Nice-Matin (Cannes)

FOOTBALL

Intendant de l’AS Monaco depuis plus de 10 ans, Bachir Nehar est également celui des Bleus depuis 2015. Ce proche de Didier Deschamps raconte sa vie de champion du monde

- Textes et Photos : Mathieu FAURE

Bachir Nehar est un homme de l’ombre. « Bach », comme il est surnommé, est champion du monde. L’intendant de l’AS Monaco est aussi celui de l’équipe de France. Proche de Didier Deschamps, Bachir est un homme fidèle, discret, droit. Ancien attaquant au niveau amateur, ce père de famille a vécu l’expérience de sa vie en Russie. Malgré la distance, il a pu compter sur sa famille, sa femme « mon socle » et ses deux enfants qui étaient à Moscou lors de la finale. Une finale particuliè­re puisque durant tout le tournoi, il a gardé contact avec Danijel Subasic, le portier monégasque et gardien de la Croatie. « On s’était dit qu’on allait se retrouver en finale » ,rigole-t-il. Ce titre est également pour son père disparu. Juste avant le Mondial, Bachir s’est rendu sur sa tombe, en Algérie, pour lui promettre d’aller au bout. Un homme de parole.

Où étiez-vous le  juillet  ?

A Cap d’Ail, je regardais la finale avec des potes. J’étais éducateur à la mairie, je ne m’imaginais pas être dans un club de football, alors champion du monde en faisant partie du staff de l’équipe de France. C’est magique. Il n’y a rien au-dessus. Rien. Tu peux gagner dix fois la Ligue des champions, être champion du monde une fois, c’est le Graal.

Si vous ne deviez retenir qu’un seul moment de ce Mondial...

La demi-finale contre la Belgique, j’en ai pleuré à la fin du match. Ce moment-là était intense car on savait tous qu’on allait être champions du monde. Nos familles étaient dans les tribunes, il s’est passé quelque chose ce soir-là.

La finale de l’Euro , perdue, a-t-elle été dans vos têtes ?

Tous les jours. On sait tous, les joueurs, le staff, ce qui n’a pas fonctionné ce jour-là, on ne voulait pas se voir trop beaux avant la finale. On a changé. Sur ce Mondial, on a senti des vibrations positives dès le départ. On était porté par quelque chose. C’était écrit.

A quoi pense-t-on à la fin du match, en finale, à Moscou ?

Rien (rires). J’ai revu les images, je sautille et je n’en ai aucun souvenir. Tu es pris pas le truc, l’émotion, la folie. T’es heureux. C’est une famille, tout était naturel. C’est une immense fierté pour le pays. Je suis allé chercher mon fils de  ans en tribunes, je l’ai ramené sur la pelouse et on a pu faire des photos avec la vraie Coupe du monde (il montre son téléphone, c’est son fond d’écran).

Ça ressemble à quoi une soirée de victoire en Coupe du monde ?

On n’a pas dormi. Personne. Tout s’enchaîne, c’est la fête dans le vestiaire, dans le bus, à notre camp de base où les familles étaient présentes. On a dansé, mangé, chanté, c’était n’importe quoi jusqu’au petit matin. On en avait besoin, je crois.

Vous aviez conscience de l’ampleur de la chose en France ?

Absolument pas, on était dans notre cocon. On voyait des vidéos sur internet de la joie en France mais tu es loin. Quand on a atterri à Paris, déjà, on a pris une claque. Dans le bus, sur l’autoroute qui nous amène sur les ChampsElys­ées, c’était une dinguerie. C’est la seule fois où personne ne parlait dans le bus. Pas de musique, rien. Tout le monde filmait les gens en scooters, en motos, les gens partout, rien que pour nous. Et la descente des Champs... c’était un vacarme permanent. Une autre planète. On aurait aimé rester plus longtemps, c’est donc bien d’avoir fait quelque chose au Stade de France après le match des Pays-Bas.

Comment fonctionne un groupe de champions du monde en interne ?

T’as Hugo (Lloris), le capitaine. Paul (Pogba), Raphaël (Varane), Olivier (Giroud), Steve (Mandanda), Blaise (Matuidi) sont les tauliers, ce sont les plus anciens. Paul a pris de l’ampleur durant ce tournoi, c’était son heure. Tu as aussi des garçons qui sont plus des ambianceur­s comme Presnel (Kimpembe), Benjamin (Mendy), ça fait partie du bien-être collectif. On a vécu  jours ensemble, tout le monde tirait dans la même direction et pour ce faire, tu as besoin de tous les tempéramen­ts.

Comment ça se passe le quand tout s’arrête ?

e C’est comme une colonie de vacances, chacun rentre chez soi et tu as vite un coup de blues. Tu retrouves ta famille, ton quotidien, et vite les souvenirs reviennent à la surface. Parfois, les gens te parlent et tu es ailleurs. Tu mets du temps à redescendr­e, tu es toujours dans ta Coupe du monde, tu penses encore au prochain match alors que tout est fini... Bizarremen­t, tu n’as plus de repères quand tu retrouves ta vie normale. Même quand tu reprends le boulot, tu ne penses qu’à ça.

C’était important de vous retrouver en septembre ?

Oh oui, plus que d’habitude, on avait tous envie de se retrouver. Quand tu gagnes une Coupe du monde, tu as surtout envie de passer du temps ensemble pour prolonger le plaisir.

Comment peut-on définir votre rôle en équipe de France ?

Je suis en charge de l’intendance, donc tout ce qui est logistique de voyage et d’équipement­s, mais aussi du terrain pour préparer les séances quotidienn­es. On a aussi un rôle de confident auprès des joueurs, de conseils, d’écoute.

Votre rôle est forcément lié jour, à Didier Deschamps.

En , j’étais éducateur à l’AS Monaco et on faisait des matches avec les anciens du club. Didier Deschamps est venu jouer avec nous et on a accroché, il m’a ensuite proposé de rentrer dans le staff technique de l’ASM et on est resté très proche, c’est d’ailleurs mon témoin de mariage. En , il m’a demandé de le rejoindre chez les Bleus, je n’ai pas hésité. Je lui dois tout. Si je vis tous ces moments-là, c’est grâce à lui. C’est quelqu’un de fidèle, droit, honnête. Il peut me demander ce qu’il veut, je serai toujours là pour lui. Après le Mondial, je pensais qu’il allait arrêter, et j’aurais arrêté avec lui. Je m’y étais préparé psychologi­quement.

Le regard des gens a-t-il changé depuis le titre ?

Ma famille, non, mais au quotidien oui, et je ne suis personne, je n’imagine même pas les joueurs. Mes voisins sont venus me féliciter alors que je ne les avais jamais vus (rires). Le maire du village de ma mère, Castelsarr­asin (T), l’a appelée pour savoir si le Bachir de l’équipe de France était le même que le petit jeune qui jouait au football étant gamin. Ma vie a changé, c’est vrai. Après la naissance de mes enfants, la victoire en finale d’une Coupe du monde est le plus beau jour de ma vie.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France