Les satrapes
Personne ne peut en douter : le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, ans, a bien été assassiné le octobre dernier par des sbires envoyés spécialement de Ryad alors qu’il venait retirer dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul un certificat de divorce pour pouvoir se remarier. Depuis les critiques pleuvent, à juste titre, sur l’Arabie et plus particulièrement sur le prince héritier, homme fort du régime, Mohammed ben Salmane (MBS). Mais les coups portés sont aussi retenus car le royaume saoudien est le premier producteur de pétrole au monde en même temps que le deuxième plus gros acheteur de matériel militaire de la planète derrière l’Inde. Or ses principaux fournisseurs sont, évidemment, occidentaux, les Etats-Unis au premier rang mais aussi la France. Tous les Présidents français ont d’ailleurs fait un jour ou l’autre le voyage de Ryad pour y baiser la babouche royale. Les ventes d’armes, et les dizaines de milliers d’emploi en jeu, valent bien, pensent nos gouvernants, quelques courbettes hypocrites devant des satrapes qui pourtant piétinent les Droits de l’homme et la démocratie en même temps qu’ils propagent l’islamisme radical et financent le terrorisme. Realpolitik, quand tu nous tiens ! Mais cet assassinat sauvage est une horreur de trop qui les contraint à s’indigner. Nul doute, cependant, que la réprobation aurait été moins bruyante si les Turcs n’avaient pas exploité ce crime. Personne ne semble s’étonner que Recep Tayyip Erdogan, l’autocrate d’Ankara, soit à l’origine de la vague qui se lève contre l’Arabie. Pourtant il est lui-même en train de malmener la démocratie turque, ou ce qu’il en reste, et détient un triste record : journalistes étaient emprisonnés dans son pays en ! Hier après-midi, Erdogan se faisait pourtant le procureur impitoyable de l’Arabie, détaillant les preuves d’un « meutre sauvage ». Bref, c’est l’hôpital qui se moque de la charité. Pourquoi ? Tout simplement parce que cet assassinat est devenue une arme dans la rivalité qui oppose l’Arabie saoudite et la Turquie pour la domination du monde sunnite au Proche Orient. Erdogan utilise ce crime pour pousser son avantage face à une Arabie prise la main dans le sac et qui cherche désespérêment à se tirer d’affaire. Hier, le roi Salmane et son fils héritier MBS recevaient ainsi le fils et le frère de Khashoggi. Dans cette histoire affreuse, les démocraties, elles, sont piégées : elles n’ont d’autre choix que de condamner l’Arabie saoudite à laquelle elles sont liées et de suivre le dictateur Erdogan dans ses diatribes manipulatrices.
« Tous les Présidents français ont d’ailleurs fait un jour ou l’autre le voyage de Ryad pour y baiser la babouche royale. »