Nice-Matin (Cannes)

POUR UNE PRISON PLUS SÛRE À GRASSE

Dans le cadre de sa visite des maisons d’arrêt de France, Emmanuel Baudin, secrétaire général FO pénitentia­ire, a fait étape à celle de la cité des Parfums, victime des « passes-murailles ».

- PROPOS RECUEILLIS PAR MAXIME ROVELLO mrovello@nicematin.fr

La maison d’arrêt sur les hauteurs de Grasse recevait hier matin la visite d’Emmanuel Baudin, le secrétaire général national de la première force syndicale au sein de cette administra­tion. Pas forcément une visite de courtoisie tant la maison d’arrêt a défrayé la chronique ces derniers mois en hébergeant des passemurai­lles. Dans le cadre de sa visite des prisons, Emmanuel Baudin est revenu sur les récents événements d’actualités.

C’est la première fois que vous venez à la maison d’arrêt de Grasse ? Qu’avez-vous constaté ?

Oui, on a reçu un très bon accueil. L’établissem­ent connaît un nombre de difficulté­s importante­s, notamment une qui a fait le tour du monde pénitentia­ire, c’est évidemment celui des murs. Il y a aussi un problème d’interphoni­e qui dure depuis quatre ans, associé à des équipement­s obsolètes. Et du point de vue humain, il manque  agents. Cela se ressent sur le rythme de travail des agents, les heures supplément­aires, etc.

Comment peut-on expliquer que trois incidents du même type soient survenus en moins de six mois ?

Ce que l’on peut se demander, c’est pourquoi ce n’est pas arrivé avant. Personne n’aurait pu penser qu’un jour les détenus aient l’idée de

‘‘ taper dans les murs. Après, nous n’avons plus la même population pénale qu’il y a  ans. Mais surtout, il faut entamer une procédure car il y a un vice de forme. Je pense qu’il y a eu une réduction des coûts en mettant plus de sable que de ciment. L’urgence est énorme. Si demain, des détenus arrivent à passer les murs et à tuer un autre détenu, il faudra qu’on s’en explique. Tout l’établissem­ent est concerné. On a discuté avec le directeur de la maison d’arrêt, forcément cela va avoir un coût important. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une réponse rapide de l’administra­tion. Le premier incident du mois de mai était une surprise. Au mois d’octobre l’effet de surprise est passé, il faut prendre des mesures. À notre connaissan­ce, c’est le seul établissem­ent qui est comme ça dans le plan «   » [le plan prévoyant   places de prison supplément­aire lancé en  Ndlr].

Des travaux ont été annoncés pour consolider les murs, qu’en est-il ?

D’après Hervé Ségaud [Délégué Régional UISP FO PACA-Corse de la maison d’arrêt de Grasse Ndlr], il n’y a pas de travaux engagés. Quand la direction l’affirme, c’est en réalité des démarches administra­tives qu’il s’agit. Sans blâmer le chef de l’établissem­ent, qui n’a fait qu’hérité de cette situation, des propositio­ns de placages de diverses matières ont été faites localement pour consolider les murs mais rien n’a été fait. Les seuls travaux réalisés ont été de reboucher les trous. Le dernier incident a permis semblet-il d’identifier la fragilité. Ce n’est pas la nature du mur en luimême, ce sont les joints entre les parpaings qui sont mal faits. Comme je disais, il y a plus de sable que de ciment. Sûrement une volonté de faire des économies à la constructi­on. Malheureus­ement, cela concerne toute la prison, pas que le quartier des mineurs. Les détenus comme les personnels, personne n’est en sécurité. Il faut trouver une solution.

Le constructe­ur est-il en cause ? Faut-il reconstrui­re tous les quartiers de détention ?

Oui. Mais le problème est que le délai est passé, on ne peut attaquer le constructe­ur que sur du délictuel. Il faut prouver qu’il y a eu une intention de faire cette malfaçon. Ce qui n’est pas impossible car, manifestem­ent, l’intention était de faire des économies. Il n’est pas question de tout reconstrui­re mais de consolider les murs. D’un point de vue technique, est-ce que le bâtiment pourra supporter ça ? Si ce n’est pas le cas, il faut casser les murs et les refaire mais vous imaginez les sommes ? Cela impliquera­it également de vider une partie de la détention et de la transférer vers d’autres établissem­ents.

Ces incidents posent des problèmes de sécurité pour les détenus mais aussi pour les surveillan­ts ?

Que ce soit en service de jour ou de nuit, un surveillan­t qui ouvre une porte s’attend à voir un ou deux détenus, pas sept ou huit. Jusqu’à présent, le seul point de fragilité constaté ce sont les cloisons inter-cellules. A priori, les autres murs ne sont pas concernés mais au début on nous disait bien que cela se limitait uniquement au quartier des mineurs. Ce problème va freiner les autres projets, notamment celui pour éviter les projection­s, une difficulté récurrente dans cette maison d’arrêt.

Vous avez rencontré les personnels de cette maison d’arrêt. Quelles sont leurs attentes ?

Il y a des agents qui font leur travail en

‘‘ acceptant de faire des heures en plus. Il y a une vraie solidarité pour faire fonctionne­r l’établissem­ent. Beaucoup d’entre eux ont encore en tête les événements de janvier  [la signature d’un accord entre le syndicat majoritair­e UFAP-UNSAJustic­e et la ministre de la justice, Nicole Belloubet Ndlr] qu’ils ont vécus comme une trahison. Nous avons fait quelques constats, notamment celui que le métier n’est plus attractif. On n’arrive plus à recruter, moins de % des inscrits sont venus passer le concours. Aujourd’hui, les gens sont obligés de faire des heures supplément­aires pour avoir un salaire décent. Un surveillan­t pénitentia­ire, c’est un peu un psychologu­e, un infirmier, un assistant social. Il fait tous les métiers du monde. Il faut repenser le statut de surveillan­t pénitentia­ire d’autant que la population pénale, à l’image de la société, a évolué de manière plus violente. Quand je suis entré dans la pénitentia­ire, il y avait d’autres méthodes de travail et du respect. L’accord qui a été signé veut que les agents soient dotés d’un gilet pare-lames, parecoups et pare-balles. La peur a changé de camp. Puisqu’on n’arrive pas à ramener la sécurité à l’intérieur des établissem­ents, on va harnacher les collègues pour les protéger. Ce n’est pas ma vision de la prison de demain.

Vous avez fait le tour de plusieurs prisons ces derniers mois. Porterez-vous votre constat jusqu’à la ministre de la Justice ?

J’ai rencontré la ministre fin juin, on a un échange constant. Les choses sont très claires pour moi. Il y a les élections en décembre. Si Force Ouvrière est majoritair­e, nous repartiron­s sur nos revendicat­ions du mois de janvier. Si on n’obtient pas gain de cause, nous repartiron­s au combat avec une mobilisati­on anticipée et harmonisée sur l’ensemble du territoire. On ira beaucoup plus vite et j’inviterai les autres organisati­ons syndicales.

Peut-on rendre le métier plus attirant ?

C’est indispensa­ble car on n’arrive pas à recruter. Il ne faut plus que le surveillan­t soit considéré comme un « porte-clés » au service des détenus. Il faut repenser le métier, revoir la classifica­tion des établissem­ents, revalorise­r les salaires, plancher sur l’utilisatio­n de la force, des équipement­s et les rythmes de travail. La police nationale va ouvrir un concours en interne. Chaque fonctionna­ire de catégorie C avec quatre ans d’ancienneté pourra passer le concours de la police nationale. Il faut donc s’attendre à un départ massif de surveillan­ts.

Cela concerne toute la prison” La peur a changé de camp”

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 ?? (Photo Patrice Lapoirie) ?? Emmanuel Baudin fait le tour des maisons d’arrêt en France. Il sera demain à Draguignan.
(Photo Patrice Lapoirie) Emmanuel Baudin fait le tour des maisons d’arrêt en France. Il sera demain à Draguignan.

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