Yvon Gattaz, économiquement drôle
L’ancien patron des patrons publie un nouvel ouvrage de réflexions sur l’économie française. Le ton est alerte et facétieux. Mais les analyses mêlent bon sens et profondeur
L’ancien président du CNPF(1) (ex-Medef) fait partie «des Français qui s’éloignent chaque jour de la retraite ». À 93 ans, Yvon Gattaz a gardé les yeux qui brillent. Et une vision. Dans son dernier ouvrage, il confie ses pensées sur la situation de la France et du monde. Une sorte d’évangile économique à l’adresse des jeunes générations, qui rassemble ses convictions les plus profondes (il les appelle les « Gattazismes ») et ses formules souvent facétieuses (il les nomme les « Gattazeries »). Parce qu’en réalité, en dépit d’une présentation insolite, voire trompeuse, Économiquement vôtre se révèle plus qu’un bon livre, un grand livre. Et voici pourquoi...
Vous rompez ici cinq ans de silence. Pourquoi ?
Lorsque mon fils Pierre a été élu à la présidence du Medef, en , je lui ai promis de n’accorder aucune interview et de n’écrire aucun livre. Cela ne m’a pas empêché de prendre des notes. Et j’ai rassemblé la crème, disons la quintessence, de cinq ans de réflexion dans ce livre, Économiquement vôtre, qui vient de paraître.
Tout de suite, dans le livre vous distinguez « emploi » de «travail»...
Oui, c’est un grand sujet philosophique qui nous occupe beaucoup avec mes confrères de l’Académie. Un emploi n’est pas forcément un travail rémunéré ! Un emploi peut être bénévole dans une association par exemple. Et puis le mot travail vient du latin tripalium qui était un instrument de torture ! Alors que « emploi » a un caractère plus noble, il vient du latin « impliquer ». L’emploi libère. On l’a vu avec les femmes. Lorsqu’elles ont commencé à travailler, elles se sont libérées.
Votre devise est « l’emploi, l’emploi, l’emploi »
Oui, depuis le mars , je propose cette devise pour la France. Liberté, égalité, fraternité a magnifiquement servi. Depuis , on ne pouvait pas trouver mieux. Mais je voudrais qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, « L’emploi, l’emploi, l’emploi » fasse l’unanimité et que cette devise s’impose comme la plus grande des priorités, en France. C’est la bataille de ma vie, avec la lutte contre le chômage des jeunes. « Chaque salaire mérite travail ». Est-ce que cela signifie qu’il faut contraindre les chômeurs à accepter des petits boulots ? Contraindre non, certainement pas mais on peut les inciter. À l’association Jeunesse et entreprise que j’ai fondée en , nous essayons de leur trouver un emploi. Et on se bat pour qu’ils ne se laissent pas aller à vivre de subventions. Pourtant vous êtes très critique vis-à-vis des emplois aidés… Oui, nous sommes contre l’assistanat. Vous savez, en Allemagne et dans les pays du Nord, l’État est très dur avec les chômeurs. Trop sans doute d’ailleurs. Ce n’est pas non plus ce que nous voulons.
La lutte contre le chômage des jeunes vous obsède.
Oui, c’est mon grand combat. Il faut leur parler avec affection et avec fermeté. Il faut faire appel à leur créativité. Les jeunes respectent beaucoup les anciens. Quand je fais une conférence, il faut voir l’accueil !
Comment réduire le chômage des jeunes ?
Nous n’avons pas la formule magique mais il faut insister sur tous les facteurs et utiliser tous les leviers. Il faut supprimer les freins. Il y en a de nombreux. Je peux vous en citer ! À commencer par la formation inadaptée, par exemple.
Le SMIC jeune était-il une bonne idée ?
Oui, elle est de moi ! Lorsque j’ai fondé le mouvement Ethic, en , j’ai proposé un SMIJ ! Pourquoi priver un jeune – qui reconnaît être peu qualifié et donc un peu moins rémunéré – d’un emploi ? Le SMIC est pavé de bonnes intentions mais renvoie les jeunes peu qualifiés à la case chômage. Les pays à faible taux de chômage acceptent la gig économy, celle des petits jobs.
Estimez-vous que les mesures proposées par le Président Macron sont bonnes ?
Il a raison ! Il a du courage… Il est pro-emploi et pro-jeunes. Les mesures vont dans le bon sens.
Est-il le Président qu’il faut à la France ?
Je ne réponds pas à cette question.
Dans le livre vous avez une pensée pour les derniers de cordée!
[rires]. Oui ! On a longtemps dit de moi que j’étais un premier de cordée. Avec le temps je vois que j’ai dû rétrograder dans la cordée. Mais je n’ai pas lâché la corde !
Qu’est-ce que le gattazisme ? Une école de pensée ?
Oui peut-être grâce à cette petite autorité morale qu’on a bien voulu me prêter… C’est l’école de l’humour dans le sérieux ! Pourquoi faudrait-il dire des choses graves avec des mots graves ? Mais sur le fond c’est surtout la défense de l’emploi et la défense de l’emploi des jeunes.
Vous restez optimiste ?
Je l’ai été toute ma vie.
L’emploi libère. On l’a vu avec les femmes »