L’irradiation supprime le « court-circuit »
Rencontre avec le Dr Cécile Ortholan et le Dr Benjamin Serrano, respectivement chef du service de radiothérapie et chef de la division de radiophysique et radioprotection.
Qu’est-ce que la névralgie du trijumeau ? Le trijumeau est un nerf crânien responsable de la sensibilité du visage ; nous en possédons deux, un droit et un gauche. Chez certaines personnes, il se met à décharger, à fonctionner tout seul et génère des douleurs insupportables. Elles évoluent le plus souvent par crises, dont la fréquence croît avec la maladie : jusqu’à une crise tous les quarts d’heure, déclenchée par des actions aussi banales que parler, mastiquer, se brosser les dents… Cette maladie reste heureusement rare : à Français concernés pour . Elle survient plutôt à la cinquantaine et touche un peu plus les femmes ( pour homme).
Existe-t-il des éléments déclenchants, des facteurs de risque ? Aucun. On a simplement noté chez certains patients des particularités anatomiques : une artère croise le nerf trijumeau et, à force de battre, elle irrite ce nerf jusqu’à le léser, ce qui produit une sorte de courtcircuit électrique. Mais il s’agit là d’une des causes ; elle n’est pas systématique. Comment agissent les rayons (des photons) que vous envoyez sur le nerf ? Le nerf irrité réagit comme un fil électrique dénudé avec des courts circuits qui génèrent la sensation de douleur. L’irradiation crée une réaction inflammatoire qui, à terme, va protéger le nerf et supprimer ce phénomène de « court-circuit ».
Quels sont les effets ? Chez certaines personnes, les douleurs disparaissent dès le lendemain. D’autres devront attendre un mois avant de les voir s’estomper. Parfois, les douleurs ne disparaissent pas, mais dans tous les cas, elles s’atténuent fortement.
Existe-t-il un risque de paralysie ? Non, dans la mesure où le nerf trijumeau n’est pas un nerf moteur, mais sensitif. Le risque est une hypoesthésie [diminution de la sensibilité du visage, ndlr]. Mais cette complication est extrêmement rare. Le traitement est-il définitif ? Pas pour tous les malades. % des patients opérés ressentent à nouveau des douleurs à ans après la radiothérapie, la gaine qui a été refaite s’effritant à nouveau. On peut alors renouveler le traitement.
Ce traitement est-il exclusivement pratiqué dans votre établissement? Une technique proche est proposée à Marseille, mais elle utilise un autre appareil, le gamma-knife [machine de neurochirurgie, ndlr]. Le patient est obligé de porter un casque stéréotaxique vissé dans le crâne. Le Dr Philippe Colin, vacataire au CHPG, a développé une technique pour traiter avec un simple masque, mais qui permet la même précision que le cadre.
Combien de patients à ce jour ont été traités par « votre » technique ? Environ une centaine en France, dont à Monaco depuis avril dernier.
Comment les patients sont-ils sélectionnés ? Tous les patients sont examinés de façon conjointe par un neurochirurgien, le Pr Denys Fontaine, et un neurologue, le Dr Michel Lanteri-Minet du CHU de Nice, avec lequel nous avons signé une convention en . Il s’agit de s’assurer qu’il s’agit bien d’une névralgie du trijumeau et non d’une algie vasculaire de la face ou encore de migraines, pour lesquelles notre traitement n’est pas indiqué. Ces spécialistes peuvent aussi estimer qu’une intervention chirurgicale est plus adaptée. Ensuite ? Lorsque ces spécialistes ont posé l’indication de radiothérapie, ils nous adressent le patient. La première étape consiste en la réalisation du masque sur mesure. Il s’agit d’une simple feuille de plastique tout mou que l’on trempe dans l’eau avant de la placer sur le visage du malade pour réaliser le moule. Le masque durci, le patient ne peut plus bouger. Un examen scanner réalisé pendant cette étape nous permet de déterminer avec précision la zone du nerf trijumeau à traiter.
Pourquoi l’intervention a-t-elle nécessité tant d’années de mise au point et de formation ? Pour être efficaces, les rayons (à doses très élevées) doivent cibler le nerf trijumeau – très fin – le plus en arrière possible, soit à mm à peine du tronc cérébral. Énormément de tests ont dû être réalisés sur des « fantômes » pour évaluer les bonnes doses, le bon positionnement, s’assurer que la dose délivrée est bien équivalente à la dose calculée par les physiciens… etc. Un travail de titan qui a mobilisé beaucoup d’équipes.