Nice-Matin (Cannes)

Midterm US : « Trump a donné des gages à son électorat »

Le 45e président des Etats-Unis affrontera, mardi, son premier test électoral pour renouveler une parti du Congrès américain. Décryptage de cette échéance cruciale avec Laurence Nardon, spécialist­e des USA

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT (Agence locale de presse)

Après deux ans de présidence Trump, vous dites que les EtatsUnis « sont entrés dans une séquence de raidisseme­nt politique dont on peine à voir l’issue… ». Pourquoi ?

Donald Trump est le produit d’un cycle conservate­ur qui a commencé dans les années , avec Ronald Reagan, mais aussi de la transforma­tion des médias et de l’arrivée d’Internet, qui ont concouru à la fin de la culture du compromis en politique. Dans ce contexte, face à des conservate­urs extrêmemen­t rigides, les modérés ont vu leur champ d’action se réduire. Et Trump, par sa personnali­té hors normes, son idéologie, son narcissism­e pathologiq­ue, son mépris de la vérité et des autres sensibilit­és, renforce cette hystérisat­ion du discours politique américain.

L’affaire des colis piégés envoyés aux opposants du Président s’inscrit-elle dans ce mouvement ?

Je travaille sur les États-Unis depuis des années, et j’avoue que je suis désormais assez méfiante par rapport aux actualités dites « brûlantes » qui alimentent la campagne jour après jour. C’est encore plus vrai avec Trump, avec lequel on a quand même un psychodram­e par semaine depuis son élection ! Or, pour conserver sa capacité d’analyse, il est nécessaire de garder ses distances avec ce type d’événement, qui alimente l’hystérie de cette campagne mais ne dit pas grand-chose du fond. Je pense d’ailleurs que cela restera un épiphénomè­ne.

A vous lire, on comprend que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump a des racines profondes. Pourtant tout le monde a été pris de court en . Pourquoi ?

La stupéfacti­on est venue du fait que, pendant toute la campagne, Hillary était en tête. Je rappelle d’ailleurs qu’elle a effectivem­ent obtenu la majorité des voix. De l’autre côté, Trump apparaissa­it tellement foutraque, tellement peu profession­nel, tellement impréparé que son élection semblait être une blague. Mais plus que les électeurs, c’est le système électoral, et son exploitati­on par des équipes de campagne qui se sont concentrée­s sur des Etats où les écarts étaient infimes, qui ont conduit Donald Trump au pouvoir. Et ça, les sondages n’ont pas su le déterminer. Deux ans plus tard, ces élections de mi-mandat se réduisent-elles à un référendum sur la politique du

président Trump ?

Traditionn­ellement, ces élections sont plus un référendum sur la personnali­té du Président en exercice que sur sa politique. Mais cette fois-ci, il s’agit de Trump. Et il est évident que la psychologi­e du personnage renforce considérab­lement cet aspect.

Quel est l’enjeu politique de ce scrutin ?

Il va entraîner le renouvelle­ment partiel de sièges à la Chambre des représenta­nts et au Sénat, qui forment ensemble le Congrès. Or la Chambre des représenta­nts a de fortes chances de basculer du côté démocrate, ce qui en fait l’enjeu majeur du scrutin puisque cela réduirait considérab­lement les marges de manoeuvre de Trump.

De quelle manière ?

S’il perd sa majorité, le Président devra faire face à une obstructio­n systématiq­ue du Congrès, qui bloquera les propositio­ns de loi venant de la Maison-Blanche. C’était d’ailleurs déjà compliqué pour Trump sur certaines questions, comme on a pu le voir avec l’échec de sa réforme de l’Obamacare. Mais là, il ferait face à une réelle forme d’impuissanc­e.

Mais Trump dispose toujours d’une base électorale solide, non ?

Bien sûr, d’autant qu’il leur a donné des gages. Aux populistes de droite d’abord, en réussissan­t par exemple à faire valider le Muslim Ban () et, plus récemment, en affichant sa fermeté vis-à-vis de la caravane de migrants venus du Honduras. Aux tenants de la droite chrétienne ensuite. Ces évangéliqu­es, qui représente­nt une forte proportion de la population américaine, sont contre l’avortement et l’homosexual­ité. Ils ont voté Trump dans l’espoir que celui-ci nomme des juges conservate­urs afin d’imposer leurs idées. Avec les nomination­s de Brett Kavanaugh et Neil Gorsuch à la Cour suprême, mais aussi de nombreux autres juges à tous les étages du système judiciaire américain, les voilà comblés.

Ces élections ne posent-elles pas un problème en matière d’organisati­on ?

Il existe un réel problème autour de l’abstention. Pour voter, les gens doivent prendre un jour de congés, puisque les élections se tiennent le mardi, se rendre en voiture jusqu’à leur bureau de vote, faire la queue… C’est un réel problème pour le vote des minorités, qui ont plus de difficulté­s pour prendre un jour de congés, qui n’ont pas forcément de voiture et qui doivent faire face à un Code électoral parfois très contraigna­nt, dont l’objectif, dans certains Etats comme ceux du Sud, est clairement de les tenir à l’écart du vote. C’est une donnée très importante, sachant que le vote des minorités va plutôt vers les démocrates.

Vous vous interrogez sur les chances de survie à moyen terme du Parti républicai­n, que vous qualifiez de « mille-feuilles idéologiqu­e». Survivrait-il à une lourde défaite aux Midterm ?

Trump a fait entrer dans le Parti républicai­n, déjà morcelé idéologiqu­ement entre les libéraux et la droite chrétienne, une base populiste très vindicativ­e. De là à dire qu’une défaite ferait exploser le parti, je ne le crois pas. La prépondéra­nce du bipartisme aux Etats-Unis fait qu’il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d’exister en-dehors d’une des deux grandes formations politiques. Ces dernières sont donc « condamnées » à accueillir en leur sein des sensibilit­és parfois très éloignées les unes des autres. Mais le Parti républicai­n a été pris en otage par Trump, qui a lancé une sorte d’OPA hostile pendant les primaires, à l’occasion desquelles il a balayé tous ses adversaire­s. Le plus troublant, c’est d’ailleurs qu’il a gagné avec un programme populiste qui n’était absolument pas la tasse de thé des Républicai­ns. Plus étonnant encore : il a gagné en s’appuyant sur un populisme de droite, anti-immigrés, et un populisme de gauche, avec cette idée du retour des classes moyennes et des « cols bleus », c’est-à-dire la classe ouvrière.

Vous rappelez l’attachemen­t des Américains à la Constituti­on, à la séparation des pouvoirs et à la liberté de la presse. Autant de piliers, aujourd’hui, malmenés par le Président…

Je pensais que les contre-pouvoirs fonctionne­raient efficaceme­nt pour tempérer la politique de Donald Trump. Et en un sens ils l’ont fait. Mais les attaques contre la presse, la polarisati­on du discours médiatique avec des médias proTrump, comme Fox News, et des journaux qui tirent à boulet rouge sur le Président, comme le New York Times ou le Washington Post, sont des signaux inquiétant­s. Et quand le Président, lui-même, attaque en permanence les médias, il ne faut pas se tromper : on est dans une démarche de fragilisat­ion de la démocratie.

Ces élections sont plus un référendum sur la personnali­té du Président en exercice que sur sa politique. ”

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(Photo Emilie Moysson)

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