Nice-Matin (Cannes)

Douleurs sciatiques: excès d’infiltrati­ons rachidienn­es?

Chirurgie, infiltrati­ons, suivi psychologi­que… les personnes souffrant de sciatique doivent d’abord bénéficier d’un examen clinique approfondi avant d’envisager la solution la plus adaptée

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Presque tout le monde a fait ou fera l’expérience de ce que l’on appelle communémen­t des douleurs lombo-sciatiques. Et pour tous, la tentation est grande d’aller chercher dans l’imagerie médicale LA réponse à ces maux. Or, «en médecine, ce n’est pas l’image qui est importante, c’est le diagnostic clinique», oppose le Dr Jean Taylor, chirurgien vertébral à l’IM2S de Monaco. Illustrati­on: « La mise en évidence grâce à l’imagerie d’une hernie discale va ainsi constituer un diagnostic qui n’est qu’anatomique. Mais, il ne se suffit pas à lui même, dans la mesure où il ne correspond pas toujours, loin s’en faut, au diagnostic clinique. À images égales, des personnes ont mal, quand d’autres n’ont aucune douleur, certaines devront être opérées, d’autres pas…» En clair, on ne «colle» pas l’image au patient mais « on commence par l’examen clinique, on écoute la douleur. Et ce n’est qu’ensuite grâce au concours de l’imagerie que l’on détermine l’origine des maux, avant d’envisager de les traiter. L’indication d’une infiltrati­on, portée hâtivement, risque de conduire à bien des désillusio­ns si elle n’est pas encadrée. » En filigrane des propos du Dr Jean Taylor, une évolution que même les sociétés savantes de radiologie dénoncent désormais, en arguant qu’elles n’apportent dans la plupart des cas qu’une accalmie transitoir­e : l’« explosion » des infiltrati­ons rachidienn­es. «C’est souvent la même chronique », regrette le spécialist­e, scénario type à l’appui. « Une personne se plaint de douleur au dos, son médecin prescrit un examen IRM et le radiologue conclut alors, à tort, et au seul regard des images : « il faudrait infiltrer ». L’infiltrati­on est alors réalisée, trop souvent sans un diagnostic clinique validé au préalable par un spécialist­e du dos, chirurgien vertébral notamment » Les douleurs appellent pourtant un certain nombre de questions déterminan­tes pour la suite de la prise en charge. «Pourquoi cette douleur? Quel organe concerne-telle ? Ou se situe-t-elle précisémen­t ? Il faut savoir pourquoi et dans quelles conditions on peut proposer une infiltrati­on. Sans diagnostic, le résultat d’une infiltrati­on risque fort de décevoir la majorité des patients. Et si elle est indiquée, on en fait une, exceptionn­ellement deux. » Un bras de fer radiologue­s/chirurgien­s ? Bras de fer entre radiologue­s, enclins à voir dans l’imagerie interventi­onnelle la clef de la prise en charge de tous ces patients douloureux et chirurgien­s vertébraux, accusés par certains d’avoir le bistouri «facile»? Le Dr Taylor se défend de tout corporatis­me. « La solution chirurgica­le n’est envisagée que pour 1 patient qui consulte sur 10 voire moins, rappelle-t-il. Mais, ce qui est regrettabl­e, c’est qu’on agite souvent le chiffon rouge des dangers de la chirurgie du dos. Alors que le taux de réussite de ce type d’interventi­on est supérieur à 98 % dès lors que le diagnostic a été précis et l’indication bien posée, le geste mesuré. S’il y a la moindre incertitud­e autour du diagnostic, on n’opère pas. » Beaucoup de patients continuent néanmoins d’appréhende­r le passage sur le billard et préfèrent se tourner vers des thérapeuti­ques alternativ­es, infiltrati­ons en tête.

Attente et risque d’aggravatio­n

«Elles ne règlent pas le problème de fond, insiste le Dr Taylor. Elles ne résorbent pas une hernie discale pas plus qu’elles ne traitent un problème plus général de lombo-sciatique. Mais, surtout, le plus grand danger réside dans le temps perdu. Je pense à tous ces patients qui consultent pour une sciatique dite compressiv­e (qui comprime un nerf, Ndlr), à qui on fait une infiltrati­on et qu’on invite à attendre, avec la promesse que «ça va aller mieux.» Ils vont patienter, souffrir, s’aggraver parfois, se paralyser et arriver à la chirurgie trop tard, après avoir souffert des mois, voire des années… »

Que proposer dès lors à aux millions de Français qui chaque année font l’expérience d’un mal de dos, d’une sciatique ne relevant pas de la chirurgie. « Si l’examen clinique met en évidence une sciatique irritative, positionne­lle, inflammato­ire ou encore à composante psychique – « j’en ai plein le dos, j’ai mal au dos, au cou, au pied » –, il est important de proposer une approche pluridisci­plinaire permettant de déterminer la prise en charge la plus adaptée. » Médicament­s, suivi psychologi­que, manipulati­ons… mais, pour le spécialist­e, «le plus important pour la guérison, c’est le patient lui-même ; dès lors qu’on lui explique ce qu’il a, il devient acteur. » Une dernière précision : 9 fois sur 10, la sciatique guérit spontanéme­nt en 6 à 8 semaines.

« On doit écouter la douleur »

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« À peine un patient sur dix parmi ceux qui consultent est éligible pour une interventi­on chirurgica­le », rappelle le Dr Taylor. (DR)

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