Douleurs sciatiques: excès d’infiltrations rachidiennes?
Chirurgie, infiltrations, suivi psychologique… les personnes souffrant de sciatique doivent d’abord bénéficier d’un examen clinique approfondi avant d’envisager la solution la plus adaptée
Presque tout le monde a fait ou fera l’expérience de ce que l’on appelle communément des douleurs lombo-sciatiques. Et pour tous, la tentation est grande d’aller chercher dans l’imagerie médicale LA réponse à ces maux. Or, «en médecine, ce n’est pas l’image qui est importante, c’est le diagnostic clinique», oppose le Dr Jean Taylor, chirurgien vertébral à l’IM2S de Monaco. Illustration: « La mise en évidence grâce à l’imagerie d’une hernie discale va ainsi constituer un diagnostic qui n’est qu’anatomique. Mais, il ne se suffit pas à lui même, dans la mesure où il ne correspond pas toujours, loin s’en faut, au diagnostic clinique. À images égales, des personnes ont mal, quand d’autres n’ont aucune douleur, certaines devront être opérées, d’autres pas…» En clair, on ne «colle» pas l’image au patient mais « on commence par l’examen clinique, on écoute la douleur. Et ce n’est qu’ensuite grâce au concours de l’imagerie que l’on détermine l’origine des maux, avant d’envisager de les traiter. L’indication d’une infiltration, portée hâtivement, risque de conduire à bien des désillusions si elle n’est pas encadrée. » En filigrane des propos du Dr Jean Taylor, une évolution que même les sociétés savantes de radiologie dénoncent désormais, en arguant qu’elles n’apportent dans la plupart des cas qu’une accalmie transitoire : l’« explosion » des infiltrations rachidiennes. «C’est souvent la même chronique », regrette le spécialiste, scénario type à l’appui. « Une personne se plaint de douleur au dos, son médecin prescrit un examen IRM et le radiologue conclut alors, à tort, et au seul regard des images : « il faudrait infiltrer ». L’infiltration est alors réalisée, trop souvent sans un diagnostic clinique validé au préalable par un spécialiste du dos, chirurgien vertébral notamment » Les douleurs appellent pourtant un certain nombre de questions déterminantes pour la suite de la prise en charge. «Pourquoi cette douleur? Quel organe concerne-telle ? Ou se situe-t-elle précisément ? Il faut savoir pourquoi et dans quelles conditions on peut proposer une infiltration. Sans diagnostic, le résultat d’une infiltration risque fort de décevoir la majorité des patients. Et si elle est indiquée, on en fait une, exceptionnellement deux. » Un bras de fer radiologues/chirurgiens ? Bras de fer entre radiologues, enclins à voir dans l’imagerie interventionnelle la clef de la prise en charge de tous ces patients douloureux et chirurgiens vertébraux, accusés par certains d’avoir le bistouri «facile»? Le Dr Taylor se défend de tout corporatisme. « La solution chirurgicale n’est envisagée que pour 1 patient qui consulte sur 10 voire moins, rappelle-t-il. Mais, ce qui est regrettable, c’est qu’on agite souvent le chiffon rouge des dangers de la chirurgie du dos. Alors que le taux de réussite de ce type d’intervention est supérieur à 98 % dès lors que le diagnostic a été précis et l’indication bien posée, le geste mesuré. S’il y a la moindre incertitude autour du diagnostic, on n’opère pas. » Beaucoup de patients continuent néanmoins d’appréhender le passage sur le billard et préfèrent se tourner vers des thérapeutiques alternatives, infiltrations en tête.
Attente et risque d’aggravation
«Elles ne règlent pas le problème de fond, insiste le Dr Taylor. Elles ne résorbent pas une hernie discale pas plus qu’elles ne traitent un problème plus général de lombo-sciatique. Mais, surtout, le plus grand danger réside dans le temps perdu. Je pense à tous ces patients qui consultent pour une sciatique dite compressive (qui comprime un nerf, Ndlr), à qui on fait une infiltration et qu’on invite à attendre, avec la promesse que «ça va aller mieux.» Ils vont patienter, souffrir, s’aggraver parfois, se paralyser et arriver à la chirurgie trop tard, après avoir souffert des mois, voire des années… »
Que proposer dès lors à aux millions de Français qui chaque année font l’expérience d’un mal de dos, d’une sciatique ne relevant pas de la chirurgie. « Si l’examen clinique met en évidence une sciatique irritative, positionnelle, inflammatoire ou encore à composante psychique – « j’en ai plein le dos, j’ai mal au dos, au cou, au pied » –, il est important de proposer une approche pluridisciplinaire permettant de déterminer la prise en charge la plus adaptée. » Médicaments, suivi psychologique, manipulations… mais, pour le spécialiste, «le plus important pour la guérison, c’est le patient lui-même ; dès lors qu’on lui explique ce qu’il a, il devient acteur. » Une dernière précision : 9 fois sur 10, la sciatique guérit spontanément en 6 à 8 semaines.
« On doit écouter la douleur »