Il ancre ses héros discrets dans un livre
Yves-Michel Langlois vient de publier l’histoire de ces héros discrets qui ont composé sa famille. Des femmes et des hommes épris de liberté, n’hésitant pas à exposer leur vie pour la France
Ancien fonctionnaire dans le Var et dans les Alpes-Maritimes Yves-Michel Langlois passe désormais sa retraite à Cannes. En collaboration avec notre confrère, François Rosso, il vient de publier aux éditions L’Harmattan, un livre intitulé tout simplement Les Langlois. Un ouvrage dans lequel il relate la vie de neuf membres de sa famille qui, durant la Seconde guerre mondiale, ont résisté face à l’envahisseur depuis Antibes. « Sans avoir l’ambition, surtout pas, de réécrire l’Histoire ou, plus simplement, d’y ajouter des pages bien écrites par d’autres, ce recueil de bribes de vie apporte un éclairage complémentaire aux livres officiels, écrit, dans la préface, le journaliste François Rosso. Il montre l’importance de l’engagement des Français au côté des agents du Special Opérations Executives, le SOE britannique. » Dans son ouvrage, Yves-Michel Langlois évoque beaucoup cette page de la Résistance dans la cité des Remparts, dévoilant au passage quelques documents rares, peu connus du grand public.
Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir sortir ce livre ?
Au départ, le fait générateur a été le décès de ma tante MarieReine Langlois, dite Queen Mary. Elle m’a élevé, choyé. Je voulais uniquement raconter l’histoire de cette femme au destin unique qui fut une résistante dont on n’avait jamais parlé. Puis, petit à petit, je suis rentré dans l’aventure de cette résistance aux côtés des agents du SOE, de l’Exode de à la Libération, à travers le réseau Carte () et la mission Jockey () . Ma famille toute entière, habitée d’une grande ferveur patriotique, s’est dressée contre l’oppression nazie au nom de sa fidélité à la République et de son attachement à la souveraineté et à l’identité françaises. À commencer par mon père à Antibes donc.
Que peut-on dire de cette période antiboise de votre famille ?
À cette époque, en , mon père est démobilisé et se jette à corps perdu dans la Résistance. Notre famille se retranche en zone libre à Marseille, puis à Antibes au chalet Mireille, une maison située au , boulevard du Cap qui existe encore aujourd’hui. Jacques, c’est le prénom de mon père, entraîne sa soeur Marie-Reine dans son combat pour la liberté et, avec elle, toute la famille. Ils rentrent tous dans la clandestinité entraînant même leur mère que tout le monde appelait affectueusement Tina ou Ti’Mère. Ils vont résister à l’oppresseur à leur manière dans cette partie de France encore libre en accueillant chez eux des Britanniques débarqués de sous-marins ou de felouques dont le Seadog, avant d’être obligés d’entamer un tour de France des planques. Des lieux qui seront autant de plaques tournantes de la Résistance sur toute la région Sud-Est.
À Antibes, certains de leurs voisins menaient le même combat ?
Oui. Au de ce même boulevard du Cap, il y avait André Girard, un résistant de la première heure et fondateur du réseau Carte. Il était de la famille de l’actrice Danièle Delorme qui, à l’époque, s’appelait Gabrielle et était une jeune adolescente espiègle. Tous ces résistants se rencontraient dans la clandestinité pour aider les réseaux. Tout s’est passé à Antibes de septembre à fin . Ensuite ma famille est partie se réfugier dans les Hautes-Alpes où elle a poursuivi sa mission. Mon père a d’ailleurs fini la guerre avec le grade de capitaine dans l’armée anglaise, mes deux tantes et mon oncle Michel ont, eux, fini souslieutenants dans l’armée française. Pierre Raynaud, dit Capitaine Alain, un autre de mes oncles par alliance, est devenu capitaine. Quatre d’entre eux ont ensuite été des espions français. C’est toute cette histoire que je raconte. À Antibes, notamment, puis ensuite dans d’autres villes, ils recevaient des officiers anglais ou canadiens. Ils les cachaient quelques jours chez eux, avant qu’ils ne repartent dans la nature. Ma tante prenait des messages et partait, à vélo, entre le chemin des Sables et le Croûton. Elle allait jusqu’à Cannes, à la villa Isabelle, rencontrer les agents britanniques qui s’y cachaient. Elle prenait d’énormes risques. Je présente dans mon livre, toutes les fausses cartes d’identité des membres de ma famille. Il y a aussi des cartes d’alimentations dont une valable seulement à Antibes.
Dans votre livre vous évoquez aussi l’histoire de Pierre Bertone. Pourquoi ?
Pour les nouvelles générations antiboises, le nom de Pierre Bertone est associé à un collège. On connaît peu de chose sur sa vie. C’était un fils d’architecte, propriétaire d’une imposante bâtisse entourée d’un domaine immense s’étirant entre le quartier de la Croix-Rouge et le chemin des Âmes-du-Purgatoire. Pierre Bertone fut remarqué et recruté en par mon père, Jacques, qui était un des piliers du réseau Buckmaster, section des Alpes-Maritimes et des Basses-Alpes sous le nom de code de Claude. Buckmaster, c’était le chef de la section française des services secrets anglais. Le mars , Pierre Bertone sera malheureusement déporté vers un camp où il mourra.
Vos parents étaient des agents du SOE. C’était quoi au juste, des espions ?
Non, plutôt des relais. Des agents britanniques débarquaient souvent par sous-marins. Cela a été le cas de Peter Churchill arrivé àborddu Unbroken et dont une stelle commémorative se trouve dans le quartier de l’Îlette. Des résistants français comme le Dr Levy, mon père et quelques autres Antibois ont donc caché ces hommes au péril de leur vie.
Avez-vous envoyé votre livre au ministre des Armées ?
J’ai effectivement envoyé ce livre dans de nombreuses institutions. Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, m’a répondu après avoir lu l’ouvrage. Elle m’a fait savoir que « ce récit à la fois tragique et romanesque est un vibrant hommage au dévouement de ces femmes et de ces hommes qui ont oeuvré dans l’ombre au service de la liberté et de la paix ». Cela m’a beaucoup touché. Depuis la sortie du livre, je reçois beaucoup de témoignage de sympathie et de remerciement d’avoir raconté cette histoire.
1. André Girard, peintre, dessinateur de presse et affichisteavant-guerre,père doncdel’actriceDanièle Delorme, a été sous le pseudonyme de Carte à l’origine d’un réseau au destin contrasté ˆpuisque se revendiquant d’une Résistance anti-allemande, anti-gaulliste, anti-communiste et anticollaborationniste. 2. Voulue par le Premier ministre, Winston Chruchill, pour mettre à mal l’ennemi dans toute la France et notamment le Sud-Est.