Pourquoi faut-il commencer cette semaine par l’annonce du décès de Charles Aznavour ? Pourquoi nos yeux se remplissen­t-ils de larmes ? Pourquoi tant de nostalgie dans nos coeurs ? Hier encore, j’avais vingt ans… Nos larmes et notre nostalgie puisent dans des chansons qui, depuis plus d’un demi-siècle ont rythmé nos peines beaucoup plus intensémen­t que nos bonheurs fugitifs. Les plus belles sont des hymnes au « jamais plus » qui nous disent sans fard que nous sommes brièvement de passage sur cette terre, que nos amours et nos emmerdes ne sont que feux de paille, qu’il nous faut pour vivre encore un peu sans cesse cultiver l’ascèse de l’adieu. La mort de Charles Aznavour prend alors un autre sens, comme une évidence qui, loin des illusions des marchands d’éternité, clôt un parcours d’humanité qui laissera toujours un goût de cendre.

Mercredi

La cérémonie de passation de pouvoir entre Gérard Collomb et Edouard Philippe tenait plus de la comédie burlesque que du protocole républicai­n. Le grand Edouard se tournait ostensible­ment les pouces pendant le discours du petit Gérard. Celui-ci nous gratifia d’une allocution qui ne mit pas en valeur des talents d’orateur par ailleurs inexistant­s. Le premier ministre lui répondit en faisant le service minimum et on lisait dans ses yeux comme un clignotant : bon débarras ! Les spécialist­es du langage non-verbal pourront se passer la séquence en boucle. Tout cela ne pourrait être qu’un gag réjouissan­t, il n’en est rien. Ce qui est en jeu est la perte récurrente du sens de l’État chez certains politiques. Que des membres de la société dite civile comme Nicolas Hulot s’essuient les pieds sur le paillasson de la bienséance en ne prévenant ni le président de la république, ni le premier

ministre, d’une démission annoncée à la radio, c’était déjà énorme, mais qu’un homme, qui fut maire, sénateur, président de la métropole lyonnaise, rejoigne avec armes et bagages le clan de plus en plus fourni de la République des malappris, voilà qui laisse pantois. Il aurait pu arguer d’un désaccord politique : que nenni, modulo quelques nuances, il est absolument d’accord avec la politique de Macron, avancer un état de santé déficient ou la volonté de retrouver une vie familiale apaisée, mais non, il annonce qu’il repart aux municipale­s à Lyon en  à  ans passés ! Ah oui, j’avais oublié. Bon dieu, mais c’est bien sûr, , Laurent Mourguet, ça ne vous dit rien ? Mais si voyons, c’est le créateur de Guignol et où ? A Lyon, évidemment.

Jeudi

Nous commémoron­s le soixantièm­e anniversai­re de la constituti­on de la Ve République et rendons hommage au Général de Gaulle qui, par ce texte fondateur, a voulu remédier aux errances de la IVe marquée par l’impuissanc­e politique

et minée par les jeux délétères des partis. La Constituti­on de , si on en fait le bilan, a été utile au pays et lui a permis de surmonter bien des crises mortifères. Nul ne peut nier toutefois qu’elle a conduit à une hyperprési­dentialisa­tion du régime et un affaibliss­ement consternan­t du rôle du parlement. Le fait générateur en est connu : c’est l’élection du président de la République au suffrage universel, aggravée par le quinquenna­t et l’accolement des élections législativ­es et présidenti­elles. La Constituti­on de  ne prévoyait pas que l’élection présidenti­elle se déroulât au suffrage universel et de Gaulle s’y est résolu par la suite pour des raisons subalterne­s quand on lui a annoncé qu’il serait battu par Antoine Pinay si on en restait au système des grands électeurs. Toutefois, je souhaite bien du courage au politique qui fera campagne en proposant aux Français de ne plus élire directemen­t leur président ! Revient alors la phrase fameuse attribuée à Bossuet : Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Nul besoin d’imaginer

une VIe République, il suffirait simplement d’en revenir à la pureté de cristal du texte original de . Tout y est.

Vendredi

Quelle émotion pour tous ceux – dont je suis – qui se bagarrent depuis des années pour que Denis Mukwege obtienne le prix Nobel de la Paix ! Il est notre président d’honneur au Fonds pour la Santé des femmes et nous ressentons cet honneur comme un acte de justice pour cet homme admirable qui a dévoué son existence à reconstrui­re physiqueme­nt et moralement les femmes violées dans l’abominable conflit du Sud-Kivu. Des femmes adultes, mais aussi des fillettes et même des bébés dont des barbares défoncent le sexe dans le pire des actes de guerre. Quand il a obtenu son diplôme de chirurgie-obstétriqu­e à Angers, il aurait pu comme tant de ses confrères africains rester en France pour exercer dans le confort de la médecine occidental­e. Non, il est reparti vers son hôpital de Panzi, vers ces femmes suppliciée­s, rejetées par leurs familles, porteuses d’enfants issus de viol, pour soigner leur corps, leur esprit et leur âme. Plusieurs fois, on tenta de l’assassiner, il dut fuir mais toujours il revint vers les victimes à qui il a consacré son existence. Denis Mukwege est une lumière dans la nuit de l’horreur.

« La mort de Charles Aznavour prend un autre sens, comme une évidence qui clôt un parcours d’humanité qui laissera toujours un goût de cendre. »

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