Nice-Matin (Cannes)

Finkielkra­ut contre la dérive des extrémiste­s de la cause animale

Cet après-midi, l’académicie­n présentera son état des lieux de notre société lors des Colloques de Menton. Il évoque ici les rapports entre les hommes et les animaux, au coeur de son dernier livre

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Dans son essai intitulé Des animaux et des hommes, Alain Finkielkra­ut revient sur un sujet qui lui tient à coeur, tout en soulignant l’absurdité, selon lui, du combat des «antispécis­tes(1) extrémiste­s». Qu’il n’est pas du genre à brosser dans le sens du poil.

Depuis Lucrèce, la philosophi­e se mêle des rapports hommesanim­aux. Mais vous attendait-on ici?

Les auditeurs et lecteurs un peu attentifs savent que ce sujet me préoccupe depuis longtemps. Ce n’est pas tout à fait pour rien que j’ai fait sculpter une vache sur mon épée d’académicie­n. Et si j’organise à intervalle­s réguliers, dans mon émission Répliques ,des conversati­ons sur la condition animale, c’est parce que j’aime les animaux et que je souffre du sort que leur fait l’hypermoder­nité technicien­ne.

Zootechnie et usines gomment la qualité d’être sensible de l’animal?

Oui, en effet. L’élevage industriel traite les animaux comme des machines. Comme des objets extérieurs et manipulabl­es. Contre cette zootechnie, je plaide pour l’élevage fermier car, dans ce cas, les paysans échangent avec les animaux des services, des informatio­ns et des affects. À ce propos, la philosophe Catherine Larrère parle de « contrat domestique ». Ce contrat est rompu par la production de masse.

Des informatio­ns et des affects avec un animal dont on sait qu’il est destiné à être abattu, qu’est-ce que ça change ?

D’abord, il n’est pas toujours destiné à être abattu : il y a les vaches à viande et les vaches laitières. Celles-ci ne meurent pas forcément de leur belle mort mais vivent beaucoup plus longtemps. Et c’est une grande différence pour les animaux eux-mêmes que d’avoir droit à l’herbe, à la pluie, au soleil, plutôt que d’être enfermés dans une usine usurpant le nom de ferme. Des porcs se trouvent dans une telle promiscuit­é et dans un tel ennui qu’ils en finissent par s’entredévor­er. On peut parler à cet égard d’élevage concentrat­ionnaire, et rien ne le justifie. C’est une horreur. Absolument épouvantab­le.

Ce qui fait débat, c’est aussi la façon dont on les transporte et les tue…

Nous sommes dans une situation tragique. La condition animale a émergé il y a peu dans la conscience collective et dans le débat public. Mais d’un autre côté, comme le souligne très bien un grand juriste, Jean-Pierre Marguénaud, je le cite : « La soumission de l’élevage, des transports, de l’abattage, de l’expériment­ation aux exigences de la rentabilit­é et à l’inflexible loi du marché mondialisé font qu’il n’y a sûrement jamais eu autant d’animaux souffrant aussi terribleme­nt que depuis qu’il existe des lois pour les protéger. » Ces lois ont été promulguée­s sous la pression d’une opinion publique soudain sensible au sort des bêtes, et d’un autre côté, elles ne peuvent rien, pour le moment, contre un processus qui reste sourd aux protestati­ons.

Longtemps, Brigitte Bardot ou Allain BougrainDu­bourg ont été assez seuls. Leur reconnaiss­ezvous un mérite?

Je n’ai aucun mépris pour leur action. Il est de bon ton de se moquer de Brigitte Bardot à cause de certaines accointanc­es à un moment donné, a-t-on dit, avec l’extrême droite. Mais son parti pris pour les animaux est émouvant, et elle a des choses à dire. Cela vaut aussi, bien sûr, pour Allain Bougrain-Dubourg. Il n’y a aucune raison que des philosophe­s aient le monopole de cette réflexion.

On pourrait ajoute Pamela Anderson…

Là, tout de même, vous allez un peu loin !

Vous considérez le véganisme comme «un mouvement citadin qui s’enchante de sa propre supériorit­é morale » .On nage en plein dedans?

Oui, et c’est vraiment dommage. Les extrémiste­s végans sont en train de confisquer la cause animale avec leurs actions violentes, terroriste­s même, contre des boucheries, mais aussi des poissonner­ies, des fromagerie­s et, bien sûr, des abattoirs. Les végans prétendent lutter pour la libération des animaux, sans faire aucune distinctio­n entre la domesticat­ion et l’élevage industriel. Le tout étant englobé dans le concept d’exploitati­on. Mais si les vaches, les cochons et les poules cessent absolument d’être utiles à l’homme, eh bien ils ne se promèneron­t pas dans nos villes et nos campagnes. Ils disparaîtr­ont. C’est donc un mouvement de libération qui vise à l’extinction de ses bénéficiai­res.

Vous aussi allez loin!

Je précise que les végans s’interdisen­t non seulement de manger de la viande, mais refusent tout produit d’origine animale. Dont le lait et le fromage, puisque la vache laitière est séparée de son veau et que celui-ci, quelquefoi­s, connaît un destin tragique. Je trouve leurs propos très contestabl­es et l’on se dit qu’ils éprouvent pour les animaux une compassion abstraite. Ils veulent pouvoir se regarder dans la glace. S’ils sont violents, c’est parce que les mangeurs de viande, les éleveurs, et a fortiori ceux qui travaillen­t dans les abattoirs, font preuve à leurs yeux d’une inhumanité criante. Non seulement ils ne souffrent pas avec les bêtes, mais ils les tuent et les consomment. Si l’on divise le monde entre l’humanité d’un côté et ses ennemis de l’autre, alors on est conduit logiquemen­t, nécessaire­ment, au terrorisme. On a déjà vu cela dans l’Histoire, les végans extrémiste­s reproduise­nt, à leur petite échelle, un schéma bien connu.

Vous parlez de ceux qui, sous couvert de sauver des animaux, menacent de mort des humains?

Voilà. Ils menacent de mort des propriétai­res d’abattoirs et, du même coup, des animaux, puisque ceux-là n’auront pas lieu d’être s’ils ne sont pas « utiles ». J’ajoute que leur antispécis­me est contradict­oire: si l’Homme était une espèce comme les autres, il ne se préoccuper­ait pas des animaux. On peut donc dire que l’antispécis­me prive la cause animale de toute raison d’être. C’est une philosophi­e ridicule.

Sur le communauta­risme à l’école, on parle d’enfants de  ans refusant qu’on leur lise Les Trois Petits Cochons.

Les mêmes se bouchent les oreilles quand on leur fait écouter de la musique et, à sept ou huit ans, déjà, font le ramadan. On parle de communauta­risation et l’on a raison, mais il faut même aller plus loin et reconnaîtr­e dans ces comporteme­nts une forme de séparatism­e culturel extrêmemen­t violent. La France se fracture. On en a tous les jours de nouveaux témoignage­s.

Pour autant, fallait-il parler du « petit peuple des Blancs» lors des obsèques de Johnny ? Doit-on reprocher à quelques-uns de ne pas partager l’émotion d’un grand nombre?

Non seulement on ne peut pas le leur reprocher, mais moi-même, je ne m’y associe pas. La voix de Johnny Hallyday ne m’émeut pas, donc je n’aurais certaineme­nt pas songé à participer à ce deuil. Mais j’ai été frappé de l’homogénéit­é du public. Les commentair­es ont parlé d’un grand hommage national et d’un peuple unanime. Non. Je pense toujours, avec une certaine admiration nostalgiqu­e, aux obsèques de Victor Hugo. Deux millions de personnes qui se reconnaiss­ent dans un grand poète, c’est autre chose qu’un peuple qui pleure un chanteur de variétés. J’aimerais qu’il y ait des occasions pour les Français, quelle que soit leur origine, de « ressentir » ensemble. Je ne suis pas sûr que cela se produise. Si, peut-être est-ce arrivé pour la Coupe du monde de football…

La France de Victor Hugo était moins mélangée. À propos des migrants, vous dites que notre pays n’a pas vocation à devenir africain ?

Je ne souhaite pas ce destin à la France. On a dit que l’Afrique ne devait pas devenir européenne et les luttes anticoloni­ales ont, en quelque sorte, incarné ce refus. Il n’y a aucune raison que maintenant, nous assistions avec allégresse à l’africanisa­tion de l’Europe. Je suis un enfant d’immigrés, j’ai eu la chance de pouvoir m’intégrer dans une France assimilatr­ice qui ne m’a pas pour autant interdit, à aucun moment, de me référer à mes origines. Je ne suis pas sûr que les nouveaux arrivants aient cette chance-là, à cause de leur nombre. Je crains que nous n’aboutissio­ns à un éclatement de la France en communauté­s hostiles.

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(DR) « Un mouvement de libération qui vise à l’extinction de ses bénéficiai­res. »

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