Haïm Korsia : « Le plus grand danger, c’est l’indifférence »
En visite à Nice, le grand rabbin de France a rencontré, hier, les membres de la communauté juive. Son crédo, « n’ayez pas peur». Lui, milite pour vivre ensemble, dans l’harmonie
Le grand rabbin de France est un homme pressé qui sillonne les routes pour rencontrer les communautés juives françaises. Hier, de passage à Nice, Haïm Korsia a pris tout son temps pour partager le Shabbat. Cet ancien aumônier général des armées, membre de la réserve citoyenne où il a le grade de colonel, revendique haut et fort son amour pour la France. Direct et franc, il lance ses appels à vivre ensemble, « sans peur », en combattant l’indifférence. Rencontre.
Pas banal pour un grand rabbin de France d’être dans la réserve citoyenne?
J’ai fait mon service militaire dans l’armée française où j’ai gardé beaucoup de liens. D’ailleurs, j’ai introduit dans la prière de la République [celle récitée dans les synagogues, ndlr] un passage pour les militaires et les forces de l’ordre. Quand les méchants – c’est-à-dire les terroristes malfrats, voyous – veulent percuter la France, attaquer l’autorité de l’État, ils tuent des policiers, des militaires et des enfants juifs. Nous avons ensemble une proximité de destins.
Depuis les attentats terroristes, quel est l’état d’esprit de la communauté juive française ?
Le sentiment était à l’inquiétude. Après l’attentat de Toulouse de [qui a fait sept morts, dont trois enfants de l’école juive Ozar Hatorah, ndlr] très peu de personnes ont manifesté. Comme si ces attentats, très ciblés, faisaient office de paratonnerre. Cette indifférence a nourri les peurs. Les hommes politiques sont montés au créneau, dont Manuel Valls, alors Premier ministre, qui après l’attentat de l’Hyper Casher à Paris en a déclaré : « La France sans les Juifs, ce n’est plus la France. » Ces paroles-là ont cautérisé les peurs. Et puis il y a eu l’attentat du Juillet sur la Prom’ à Nice qui a été fondamental.
En quoi ?
Parce qu’il a frappé des enfants, des femmes, des familles, des catholiques, musulmans, juifs, athées... Tout le monde s’est senti concerné, touché par cet attentat. Les Niçois nous ont donné une grande leçon par cette résilience collective à surmonter ce traumatisme. De se protéger, par les travaux sur la Prom’ réalisés par la Ville, de se mobiliser pour continuer à vivre. Comme l’ont fait, sous l’Occupation, les Justes du diocèse de Nice. J’ai pour Nice, ville de Simone Jacob-Veil, une grande tendresse.
a été marquée par une montée d’actes antisémites en France. Où en est-on?
Peu importe le nombre, chaque acte est insupportable. Je remercie l’État d’assurer la protection de nos centres communautaires, nos synagogues, nos écoles. En est paru Les Territoires perdus de la République (). On a fermé les yeux sur ce cri d’alarme. Tous les assassins sont sortis de ces territoires perdus. En ans, on a perdu une génération. Il ne faut pas en perdre une autre.
Comment ?
En récréant des ponts entre les communautés. L’État a bien compris cet enjeu majeur. On doit vivre ensemble et on va le faire. Notre histoire fourmille d’épreuves traumatisantes que nous avons surmontées. En , après l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray (SeineMaritime), l’Église catholique a ouvert ses portes pour que les Français, quelle que soit leur confession, partagent ce deuil collectif. Car le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, mais l’indifférence. Et l’indifférence est le plus grand danger. Pour le combattre, il faut s’inspirer de modèles de femmes comme Simone Veil ou soeur Emmanuelle qui, par son sourire, nous forçait à croire en la vie.
Êtes-vous féministe ?
Je suis égalitariste. Pourquoi un homme serait-il plus performant qu’une femme ? Être différent ne veut pas dire hiérarchisation. Dès qu’on infantilise la femme, c’est la catastrophe. Prenez le péché originel. Cette faute, c’est Adam qui l’a commise en infantilisant Ève.