Finkielkraut contre la dérive des extrémistes de la cause animale
Cet après-midi, l’académicien présentera son état des lieux de notre société lors des Colloques de Menton. Il évoque ici les rapports entre les hommes et les animaux, au coeur de son dernier livre
Dans son essai intitulé Des animaux et des hommes, Alain Finkielkraut revient sur un sujet qui lui tient à coeur, tout en soulignant l’absurdité, selon lui, du combat des «antispécistes(1) extrémistes». Qu’il n’est pas du genre à brosser dans le sens du poil.
Depuis Lucrèce, la philosophie se mêle des rapports hommesanimaux. Mais vous attendait-on ici?
Les auditeurs et lecteurs un peu attentifs savent que ce sujet me préoccupe depuis longtemps. Ce n’est pas tout à fait pour rien que j’ai fait sculpter une vache sur mon épée d’académicien. Et si j’organise à intervalles réguliers, dans mon émission Répliques ,des conversations sur la condition animale, c’est parce que j’aime les animaux et que je souffre du sort que leur fait l’hypermodernité technicienne.
Zootechnie et usines gomment la qualité d’être sensible de l’animal?
Oui, en effet. L’élevage industriel traite les animaux comme des machines. Comme des objets extérieurs et manipulables. Contre cette zootechnie, je plaide pour l’élevage fermier car, dans ce cas, les paysans échangent avec les animaux des services, des informations et des affects. À ce propos, la philosophe Catherine Larrère parle de « contrat domestique ». Ce contrat est rompu par la production de masse.
Des informations et des affects avec un animal dont on sait qu’il est destiné à être abattu, qu’est-ce que ça change ?
D’abord, il n’est pas toujours destiné à être abattu : il y a les vaches à viande et les vaches laitières. Celles-ci ne meurent pas forcément de leur belle mort mais vivent beaucoup plus longtemps. Et c’est une grande différence pour les animaux eux-mêmes que d’avoir droit à l’herbe, à la pluie, au soleil, plutôt que d’être enfermés dans une usine usurpant le nom de ferme. Des porcs se trouvent dans une telle promiscuité et dans un tel ennui qu’ils en finissent par s’entredévorer. On peut parler à cet égard d’élevage concentrationnaire, et rien ne le justifie. C’est une horreur. Absolument épouvantable.
Ce qui fait débat, c’est aussi la façon dont on les transporte et les tue…
Nous sommes dans une situation tragique. La condition animale a émergé il y a peu dans la conscience collective et dans le débat public. Mais d’un autre côté, comme le souligne très bien un grand juriste, Jean-Pierre Marguénaud, je le cite : « La soumission de l’élevage, des transports, de l’abattage, de l’expérimentation aux exigences de la rentabilité et à l’inflexible loi du marché mondialisé font qu’il n’y a sûrement jamais eu autant d’animaux souffrant aussi terriblement que depuis qu’il existe des lois pour les protéger. » Ces lois ont été promulguées sous la pression d’une opinion publique soudain sensible au sort des bêtes, et d’un autre côté, elles ne peuvent rien, pour le moment, contre un processus qui reste sourd aux protestations.
Longtemps, Brigitte Bardot ou Allain BougrainDubourg ont été assez seuls. Leur reconnaissezvous un mérite?
Je n’ai aucun mépris pour leur action. Il est de bon ton de se moquer de Brigitte Bardot à cause de certaines accointances à un moment donné, a-t-on dit, avec l’extrême droite. Mais son parti pris pour les animaux est émouvant, et elle a des choses à dire. Cela vaut aussi, bien sûr, pour Allain Bougrain-Dubourg. Il n’y a aucune raison que des philosophes aient le monopole de cette réflexion.
On pourrait ajoute Pamela Anderson…
Là, tout de même, vous allez un peu loin !
Vous considérez le véganisme comme «un mouvement citadin qui s’enchante de sa propre supériorité morale » .On nage en plein dedans?
Oui, et c’est vraiment dommage. Les extrémistes végans sont en train de confisquer la cause animale avec leurs actions violentes, terroristes même, contre des boucheries, mais aussi des poissonneries, des fromageries et, bien sûr, des abattoirs. Les végans prétendent lutter pour la libération des animaux, sans faire aucune distinction entre la domestication et l’élevage industriel. Le tout étant englobé dans le concept d’exploitation. Mais si les vaches, les cochons et les poules cessent absolument d’être utiles à l’homme, eh bien ils ne se promèneront pas dans nos villes et nos campagnes. Ils disparaîtront. C’est donc un mouvement de libération qui vise à l’extinction de ses bénéficiaires.
Vous aussi allez loin!
Je précise que les végans s’interdisent non seulement de manger de la viande, mais refusent tout produit d’origine animale. Dont le lait et le fromage, puisque la vache laitière est séparée de son veau et que celui-ci, quelquefois, connaît un destin tragique. Je trouve leurs propos très contestables et l’on se dit qu’ils éprouvent pour les animaux une compassion abstraite. Ils veulent pouvoir se regarder dans la glace. S’ils sont violents, c’est parce que les mangeurs de viande, les éleveurs, et a fortiori ceux qui travaillent dans les abattoirs, font preuve à leurs yeux d’une inhumanité criante. Non seulement ils ne souffrent pas avec les bêtes, mais ils les tuent et les consomment. Si l’on divise le monde entre l’humanité d’un côté et ses ennemis de l’autre, alors on est conduit logiquement, nécessairement, au terrorisme. On a déjà vu cela dans l’Histoire, les végans extrémistes reproduisent, à leur petite échelle, un schéma bien connu.
Vous parlez de ceux qui, sous couvert de sauver des animaux, menacent de mort des humains?
Voilà. Ils menacent de mort des propriétaires d’abattoirs et, du même coup, des animaux, puisque ceux-là n’auront pas lieu d’être s’ils ne sont pas « utiles ». J’ajoute que leur antispécisme est contradictoire: si l’Homme était une espèce comme les autres, il ne se préoccuperait pas des animaux. On peut donc dire que l’antispécisme prive la cause animale de toute raison d’être. C’est une philosophie ridicule.
Sur le communautarisme à l’école, on parle d’enfants de ans refusant qu’on leur lise Les Trois Petits Cochons.
Les mêmes se bouchent les oreilles quand on leur fait écouter de la musique et, à sept ou huit ans, déjà, font le ramadan. On parle de communautarisation et l’on a raison, mais il faut même aller plus loin et reconnaître dans ces comportements une forme de séparatisme culturel extrêmement violent. La France se fracture. On en a tous les jours de nouveaux témoignages.
Pour autant, fallait-il parler du « petit peuple des Blancs» lors des obsèques de Johnny ? Doit-on reprocher à quelques-uns de ne pas partager l’émotion d’un grand nombre?
Non seulement on ne peut pas le leur reprocher, mais moi-même, je ne m’y associe pas. La voix de Johnny Hallyday ne m’émeut pas, donc je n’aurais certainement pas songé à participer à ce deuil. Mais j’ai été frappé de l’homogénéité du public. Les commentaires ont parlé d’un grand hommage national et d’un peuple unanime. Non. Je pense toujours, avec une certaine admiration nostalgique, aux obsèques de Victor Hugo. Deux millions de personnes qui se reconnaissent dans un grand poète, c’est autre chose qu’un peuple qui pleure un chanteur de variétés. J’aimerais qu’il y ait des occasions pour les Français, quelle que soit leur origine, de « ressentir » ensemble. Je ne suis pas sûr que cela se produise. Si, peut-être est-ce arrivé pour la Coupe du monde de football…
La France de Victor Hugo était moins mélangée. À propos des migrants, vous dites que notre pays n’a pas vocation à devenir africain ?
Je ne souhaite pas ce destin à la France. On a dit que l’Afrique ne devait pas devenir européenne et les luttes anticoloniales ont, en quelque sorte, incarné ce refus. Il n’y a aucune raison que maintenant, nous assistions avec allégresse à l’africanisation de l’Europe. Je suis un enfant d’immigrés, j’ai eu la chance de pouvoir m’intégrer dans une France assimilatrice qui ne m’a pas pour autant interdit, à aucun moment, de me référer à mes origines. Je ne suis pas sûr que les nouveaux arrivants aient cette chance-là, à cause de leur nombre. Je crains que nous n’aboutissions à un éclatement de la France en communautés hostiles.