Nice-Matin (Cannes)

ATHLÉTISME « Rien à lui pardonner »

De passage à Saint-Laurent-du-Var, Christine Arron, championne d’Europe du 100 m il y a vingt ans, retraitée depuis 2012, n’a rien oublié de sa rivalité avec l’Américaine Marion Jones

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE­R ROUX

Dans l’athlétisme français, Christine Arron reste une référence. La recordwoma­n d’Europe du m (’’ en  à Budapest) était invitée il y a quelques semaines à la Fête du sport à Saint-Laurent-du-Var. Retirée des pistes depuis , « la Reine Christine » est venue vanter les mérites de son nouveau dada : l’Athlé Santé/Loisir. Le concept ? Développer la pratique du sport dans les entreprise­s. Avant de prendre la parole au cours d’un colloque, la Guadeloupé­enne ( ans) a balayé ses vingt ans de carrière pendant une demi-heure, avec ce franc-parler qui est sien.

Christine, que faites-vous depuis votre retraite ?

Je travaille à mi-temps pour la Fédération française d’athlétisme. Je suis chargée de mission sur le développem­ent de l’Athlé Santé. Des coachs licenciés dans les clubs intervienn­ent auprès des entreprise­s pour y développer le sport. A côté, en indépendan­t, je fais du coaching pré ou postnatal pour les particulie­rs. On travaille sur la respiratio­n et la posture pour bien porter le bébé et que l’accoucheme­nt se passe au mieux.

Etes-vous épanouie ?

Pas tout à fait. J’ai déjà dû accepter d’arrêter ma carrière, me reconstrui­re une vie, être dans celle de Monsieur tout le monde. Ce sont des choses difficiles pour moi. Avec ma vie de maman, ce n’est pas encore bien équilibré.

Coacher au haut niveau n’a jamais été une ambition ?

Je suis restée une trentaine d’années dans le haut niveau. Je n’avais pas envie d’y retourner tout de suite. J’ai préféré prendre du recul, rencontrer d’autres personnes. Ce sera peut-être pour plus tard, parce que transmettr­e mon expérience m’intéresse. J’ai eu un degré d’exigence assez élevé et j’attendrais des jeunes qu’ils s’investisse­nt autant que j’ai pu le faire. J’ai peur qu’il y ait un décalage.

Les jeunes ne se font plus mal ?

Ils ne savent pas toujours pourquoi ils sont là. Parfois, ils ont juste l’objectif d’être sélectionn­és pour un championna­t mais il faut que ça aille plus loin. Ils doivent vraiment avoir des objectifs, un plan de carrière en tête et une prise de conscience. Savoir tout ce qu’il faut faire pour atteindre le haut niveau et y rester. Je me suis fâchée sur certains relais parce que j’avais l’impression que ce qui était important, des fois, c’était juste d’entrer dans le relais.

Que reste-t-il de votre record d’Europe, vingt ans après ?

Une performanc­e extraordin­aire, qui tient. Je n’en avais pas vraiment conscience au moment où ça s’est passé. Je m’étais dit que j’allais faire mieux et ça n’a pas été le cas (rire). En , j’ai eu une belle année, je me dis que j’aurais pu le battre à ce moment-là… A Budapest, il ne fallait pas que je rate mon départ. Et encore, j’avais une telle vitesse à cette époque que je pense que j’aurais gagné même en le ratant. Il y a un dixième entre la deuxième et moi.

Vos ’’ seront-ils battus ?

Je serais un peu déçue si c’était le cas mais je l’accepterai­s. Schippers s’en est approchée (’’ en  aux Mondiaux). Elle n’a pas vraiment progressé depuis. Cet été, la petite anglaise Asher-Smith a réalisé quelque chose de pas mal (’’ aux Europe). On ne sait pas comment elle va grandir mais je préfère son style à celui de Schippers, plus en force et avec une foulée étriquée.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération du sprint ?

On a eu trois filles à ’’ (Zahi) ’’ (Ombissa) et ’’ (Neola). Cela faisait un moment qu’on n’avait pas eu des sprinteuse­s à ce niveau-là. Maintenant, je ne les connais pas vraiment. Pour se faire un avis, il faut déjà les voir à l’entraîneme­nt, dans leur environnem­ent. Est-ce que l’une d’entre elles se rapproche de mon style ? Ah non, le mien est unique (rire). J’ai toujours vu la course comme une forme d’art. Elles n’ont pas mon gabarit, la même technique de course que moi.

Avez-vous tiré le maximum de vos capacités ?

Non, j’aurais aimé une médaille olympique et l’or mondial en individuel. J’ai eu toutes les autres en relais. Avec du recul, je me dis que des entraîneur­s m’ont trop fait travailler. J’aurais pu davantage récupérer avant certains championna­ts, arriver plus fraîche.

Comment analysez-vous vos échecs aux Jeux ?

Je ne me suis pas moins bien préparée. J’ai eu la malédictio­n des Jeux (rire). En , j’aurais pu y être mais il y a eu une sélection de copinage. En , j’ai eu une angine blanche avant la course. En , c’était un autre souci. En , j’étais un peu blessée.

N’y a-t-il pas eu, aussi, un blocage psychologi­que ?

Mon mental a toujours été présent. La preuve, c’est que je suis finaliste mondiale à cinq reprises. Et on sait que sur beaucoup de finales, des filles ont été impliquées dans des affaires de dopage par la suite. Quand je regarde tout ça, je peux monter davantage sur le podium.

Cette lutte contre le dopage, elle avance ?

On localise davantage les athlètes. Est-ce que ça fait progresser la lutte… Les gens qui veulent se doper trouvent toujours une solution. Il y a toujours une envie de reconnaiss­ance de certains athlètes. Même si on ne parle d’eux que pendant deux ans.

Fait-on le deuil des médailles volées par le dopage ?

Je ne pense pas à ça tous les jours, même si des gens me le rappellent : ‘‘ Dommage que votre record d’Europe ne soit pas le record du monde. ’’ J’ai eu les boules quand j’étais en activité mais il y a des choses qu’on ne peut pas changer.

En voulez-vous toujours à Marion Jones, dopée, et qui a demandé pardon ?

Aurait-elle eu cette démarche si elle n’avait pas été positive ? Elle a duré des années et aurait pu se réveiller après deux-trois ans. Elle a été prise dans l’engrenage. On attendait toujours notre duel et j’étais toujours derrière. Je n’ai rien à lui pardonner. Elle a fait ses choix. J’ai fait celui de rester clean jusqu’au bout. Elle était mal élevée, ne disait jamais bonjour. Avec Block, qui a craché dans mon couloir aux Europe et qui criait au départ, elles faisaient beaucoup de cinéma. Elles voulaient toujours impression­ner les autres. Ça ne me perturbait pas. A l’inverse, Ferguson ou Gevaert étaient très sympas.

Christine Arron

Née le  septembre  aux Abymes (Guadeloupe) Palmarès : recordwoma­n d’Europe du  m en ’’. Championne d’Europe  sur m et relais xm. Championne du monde  sur xm. Bronze aux Jeux  sur xm. Vie privée : maman d’Ethan et Cassandre ( et  ans).

Vous avez aussi du caractère. Etiez-vous difficile à manager ?

J’ai mon tempéramen­t. Dire ce qu’on pense, ce n’est pas être difficile. C’est savoir ce que l’on veut. Je n’étais pas d’accord avec certains de mes entraîneur­s et j’avais le droit de le leur dire. Je m’entendais très bien avec le dernier, Pierre-Jean Vazel. Il y avait une dimension humaine. Il était à l’écoute. Les entraîneur­s ont aussi leur ego. Il y a eu des critiques, j’ai évolué, mais je ne vais pas changer de caractère.

On a évoqué des tensions avec Marie-Jo Pérec au début de votre carrière. Une légende ?

Ce n’est pas ma copine mais on ne s’est jamais pris la tête. Il nous est toujours arrivé de discuter. Des tensions ? Peut-être de son côté mais pas du mien (sourire) .Jeneme suis jamais comparée à elle et je n’étais pas dans son ombre. MarieJo a eu la chance d’être une athlète exceptionn­elle, avec trois titres olympiques. Ce que je n’ai pas fait. J’ai réalisé ce que j’ai pu avec ce que j’avais.

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(Photo C.R.) Arron est, à l’heure actuelle, la e athlète la plus rapide de l’histoire sur m.

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