Nice-Matin (Cannes)

Une énorme fraude fiscale mise au jour

Pendant quinze ans, banques et fonds spéculatif­s ont trompé le fisc de nombreux États. L’ardoise avoisine les 17 milliards pour la France !

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Les chiffres dépassent l’entendemen­t. Dixneuf médias internatio­naux, dont Le Monde , ont révélé, jeudi, les dessous de l’une des plus grandes fraudes fiscales de ces dernières années. Baptisée « CumEx » et mise au jour en Allemagne par une contrôleus­e des impôts déterminée, l’escroqueri­e a coûté 55 milliards d’euros à une dizaine de pays européens.

De quoi s’agit-il ?

Pour fonctionne­r, cette fraude s’appuie sur une loi, en cours dans plusieurs pays, qui permet aux investisse­urs étrangers de bénéficier de crédits d’impôts sur le versement de leurs dividendes (dans des cas particulie­rs, et, normalemen­t, une fois que les investisse­urs se sont bien acquittés de leur impôt). Grâce à des montages financiers complexes, les fraudeurs parvenaien­t à échanger de manière industriel­le des actions autour du jour de versement du dividende, si rapidement et à si grande échelle que l’administra­tion fiscale ne pouvait plus en identifier le véritable propriétai­re. Il ne restait alors plus aux fraudeurs qu’à se les approprier pour réclamer à l’État un remboursem­ent d’impôts. Qui sont les fraudeurs ?

La mise en oeuvre de ce montage litigieux est attribuée à un avocat allemand de renom, Hanno Berger. Ancien haut fonctionna­ire du fisc de Francfort, contrôleur de la Bourse et des banques, il a acquis une connaissan­ce inouïe du milieu et de ses failles, avant de se reconverti­r en fiscaliste pour conseiller banques, fonds spéculatif­s et millionnai­res sur la manière de payer le moins d’impôt possible. Année après année, l’homme a constitué autour de lui un petit groupe de connaisseu­rs, qui se retrouve en secret entre Londres et Francfort. Et la « boutique » vend ses services à des banques ayant pignon sur rue : Goldman Sachs, BNP Paribas… au total, « une cinquantai­ne de banques participen­t à ces schémas frauduleux », note Le Monde. Pour les investisse­urs, le placement est à risque zéro, et permet d’engranger des centaines de millions d’euros, directemen­t prélevés dans les coffres de l’État.

Quelles conséquenc­es pour les États ?

Jusqu’à l’enquête publiée jeudi, circulaien­t uniquement les estimation­s des sommes extorquées au fisc allemand, allant d’environ 30 milliards d’euros selon la presse à 5,3 milliards selon le ministère allemand des Finances. Mais les investigat­ions concluent que le « CumEx » a coûté 55,2 milliards d’euros à 11 Etats, soit l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, l’Autriche, la Finlande, la Norvège et la Suisse. Pour l’Allemagne, l’enquête reprend la fourchette haute des estimation­s, soit 31,8 millions d’euros extorqués au fil, d’après les calculs déjà connus de Christoph Spengel, spécialist­e de fiscalité à l’université de Mannheim. L’escroqueri­e aurait aussi coûté « au moins 17 milliards d’euros » à la France, 4,5 milliards à l’Italie, 1,7 milliard au Danemark et 201 millions d’euros à la Belgique. En France néanmoins, la fin du système d’avoir fiscaux en 2005 aurait permis de limiter les dégâts, rendant impossible le mécanisme de « CumEx ». L’affaire a éclaté en 2012 en Allemagne, entraînant l’ouverture de six enquêtes pénales. Parallèlem­ent, le pays a voté en urgence une réforme fiscale qui interdit les avoirs et le « CumEx ».

Quelles retombées judiciaire­s ?

Un premier procès devrait se tenir en 2019 à Wiesbaden, contre Hanno Berger et plusieurs de ses associés, aujourd’hui expatriés en Suisse ou à Dubaï. Les banques, elles, pourraient être poursuivie­s au civil, car en Allemagne, une « personne morale » ne peut être poursuivie au pénal.

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(Photo AFP) Evasion fiscale sur les dividendes : le scandale allemand fait tache d’huile en Europe.

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