Notre porte-avions du Pacifique
Plus de 1 600 hommes (armée de terre, armée de l’air et marine) composent le dispositif militaire français en Calédonie, dont le maintien constitue un enjeu stratégique pour les deux territoires
L’expression date de la Seconde Guerre mondiale : durant près de cinq ans, la Nouvelle-Calédonie fut « le plus gros porte-avions de la marine américaine ». Rallié dès septembre 1940 à la France libre du général de Gaulle, le territoire a joué un rôle déterminant dans la Bataille du Pacifique, voyant passer plus d’un million de soldats américains sur son sol. De cette époque subsistent, outre une réelle nostalgie du grand frère américain, une multitude d’infrastructures telles que des aérodromes, des routes, des ponts, des réseaux d’adduction d’eau ou encore des hôpitaux. Soixante-dix-huit ans plus tard, la Calédonie, qui disposait en 1940, en tout et pour tout, de quatre canons datant de 1892 pour se défendre, est devenue un maillon essentiel de l’armée française tout autant qu’elle bénéficie de sa protection. Les Forces armées de NouvelleCalédonie (Fanc) comptent aujourd’hui 1 650 militaires de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la marine, répartis sur quatre sites. Une frégate de surveillance dotée d’un hélicoptère ainsi que deux patrouilleurs sont amarrés à la base navale de Nouméa, qui accueille également une unité tournante de fusiliers marins. Deux avions de surveillance maritime complètent ce dispositif, tandis que l’armée de l’air dispose de deux avions de transport de troupes et trois hélicoptères Puma.
Maillon essentiel
A terre, six compagnies – dont une de parachutistes - composent les troupes d’infanterie, soit plus de 700 hommes et leurs équipements. « C’est une petite armée en miniature, avec des capacités de transport et de surveillance, des bateaux, des avions, des hélicoptères. Ce n’est donc pas anodin, souligne Florent de Saint-Victor, spécialiste des questions de défense et ancien collaborateur du ministre de la Défense. Les crédits étaient plutôt à la baisse ces dernières années, mais la Nouvelle-Calédonie est un territoire pour lequel avait été établie une limite sous laquelle les autorités ne voulaient pas descendre. » Est-ce à dire que le territoire, seule implantation militaire française d’importance dans cette partie du monde, est un maillon essentiel de la défense nationale ? « Sa perte représenterait clairement un manque dans cette zone Asie-Pacifique, qui est la zone du XXIe siècle et dans laquelle il est bon pour la France de pouvoir montrer son drapeau sur le plan militaire, mais aussi stratégique, économique et politique », indique cet ancien du ministère. Régionalement, l’armée française est, par ailleurs, très impliquée dans la coopération militaire, les opérations humanitaires et le secours aux ressortissants, dans le cadre de l’accord Franz (1). Dans le domaine de l’intelligence, le territoire abrite un équipement stratégique d’importance avec la station d’écoute de La Tontouta. Cette installation jalousement gardée, floutée sur Google Maps, fait partie du réseau d’écoute français disséminé à travers le monde via les outremers. Or, en en perdant l’usage, « on deviendrait un peu aveugle dans cette partie du monde, en se coupant de certains flux », observe le spécialiste. Outre son importance stratégique pour la France, l’ensemble du dispositif militaire local est également devenu indispensable à la NouvelleCalédonie : en cas d’indépendance, celle-ci serait contrainte de se placer sous la protection d’une autre puissance, suffisamment solide pour assurer sa sécurité. Reste à savoir laquelle, et à quel prix.